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Voltaire.

Devant les Grecs charmés, trois Belles compa-
rurent,

La jeune Eglé, Téone, et la triste Apamis.
Les beaux efprits de Grèce au fpectale accouru-
rent;

Ils étoient grands parleurs, et pourtant ils fe tu

rent

Ecoutant gravement en demi-cercle affis.
Dans un nuage d'or, Vénus avec fon fils
Prétoit à leur difpute une oreille attentive.
La jeune Eglé commence, Eglé fimple et naïve,
De qui la voix touchante et la douce candeur
Charmoient l'oreille et l'oeil, et pénétroient au

coeur.

EGLE.

Hermotime, mon pére, a confacré fa vie
Aux Muses, aux Talens, à ces dons du Génie,
Qui des humains jadis ont adouci les moeurs,
Tout entier aux beaux arts, il a fui les honneurs ;
Et fans ambition caché dans fa famille,

Il n'a voulu donner pour époux à sa fille,
Qu'un Mortel, comme lui, favorifé de Dieux,
Elevé dans fon art, et qui fçauroit le mieux
Animer fur la toile, et chanter fur la lyre

Ce peu de vains attraits que m'ont donné les
cieux.

Ligdamon m'adoroit; fon efprit fans culture
Devoit, je l'avouerai, beaucoup à la nature;
Ingénieux, difcret, poli fans compliment,
Parlant avec jufteffe, et jamais fçavamment;
Sans talens, il eft vrai, mais fçachant f'y connoî-

tre.

L'amour forma fon coeur, les Graces fon efprit.
Il ne fçavoit qu'aimer; mais qu'il étoit grand maî-
tre,

Dans ce premier des arts que lui feul il m'apprit!

Quand mon pere eut formé le deffein tyranni

que

De

De m'arracher l'objet de mon coeur amoureux,
Et de me réserver pour quelque peintre heureux,
Qui feroit de bons vers et fçauroit la mufique,
Que de larmes alors coulerent de mes yeux!
Nos parens ont fur nous un pouvoir defpotique;
Puisqu'ils nous ont fait naître, ils font pour nous
des Dieux.

Je mourois, il eft vrai, mais je mourois foumife.

Ligdamon f'écarta, confus, défespéré,
Cherchant loin de mes yeux un afyle ignoré.
Six mois furent le terme où ma main fut promise;
Ce délai fut fixé pour tous les prétendans.
Ils n'avoient tous, hélas! dans leurs triftes talents,
A peindre que l'ennui, la douleur et les larmes.
Le tems qui f'avançoit redoubloit mes alarmes;
Ligdamon tant aimé me fuyoit pour toujours;
J'attendois mon arrêt; et j'étois au concours.

Enfin de vingt rivaux les ouvrages parurent;
Sur leurs perfections mille débats f'émurent:
Je ne pus décider, je ne les voyois pas.
Mon pere fe hâta d'accorder fon fuffrage
Aux talens trop vantés du fier et dur Harpage;
On lui promit ma foi; j'allois entre fes bras.

Un efclave empreffé frappe, arrive à grands

pas,

Apportant un tableau d'une main inconnue;
Sur la toile auffi-tôt chacun porta la vue;
C'étoit moi. Je femblois refpirer et parjer;
Mon coeur en longs foupirs paroisfoit f'exhaler;
Et mon air et mes yeux, tout annonçoit que

j'aime.

L'art ne fe montroit pas; c'eft la nature méme ;
La nature embellie; et par de doux accords,
L'ame étoit fur la toile auffi-bien que le corps.
Une tendre clarté f'y joint à l'ombre obfcure,
Comme on voit au matin le foleil de fes traits
Percer la profondeur de nos vaftes forêts,

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Et

Voltaire, Et dorer les moiffons, les fruits et la verdure.
Harpage en fut furpris; il voulut cenfurer;
Tout le refte le tut, et ne put qu'admirer.
Quel Mortel ou quel Dieu, f'ecrioit Hermotime,
Du talent d'imiter fait un art si sublime?

A qui ma fille enfin devra-t-elle fa foi?

Ligdamon se montrant, lui dit: Elle est à moi;
L'amour feul eft fon peintre, et voilà fon ouvrage ;
C'est lui qui dans mon coeur imprima cette image;
C'est lui qui fur la toile a dirigé ma main:
Quel art n'eft pas foumis à fon pouvoir divin?
11 les anime tous. Alors d'une voix tendre,
Sur fon luth accorde Ligdamon fit entendre
Un mêlange inouï de fons harmonieux;

On croyoit être admis dans le concert des Dieux.
Il peignit comme Apelle, il chanta comme Or-
phée.

Harpage en frémiffoit; fa fureur étouffée
S'exhaloit fur fon front, et brûloit dans fes yeux.
Il prend un javelot de ses mains forcenées,
Il court, il va frapper; je vis l'affreux moment
Où le traître à fa rage immoloit mon Amant,
Où la mort d'un feul coup tranchoit deux defti-
nées.

Ligdamon l'apperçoit; il n'en eft point furpris;
Et de la même main, fous qui fon luth raifonne,
Et qui fçut enchanter nos coeurs et nos efprits,
Il combat fon rival, l'abbat, et lui pardonne.
Jugez fi de l'amour il mérite le prix;

Et permettez du moins que mon coeur le lui
donne.

Ainfi parloit Eglé. L'amour applaudiffoit; Les Grecs battoient les mains, la Belle rougiffoit; Elle en aimoit encore fon Amant davantage.

Téone fe leva: fon air et fon langage
Ne connurent jamais les foins étudiés;

Lés

Les Grecs en la voyant fe fentoient égayes.
Téone, fouriant, conta fon avanture
En vers moins allongés, et d'une autre mefure,
Qui courent avec grace, et vont à quatre pieds,
Comme en fit Hamilton, comme en fait la nature.

TEONE.

Vous connoiffez tous Agaton,

Il eft plus charmant que Nirée.
A peine d'un naissant coton
Sa ronde joue étoit parée;
Sa voix eft tendre; il a le ton
Comme les yeux de Cythérée.
Vous fçavez de quel vermillon
Sa blancheur vive eft colorée ;
La chevelure d'Apollon
N'eft pas fi longue et fi dorée.
Je le pris pour mon compagnon
Auffi-tôt que je fus nubile.
Ce n'eft pas fa beauté fragile,
Dont mon coeur fut le plus épris;
S'il a les graces de Pâris,
Mon Amant à le bras d'Achile.

Un foir dans un petit bateau,
Tout auprès d'une isle Cyclade,
Ma tante et moi goûtions fur l'eau
Le plaifir de la promenade;
Quand de Lydie un gros vaiffeau
Vient nous aborder à la rade.
Le vieux Capitaine écumeur
Venoit fouvent dans cette plage
Chercher des filles de mon âge
Pour les plaifirs du Gouverneur.
En moi je ne fçais quoi le frappe;
Il me trouve un air affez beau;
Il laiffe ma tante, il me happe,
Il m'enleve comme un moineau,
Et va me vendre à fon fatrappe.

Voltaire.

Ma

Voltaire.

Ma bonne tante en glapiffant,
Et la poitrine dechirée,

S'en retourne au port du Pirée
Raconter au premier passant,
Que fa Téone eft égarée;
Que de Lydie un armateur,
Un vieux Pirate, un revendeur
De la féminine denrée

S'en est allé livrer ma fleur

Au commandant de la contrée.

Penfez-vous alors qu' Agaton

S'amufa à verfer des larmes,
A me peindre avec un crayon,
A chanter fa perte et mes charmes
Sur un petit pfaltérion?

Pour me ravoir il prit les armes:
Mais n'ayant pas de quoi payer
Seulement le moindre estafier,
Et fe fiant fur fa figure,
D'une fille il prit la coëffure,
Le tour de gorge et le panier.
Il cacha fous fon tablier

Un long poignard et fon armure,
Et courut tenter l'avanture
Dans la barque d'un Nautonier.
Il arrive au bord du Méandre,
Avec fon petit attirail.

A fes attraits, à fon air tendre,
On ne manqua pas de le prendre
Pour un ouaille du berçail,
Où l'on m'avoit déja fait vendre;
Et dès qu'à terre il put defcendre,
On l'enferma dans mon ferrail.
Je ne crois pas que de fa vie,
Une fille ait jamais goûté
Le quart de la félicité

Qui combla mon ame ravie,
Quand dans un ferrail de Lydie
Je vis mon Grec à mon côté,

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