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DIALOGUES SUR LA PEINTURE.

Parrhafius et Pouffin.

Par. Il y a déja affez long-tems qu'on nous faifoit attendre votre venue; il faut que vous foyez mort affez vieux,

Pouf Oui, et j'ai travaillé jusques dans une vieilleffe fort avancée.

Par. On vous a marqué ici un rang assez honorable à la tête des Peintres François; fi vous aviez été mis parmi les Italiens, vous feriez en meilleure compagnie. Mais ces peintres que Vafari nous vante tous les jours, vous auroient fait bien de quérelles. Il y a ces deux Ecoles Lombarde et Floren. tine, fans parler de celle qui fe forma enfuite à Ro

me.

Tous ces gens-là nous rompent la tête par leurs jaloufies. Ils avoient pris pour Juges de leurs differens Apelles, Zeuxis et moi. Mais nous aurions plus d'affaires que Minos, Eaque et Rhadamante, fi nous les voulions accorder. ils font même jaloux des Anciens, et ofent fe comparer à nous, Leur vanité eft infupportable.

Pouf. Il ne faut point faire de comparaifon; car vos ouvrages ne reftent point pour en juger, et je crois que vous n'en faites plus fur les bords du Styx. Il y fait un peu trop obfcur pour y exceller dans les coloris, dans la perfpective et dans la dégradation de lumiere. Un tableau fait ici-bas ne pourroit être qu'une nuit; tout y feroit ombre. Pour révenir vous autres Anciens, je conviens que le préjugé général eft en votre faveur. Il y a fujet de croire que votre art, qui eft du même gout que la Sculpture, avoit été pouffe jufqu'à la même perfection, et que vos tableaux égaloient les ftatues de Praxiteles, de Scopas et de Phidias; mais enfin il ne nous refte I 2

rien

Fenelon.

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Fenelon.rien de vous: et la comparaifon n'eft plus possible. Par-là vous êtes hors de toute atteinte, et vous nous tenez en respect. Ce qui eft vrai, c'est que nous autres Peintres modernes, nous devons nos meilleurs ouvrages aux modeles antiques que nous avons étudiés dans les bas-reliefs. Ces bas-reliefs quoiqu'ils appartiennent à la Sculpture, font assez entendre, avec quel gout on devoit peindre dans ce tems-là. C'est une demie peinture.

Par. Je fuis ravi de trouver un Peintre moderne fi équitable et fi modefte. Vous comprenez bien que quand Zeuxis fit des raifins qui trompoient les petits oifeaux, il faloit que la nature fût bien imitée pour tromper la nature même. Quand je fis enfuite un rideau qui trompa les yeux fi habiles du grand Zeuxis, il fe confeffa vaincu. Voiez jusqu'où nous avions pouffé cette belle erreur. Non, non, ce n'eft pas pour rien que tous les fiécles nous ont tant vantés. Mais dites moi quelque chofe de vos ouvrages. On a rapporté ici à Phocion que vous aviez fait de beaux tableaux, où il eft reprefenté. Cette nouvelle l'a réjoui. Eft -elle veritable?

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Pouf. Sans doute; j'ai representé fon corps que deux efclaves emportent hort de la ville d'Athenes. Ils paroiffent tous deux affligés, et ces deux douleurs ne fe reffemblent en rien. Le premier de ces efclaves eft vieux; il eft enveloppé dans une draperie négligée; le nud des bras et des jambes montre un homme fort et nerveux, c'eft une carnation qui marque un corps endurci au travail. L'autre eft jeune, couvert d'une tunique qui fait des plis affez gracieux; les deux attitudes font differentes dans la même action, et les deux airs de têtes font fort variés, quoiqu'ils foient tous deux ferviles.

Par. Bon, l'art n'imite bien la nature qu'autant qu'il attrape cette varieté infinié dans fes ouvrages. Mais le mort. . .

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Pouf.

Pouf. Le mort eft caché fous une draperie confufe qui l'enveloppe; cette draperie eft negligée et pauvre. Dans ce convoi tout eft capable d'exciter la pitié et la douleur.

Par. On ne voit donc point le mort?

Pouf. On ne laiffe pas de marquer fous cette draperie confufe, la forme de la tête et de tout le corps. Pour les jambes, elles font découvertes. On y peut remarquer non feulement la couleur fleutrie de la chair morte, mais encore la roideur et la pefanteur des membres affaifés. Ces deux efclaves qui emportent ce corps le long d'un grand chemin, trouvent à côté du chemin de grandes pierres taillées en quarré, dont quelques-unes font élévées en ordre au deffus des autres, en forte qu'on croit voir les ruines de quelque majestueux édifice. chemin paroît fablonneux et battu.

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Par. Qu' avez-vous mis aux deux côtés de ce tableau pour accompagner vos figures principales?

Pouf. Au côté droit font deux ou trois arbres, dont le tronc eft d'une ecorce âpre et noueufe. Ils ont peu de branches dont le verd qui eft un peu foible, fe perd infenfiblement dans le fombre azur du ciel. Derriere ces longues tiges d'arbres on voit la ville d'Athénes.

Par. Il faut un contrafte bien marqué dans le côté gauche.

Pouf. Le voici. C'eft un terrein raboteux. On y voit des creux qui font dans une ombre trèsforte, et des pointes de roches fort éclairées. Là fe préfentent auffi quelques buiffons affés fauvages. II y a un peu au deffus un chemin qui mene à une boccage fombre et épais, un ciel extrêmement clair donne encore plus de force à cette verdure fombre.

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Fenelon.

Fenelon.

Je vois que

Par Bon, voilà qui eft bien. vous favez le grand art des couleurs, qui eft de fortifier l'une par fon oppofition avec l'autre.

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Pouf. Au-déla de ce terrein rude fe, préfente un gazon frais et tendre. On y voit un Berger appuyé fur fa houlette, et occupé à regarder les moutons blancs comme la neige, qui errent en paiffant dans une prairie. Le chien du Berger eft couché et dort derrière lui. Dans cette campagne on voit un autre chemin, où paffe un chariot traîné par des m boeufs. Vous remarquez d'abord la force et la pe- fo fanteur de ces animaux, dont le cou eft penché vers la terre, et qui marchent à pas lents. Un homme d'un air ruftique eft devant le chariot, une femme bo marche derrière, et elle paroît la fidelle compagne de ce fimple villageois. 'Deux autres femmes voilées font fur le chariot.

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Nous

Par. Rien ne fait un plus fenfible plaifir que ces peintures champêtres. Nous les devons aux Poëtes, Ils ont commencé à chanter dans leurs vers les graces naïves de la nature fimple et fans art. les avons fuivis. Les ornements d'une campagne où la nature est belle, font une image plus riante que toutes les magnificences que l'art a pû inven

ter.

Pouf. On voit au côté droit dans ce chemin, fur un cheval alezan, un Cavalier enveloppé dans un manteau rouge. Le Cavalier et le cheval font penchés en avant. Ils femblent s'élancer pour courir avec plus de vîteffe. Les crins du cheval, les cheveux de l'homme, fon manteau, tout eft flottant et repouffé par le vent en arriere,

Par. Ceux qui ne favent que reprefenter des figures gracieufes, n'ont atteint que le genre mediocre. Il faut peindre l'action et le mouvement, animer les figures, et exprimer les paffions de l'amę. Je vois que vous êtes bien entré dans le goût de l'antique.

Pouf

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Pouf. Plus avant on trouve un gazon, fous le quel paroît un terrein de fable, trois figures humaines font fur cette herbe. Il y en a une debout, couverte d'une robe blanche à grands plis flottans. Les deux autres font affiffes auprès d'elle fur le bord de l'eau, et il y en a une qui joue de la lyre. Au bout de ce terrein couvert de gazon, on voit un bâtiment quarré, orné de bas-reliefs et de feftons, d'un bon goût d'Architecture fimple et noble. C'est fans doute un tombeau de quelque Citoyen qui étoit mort peut-être avec moins de vertu, mais plus de fortune que Phocion.

Par. Je n'oublie pas que vous m'avez parlé du bord de l'eau, Eft-ce la riviere d'Athènes nommée Iliffus?

Pouf. Oui, elle paroît en deux endroits aux côtés de ce tombeau, cette eau eft pure et claire. Le ciel ferein qui eft peint dans cette eau, fert à la rendre encore plus belle. Elle eft bordée de faules naiffans, et d'autres arbriffeaux tendres dont la fraîcheur rejouit la vue.

Par. Jufques-là il ne me refte rien à fouhaiter, Mais vous avez encore un grand et difficile objet à me reprefenter. C'est là que je vous attends.

Pouf. Quoi?

Par. C'eft la ville. C'est là qu'il faut montrer que vous favez l'Hiftoire, le Costume, l'Architec、

ture.

Pouf J'ai peint cette grande ville d'Athènes fous la pente d'un côteau, pour la mieux faire voir. Les bâtimens y font par degrés dans un amphitheatre naturel; cette ville ne paroît point grande du premier coup d'oeil, On n'en voit près de foi qu'un morceau affés mediocre. Mais le derriere qui s'enfuit, découvre une grande étendue d'édifices,

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Senelon.

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