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LE

PLACEMENT DES CAPITAUX FRANÇAIS

EN VALEURS AMÉRICAINES (1)

Tout le monde regarde vers la France comme réservoir de free capital. Elle a une moins grande puissance financière que la Grande-Bretagne, mais elle a chez elle ou dans ses colonies moins de demandes d'emplois de son capital. La plupart des Français ont une vertu négative, l'économie. Par l'épargne, ils obtiennent des capitaux. C'est la production qui leur coûte le moins d'efforts.

Les Français entendent vivre sur leur revenu et encore mettre de côté une certaine partie de leur revenu. Ils veulent donc avoir des valeurs qui leur garantissent un revenu fixe. De là leur passion pour les fonds d'Etat, les obligations de chemins de fer, du Crédit foncier, de la Ville de Paris, etc. Mais comme les valeurs en France ne rapportent qu'un faible revenu relativement à leur prix, ils éprouvent le besoin d'exporter leurs capitaux. C'est l'objet d'exportation qu'ils produisent le plus facilement.

Seulement, en raison de cette vertu négative, l'économie, les Français sont également prudents. Ils veulent des « placements sûrs » et jusqu'à présent, ils ont considéré que les placements de fonds d'Etat ou garantis par l'Etat étaient les plus sûrs. De là les 12 milliards qu'ils ont prêtés à la Russie.

(1) Cet article m'a été demandé par the Journal of commerce de New-York. Il s'adresse donc aux américains. Cependant avec la permission du Journal of commerce, je le reproduis dans le Journal des Economistes pensant qu'il pourrait intéresser les lecteurs français.

Les fonds américains se heurtent en France à cette habitude d'esprit. Revenant des Etats-Unis, je parlais à la Société d'Economie Politique (séance du 5 janvier 1905), des débouchés qu'offraient aux capitaux français les valeurs américaines. M. A. Neymarck, directeur du Rentier, et M. Sayous, secrétaire général de la Fédération des Industriels, déclarèrent que même les obligations de chemins de fer américains « ne pouvaient convenir à la petite épargne française modeste et tranquille ».

Dans l'opposition aux valeurs américaines, il y avait un sentiment protectionniste qui s'est manifesté dans les campagnes ardentes faites par Lysis dans la Revue, et par M. Domergue, directeur de la Réforme économique, contre les grands établissements de crédit. Ils les dénoncent comme travaillant à la ruine de la France, quand ils favorisent des émissions de valeurs étrangères. En même temps, les valeurs américaines venaient faire concurrence aux valeurs habituelles patronnées par certains établissements. Tels étaient les motifs pour les écerter.

Quand, en 1908, on a voulu introduire le common stock de l'United states steel corporation, on s'est heurté à la violente opposition des grands établissements métallurgiques.

Enfin il faut tenir compte de l'aspect sous lequel les littérateurs, les observateurs plus ou mons superficiels ont présenté les Etats-Unis à l'imagination des Français. Leurs entreprises apparaissent si gigantesques qu'elles prennent un aspect de féeries exposées à s'écrouler dans un effondrement théâtral. Le petit capitaliste français a de la méfiance.

En dehors de ces obstacles psychologiques, il y en a de matériels.

Supposons un Français qui veut se renseigner. Il ouvre le Poor's Manual of Railways. Il voit que, dans la Compagnie dont on lui propose les bonds, il y en a de trois ou quatre sortes les uns sont en première hypothèque, les autres ont pour gages telles ou telles lignes, les autres du matériel, avec la garantie d'un trust jusqu'à 90 %. Il voit des amortissements d'un siècle. Habitué aux obligations de chemins de fer français, gagées sur toute la propriété de la compagnie, il éprouve quelque inquiétude. Il se demande si l'obligation qui lui est offerte lui donne toutes les garanties. Est-ce la plus sûre? Pour qu'il la prenne, il fait confiance aux banquiers qui la lui présentent plus qu'à la valeur elle-même. De plus, il est habitué à un amortissement rapide et automatique. Il ne comprend pas bien le système des compagnies américaines qui, ayant des conces

sions perpétuelles et trouvant inutile de rembourser d'un côté et d'emprunter de l'autre, emploient leurs augmentations de recettes à améliorer leurs lignes et leur matériel. Quand il ne voit pas d'amortissement précis, il a de la méfiance. Les promoteurs en France des obligations du Cleveland, Cincinnati, Chicago and Saint-Louis, et de celles du Chicago-Milwaukee and SaintPaul, ont supprimé cette difficulté en prévoyant un amortissement très rapide. Ces obligations sont des debentures, qui n'ont pas de gages spéciaux comme les bonds.

Une difficulté matérielle vient de la forme des titres américains qui, en matière d'obligations, éloigne beaucoup d'acheteurs, en raison des grosses coupures qui sont pratiquées aux Etats-Unis. En effet, la coupure généralement adoptée en Amérique est de $: 1.000 ou 5.150 francs environ.

En ce qui concerne les actions, la question est encore plus complexe, parce que les actions américaines sont nominatives. Leur introduction sur le marché français sous cette forme est absolument impossible; il a donc fallu trouver un moyen qui a été employé du reste dans le cas de l'Utah Copper et de l'U. S. Rubber, de façon à transformer ces actions nominatives en titres au porteur.

Pour arriver à cette fin, les actions originales américaines sont déposées entre les mains d'un Trust Company, qui vre en échange des certificats représentatifs au porteur français, titre pour titre, de façon à donner toute sécurité au porteur français. Les actions américaines déposées sont immatriculées au nom de la Trust Company en tant que fideicommissaire. Mais qui représente ces actions dans les assemblées générales d'actionnaires?

Jusqu'ici les valeurs américaines qui ont été introduites sur le marché français sont les suivantes:

1° Pennsylvania 3 3/4 %, émission de 250 millions de francs d'obligations en 1906, en coupures de 500 francs remboursables au pair le 15 juin 1920 avec faculté de remboursement par an ticipation à partir du 15 juin 1918. La compagnie ne peut user de cette faculté qu'en remboursant la totalité de l'emprunt. Prix d'émission 99% ou 495 francs.

2° New-York New-Haven Hartford 4 % émission de 145 mil lions de francs d'obligations émises en 1907, au prix de 490 fr., coupures de 500 fr. remboursables au pair le 1er avril 1922.

3o Les seules actions américaines introduites en France sur le marché en banque de Paris sont:

1° Utah Copper, introduites le 9 juin 1909.

2° U. S. Rubber, 1st Preference, introduites le 9 juin 1909. Ces actions ont été introduites par les soins de la maison P. Dupont et M. H. Furlaud.

D'ici quelques jours, il va être offert sur le marché français, par les soins des grandes banques de Paris, plusieurs émissions d'obligations de chemins de fer américains (1).

La première est de 50 millions de francs du Cleveland, Cincinnati, Chicago and Saint-Louis. Ces obligations, qui rappor tent 4 % d'intérêt, seront offertes au prix de 485 francs.

La seconde est une émission de 250 millions de francs d'obligations 4 % du Chicago, Milwauke and Saint-Paul, au même prix d'émission.

D'une manière générale, les valeurs étrangères, autres que les fonds d'Etat, offertes publiquement en vente en France, doivent être abonnées au Timbre français. L'abonnement au Timbre français comporte l'engagement par la Compagnie qui demande l'admission de ses titres, de payer trois taxes:

1° L'impôt sur le Timbre;

2o L'impôt de transmission;

3° L'impôt sur le revenu des valeurs.

Mais les sociétés étrangères n'acquittent ces taxes que sur une fraction de leurs titres correspondant à l'importance de la circulation en France. La quotité imposable ne peut être inférieure pour les actions à un dixième et pour les obligations à deux dixièmes du capital. Elle est fixée par le ministre des Finances sur l'avis préalable de la commission des valeurs mobilières pour une période de trois ans.

Il faut, de plus, que la Compagnie fasse agréer par le Gouvernement français un représentant responsable. La demande d'abonnement, ainsi que la demande d'introduction à la Bourse, doit être signée par la Compagnie elle-même. L'abonnement donne lieu également à la publication au Journal officiel d'une série de renseignements sur la société dont le détail a été fixé par la loi du 30 janvier 1907.

Ces taxes fiscales, détestables, sont vigoureusement attaquées, Elles pourront disparaître un jour ou l'autre.

Comme conclusion, je dirai que les obligations conviennent actuellement le mieux au public français; mais des banquiers ex

(1) Ces émissions ont eu lieu depuis que l'article a été envoyé à New-York.

périmentés pensent que si on offrait sur le marché de Paris de bonnes actions des grandes Compagnies de chemins de fer ou autres, elles trouveraient certainement un très bon accueil auprès des Français. C'est une question de temps et d'éducation. Ils ont besoin d'être mis au courant de la réalité par la publication de documents et d'informations présentés avec précision, concernant la situation économique et financière des entreprises américaines.

YVES GUYOT.

Cet article était envoyé à New-York dans les premiers jours de mai. Depuis, un incident très grave a pu donner de la méfiance à l'égard des valeurs américaines en général et des valeurs de chemins de fer en particulier. Des compagnies des chemins de l'Ouest avaient décidé de relever leurs tarifs à partir du 1er juin. Pourquoi? Parce que les salaires, de 1897 à 1908, ont augmenté de plus de 19 %, pour la majorité des ouvriers et employés, de plus de 34 % pour le personnel des trains et les mécaniciens.

Grande émotion! M. Taft s'est fait immédiatement l'interprète de l'opinion, fondée ou non. L'attorney général, M. Wickersham, a décidé des poursuites contre quarante directeurs des compagnies de l'Ouest parce que le relèvement de leurs tarifs paraissait concerté. Les compagnies de l'Est, qui annonçaient aussi un relèvement, ne paraissant pas avoir agi d'après un accord préalable, étaient en dehors de la poursuite.

L'annonce de ces poursuites a provoqué un effondrement dans les cours de Wall street. La valeur du capital des compagnies et celle des obligations qu'elles ont émises sont basées sur la propriété qu'elles ont de leurs tarifs. Si l'Etat en fait sa chose, il les confisque.

Or, au mois de janvier, le président avait saisi le Congrès d'un Bill qui augmentait les pouvoirs de l'Interstate Commission dans l'administration des compagnies de chemins de fer. Datant de 1887, le bill qui l'a établie a déjà subi une douzaine de modifications, dont les principales sont l'Elkins law de 1903 et la Hepburn law de 1906. Jusqu'à l'Elkins law, l'Interstate commission pouvait seulement dénoncer un tarif comme déraisonnable, elle ne pouvait engager des poursuites que pour ristournes illégales. D'après l'Elkins law, l'Interstate commission peut engager des poursuites à la condition qu'elle soit saisie de la plainte d'un transporteur.

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