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143524

DES

ÉCONOMISTES

LES

ARGUMENTS PROTECTIONNISTES

EN FRANCE ET AUX ÉTATS-UNIS

I. Pudeur.

de 1892.

((

II. Le prix de revient. III. Résultats du tarif
IV. Politique d'isolement économique. V. « The
VI. Ignorance économique.

True principle », aux Etats-Unis.

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M. Méline et M. Sculfort ont essayé de faire, au Sénat, la théorie de la révision du tarif des douanes. La lecture de leurs discours est intéressante, parce qu'elle montre les efforts faits par leurs auteurs pour accorder des idées contradictoires.

M. Méline « Je commence par déclarer que cette révision ne constitue à aucun degré un pas nouveau dans la voie du protectionnisme. »>

Pourquoi donc cette pudeur ? Pourquoi, au lieu de dissimuler la vérité, ne pas la proclamer? On a dit que l'hypocrisie était un hommage rendu à la vertu. M. Méline se trouve contraint de rendre hommage au libre-échange. M. Méline déclare que «nous avons répondu aux spécialisations allemandes en refusant d'user des mêmes armes ». Je croyais, d'après les rapports et les discours de MM. Klotz et Morel, que la revision du tarif avait pour objet d'en établir. Si elle n'en a pas établi,

une partie des motifs à l'aide desquels on avait essayé de la justifier a disparu.

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M. Sculfort a dit : « La main-d'œuvre en Allemagne ayant augmenté, l'Allemagne a remanié son tarif en 1902. »

M. Méline a repris le même argument les prix de production sont plus élevés en France que dans les autres pays, done il faut augmenter nos tarifs de douane.

Mais cette augmentation des tarifs de douane diminuera-t-elle les frais de production? Non. Elle les augmentera, comme le prouve l'exemple suivant :

Le nouveau tarif contient un article 562 quater comprenant les montures de parapluies, divisées en neuf catégories.Au tarif actuel, elles payaient 40 fr. au tarif général et 30 fr. au tarif minimum la Chambre a porté les droits de certaines d'entre elles à 53 fr. et 45 fr., le Sénat à 150 fr. et 100 fr.

M. Alexandre Lefèvre a demandé le maintien des chiffres de la Chambre; M. Francis Charmes, M. Monis, M. Lintilhac, ont demandé le maintien des droits actuels. M. Noël a répondu : « Le droit établi en 1892 sur les fils de monture a déjà été relevé. L'importation des montures à continué. C'est la preuve que le droit sur les montures doit encore être rehaussé. »

Voilà l'argument protectionniste dans toute sa beauté. Mais à qui servent les montures de parapluies? Aux fabricants de parapluies. S'ils les paient plus cher, ils devront vendre plus cher leurs parapluies donc, même à l'intérieur, la consommation en subira un arrêt. Mais les fabricants de parapluies qui se trouvent dans le Cantal, à Bordeaux, à Châlons, à Lyon, en exportent aussi. Or, si le prix de leurs parapluies est trop élevé, ce débouché leur manquera. Ce sera donc la ruine pour cux. Les parapluies ne seront point arrêtés à la frontière par les tarifs des autres nations. Ils seront arrêtés par leur propre prix.

Cette argumentation, visant les fabricants de parapluies, avait paru si claire que le Sénat avait repoussé les chiffres de sa Commission et que le numéro avait été réservé, sur la demande du rapporteur de la Commission (Séance du 23 mars) (1). Mais si cette argumentation est vraie pour les parapluies, elle est vraie

(1) Depuis il a été adopté.

pour tous les objets;et du moment qu'elle avait convaincu le Sénat pour un objet, elle annulait toutes les prétendues démonstrations de MM. Méline, Noël et autres.

Le gouvernement a été assez ferme pour empêcher un relèvement sur les soies, qui aurait rompu la convention avec la Suisse.

Mais M. Gustave Rivet aurait voulu « un relèvement de droits pour défendre l'industrie de la soie, et, par conséquent, le salaire de la main-d'œuvre. »

L'industrie de la soie a exporté en 1909 une valeur de 221 millions de francs en quoi un relèvement de droits auraitil favorisé cette exportation, qui atteint près de la moitié du ehiffre de la production?

Sur un point, je suis d'accord avec M. Méline l'industrie française ne doit pas faire de la camelote. Mais si M. Méline lui donne ce conseil verbal, il la pousse à en faire, en augmentant le prix de revient de ses produits.

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M. Méline a fait l'apologie du régime de 1892, qui est son œuvre. « Ce régime a donné des résultats tellement satisfaisants... Ils sont évidents... » Et M. Méline essaie de prouver « que les prédictions sinistres qu'on avait accumulées à la naissance de notre régime, en 1892, ont été démenties par les événements. » M. Méline compare les chiffres de 1909, qui ne sont que provisoires, à ceux de 1891 les importations ont passé de 4.768 millions à 5.972 millions, c'est-à-dire plus d'un milliard en plus. Et M. Méline ajoute triomphalement : « Voilà comment notre marché a été fermé à l'importation étrangère ! » Mais est-ce de la faute de M. Méline et de ses amis si les importations ont augmenté ? Est-ce que leurs tarifs de douanes n'avaient pas pour objet de les restreindre et de les arrêter ? Cette augmentation des importations est une preuve que des tarifs de douanes ne peuvent supprimer la division du travail entre les nations.

M. Méline continue: «Avant 1892, de 1884 à 1891, nos importations de produits fabriqués étaient de 508 millions de francs; en 1909, elles ont passé à 1.146 millions: elles ont plus que doublé. » M. Méline est logique. Il en conclut: « Nos tarifs sont plutôt inefficaces que trop élevés. >>

Il y a à en tirer une autre conclusion, que ne voient pas les

protectionnistes des tarifs de douanes peuvent élever les droits à l'entrée ; mais ils augmentent en même temps les frais de production à l'intérieur. Il en résulte que, si un pays fournisseur maintient son prix de revient à ce qu'il était avant l'élévation des droits de douanes, il peut continuer à expédier les produits frappés. A plus forte raison, continuera-t-il son exportation, si son prix de revient a diminué. M. Lambiotte, le sénateur belge, montrait à la Société d'Economie politique (1) que, pour ce motif, les produits belges n'avaient pas été refoulés de la France par les tarifs de 1892.

M. Méline célèbre à la fois la stabilité des tarifs de 1892, qui n'ont été changés que trente-huit fois en dix-huit ans, et dont les changements ont porté sur près de cent cinquante articles ! Il déclare lui-même « qu'il faut suivre pas à pas les mouvements qui se produisent au dehors et mettre les tarifs à jour. Les choses marchent dans l'industrie... >>

Elles marchent, en dépit des tarifs. Les protectionnistes guettent les progrès du dehors, afin d'en préserver leurs compatriotes.

M. Méline, après avoir fait l'apologie du régime de 1892, conclut « Je vis dans le monde industriel; eh bien! laissezmoi vous dire que l'esprit d'entreprise et d'initiative est découragé. »

Pour quelle part entrent les tarifs protectionnistes dans ce découragement de l'esprit d'entreprise et d'initiative? Il ne vient pas à l'idée de M. Méline de se poser cette question; et résolûment, il propose des élévations de droits qui, ayant pour résultat d'augmenter les frais de production, ne sont pas de nature à réveiller l'esprit d'entreprise et d'initiative.

M. Méline dit : « En 1890, l'importation des produits fabriqués était de 618 millions; elle a passé à 1 milliard 116 millions en 1908, soit une augmentation de 81 %. Quant à notre exportation, qui était de 1 milliard 951 millions, elle ne dépasse pas 2 milliards 520 millions; par suite l'augmentation est seulement de 29 %. Je vous prie de retenir ces chiffres, qui justifient pleinement la révision proposée. »>

Je réponds Ils la condamnent; non seulement ils la condamnent, mais ils condamnent les tarifs de 1892.

Ils n'ont pas empêché l'augmentation des importations des objets fabriqués, pourquoi ? Parce qu'ayant augmenté les prix

(1) Journal des Economistes. Compte rendu, 15 mars 1910.

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