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annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.

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Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large' qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer. Je ne veux pas rapporter tous ses effets.

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5 Qui ne sait que la vue de chats, de rats, l'écra

1. [Que le chemin qu'il occupe en marchant à son ordinaire, quelque sûrement soutenue qu'elle soit.]

2. Je mets en fait que.]

3. [Suer et.]

4. Pascal avait recueilli ces exemples dans l'Apologie de Raymond Sebond: « Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clair-semez, qui soit suspendue au hault des tours Nostre-Dame de Paris; il verra, par raison evidente, qu'il est impossible qu'il en tumbe; et si ne se sçauroit garder (s'il n'a accoustumé le mestier des couvreurs) que la veue de cette haulteur extreme ne l'espovante et ne le transisse : car nous avons assez affaire de nous asseurer aux galeries qui sont en nos clochiers, si elles sont façonnees à iour, encores qu'elles soient de pierre; il y en a qui n'en peuvent pas seulement porter la pensee. Qu'on iecte une poultre entre ces deux tours, d'une grosseur telle qu'il nous la fault à nous promener dessus, il n'y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme nous ferions si elle estoit à terre... Les medecins tiennent qu'il y a certaines complexions qui s'agitent, par aulcuns sons et instruments, jusques à la fureur. I en ay veu qui ne pouvoient ouïr ronger un os soubs leur table, sans perdre patience; et n'est gueres homme qui ne se trouble à ce bruit aigre et poignant que font les limes en raclant le fer; comme, à ouïr mascher près de nous, ou ouïr parler quelqu'un qui ayt le passage du gosier ou du nez empesché, plusieurs s'en esmeuvent iusques à la cholere et la haine. ». Cf. dans le livre I, l'Essai xx de la force de l'imagination : « Nous tressuons, nous tremblons, nous paslissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations. >>

5. Les deux paragraphes suivants en surcharge.

sement d'un charbon ', etc., emportent la raison hors des gonds1? Le ton de voix impose aux plus sages, et change un discours et un poème de force3.

L'affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouvet-il plus juste la cause qu'il plaide! combien son geste hardi la fait-il paraître meilleure aux juges, dupés par cette apparence! Plaisante raison qu'un vent manie, et à tout sens!

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Je rapporterais presque toutes les actions des hommes qui ne branlent presque que par ses se

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1. [Le son d'une vis (le son que fait.]

2. [Un son fait grincer les dents.]

3. « On m'a voulu faire accroire qu'un homme, que touts nous aultres François cognoissons, m'avoit imposé en me recitant des vers qu'il avoit faicts; qu'ils n'estoient pas tels sur le papier qu'en l'air, et que mes yeulx en feroient contraire iugement à mes aureilles tant la prononciation a de credit à donner prix et façon aux ouvrages qui passent à sa mercy. » (Ibid..)

4. « Vous recitez simplement une cause à l'advocat : il vous y respond chancellant et doubteux ; vous sentez qu'il luy est indifferent de prendre à soustenir l'un ou l'aultre party : l'avez vous bien payé pour y mordre et pour s'en formaliser, commence il d'en estre interessé, y a il eschauffé sa volonté ? sa raison et sa science s'y eschauffent quand et quand; voylà une apparente et indubitable verité qui se presente à son entendement; il y descouvre une toute nouvelle lumiere, et le croit à bon escient, et se le persuade ainsi. » (Ibid.)

5. (Plus.]

6. [Service.]

7. Montaigne avait employé vis-à-vis du jugement une expression semblable: « Vrayement il y a bien de quoy faire une si grande feste de la fermeté de cette belle piece qui se laisse manier et changer au bransle et accident d'un si legier vent! » (Ibid.)

8. Pascal avait écrit cette phrase immédiatement après celle-ci : je ne veux pas rapporter tous ses effets.

9. [Qui n'agissent presque que.]

cousses. Car la raison a été obligée de céder, et' la plus sage prend pour ses principes ceux que l'imagination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu.

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[Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou au jugement du commun des hommes. Il faut juger au jugement de la plus grande partie du monde. Il faut, puisqu'il lui a plu, travailler tout le jour et se fatiguer, pour des biens' reconnus pour imaginaires, et quand le sommeil nous a délassés des fatigues de notre raison, il faut incontinent se lever en sursaut pour aller courir après les fumées et essuyer les impressions de cette maîtresse du monde. - Voilà un des principes d'erreur, mais ce n'est pas le seul. L'homme a eu bien raison d'allier du vrai au faux, quoique dans cette paix l'imagination ait bien amplement l'avantage; car dans la guerre elle l'a bien plus : jamais la raison ne surmonte' l'imagination alors que l'imagination démonte souvent tout à fait la raison de son siège.]

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Nos magistrats ont bien connu ce mystère 10.

1. [Prend pour les principes.]

2. Cf. fr. 414: « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou. » 3. [Des hommes.]

4. [Imaginaires [Quoiqu'imaginaires.]

5. [La raison [la nature] nous a délassés des [impressions] de notre [imagination et mis dans un calme admirable.]

6. [Suivre.]

7. [Jamais [tout.]

8. A la page 369 du manuscrit.

9. [Cela.]

10. Pour l'emploi remarquable de ce mot, cf. La Rochefoucauld: « La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit. » (Max., 257).

Leurs robes rouges, leurs hermines', dont ils s'emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés; la majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle-même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instruments qui frappent l'imagination à laquelle ils ont affaire; et par là, en effet, ils s'attirent le respect3. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle, ils s'établissent par la force, les autres par grimace".

1. [Toute leur chafourrure.] Rabelais Pantagruel, V, 11.

Souvenir d'un fameux chapitre de

2. [Font trembler le peuple en qui l'imagination abonde : ils ne peuvent pas croire qu'un homme qui n'a pas de soutane soit aussi grand médecin ; les eschevins sont en habit court; mais la pompe des rois est encore plus

éclatante [étonnante.] Ces réflexions ont été reprises et développées en marge. Nous lisons pompe et non pourpre; d'ailleurs la suite des idées l'exige (cf. le paragraphe suivant).

3. « Qu'il oste son chapperon, sa robe et son latin, qu'il ne batte pas nos aureilles d'Aristote tout pur et tout crud : vous le prendrez pour l'un d'entre nous, ou pis. » (Mont., III, 8.)

4. [Force.]

5. Pascal dit dans un autre fragment: « Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d'un premier président, et le fait voler par la fenêtre » (Fr. 310.)

C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas1 masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels; mais ils se sont accompagnés de gardes2, de hallebardes. Ces trognes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les environnent, font trembler les plus fermes; ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires".

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Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat

1. [Couverts.]

2. [De troupes, de forces.]

3. [Suivent.]

4. [Imagination.]

5. [Turc au milieu de] son sérail [et].

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6. Cf. ce que dit Pascal lui-même (fr. 307): « Le chancelier est grave et revêtu d'ornements, car son poste est faux et non le roi il a la force, il n'a que faire de l'imagination. Les juges, médecins, etc. n'ont que l'imagination », et le fragment 308: « La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d'avec leurs suites, qu'on y voit d'ordinaire jointes. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle; et de là viennent ces mots : « Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, etc ». Ce fragment est intéressant à rapprocher du passage que nous commentons, parce qu'il montre comment par l'intermédiaire de la coutume (nous dirions de l'association des idées), la force qui est effective peut donner naissance à la vanité de l'imagination, et comment se concilient les deux puissances que Pascal oppose ici.

7. [Le bonnet.]

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