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Misère.

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La seule chose qui nous console1 de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus grande de nos misères; car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela, nous serions dans l'ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d'en sortir; mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort 3.

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*Nous ne nous tenons jamais au temps présent". Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir,

sespoir les accable? vistes vous iamais rien si rabbaissé, si changé, si confus? Il y fault pourveoir de meilleure heure et cette nonchalance bestiale, quand elle pouvoit loger en la teste d'un homme d'entendement, ce que ie treuve entierement impossible, nous vend trop cher ses denrees. » (I, xix.)

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Cf. B., 198; C., 99; Bos., I, vii, 3; FAUG., II, 40; Hav., II, 4; MOL., I, 59; MICH., 216.

1. De nos misères, en surcharge.

2. Nous dirions aujourd'hui nous fait perdre.

3. Cf. le développement de Port-Royal pour son chapitre xxvi, que nous avons cité en note du fragment 139, page 53.

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Cf. B., 13; C., 31; P. R., XXIV, 12; Bos., I, vi, 5; FAUG., II, 43; HAV., III, 5; MOL., I, 110; MICH., 42.

4. [Le temps qui nous a portés jusqu'ici par sa succession continuelle

nous a plus accoutumés au branle que.]

5. [Nous appelons l'avenir (le passé.] 6. [Ou rappelons.]

comme pour

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hâter son cours; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt': si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons' sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

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Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin le passé et le présent sont nos moyens; le seul

:

I. [L'avenir, et voyons.]

2. [Et qui sont [et sommes si imprudents que.]

3. Si vains que, en surcharge.

4. Échapper, employé comme actif n'était plus guère usité au XVIIe siècle, que dans le sens d'éviter. Aussi la Copie corrige-t-elle laissons échapper, mais au xvIe siècle échapper s'emploie avec le complément direct dans le sens de laisser échapper: « Ce levrier n'eschappoyt ni lievres ni renards devant lui. » (Rabelais apud Littré). Cf. Montaigne : « Qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et eschapper. >>

5. (Plaît.]

6. [Presque jamais.]

avenir est notre fin'. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre; et3, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais".

1. Pascal s'est souvenu du troisième chapitre du Ier livre des Essais, qui débute ainsi : « Ceulx qui accusent les hommes d'aller tousiours beants aprez les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presents et nous rasseoir en ceulx là, comme n'ayants aulcune prinse sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils osent appeler erreur chose à quoy nature mesme nous achemine pour le service de la continuation de son ouvrage : nous impriment, comme assez d'aultres, cette imagination faulse, plus ialouse de nostre action que de nostre science.

<< Nous ne sommes iamais chez nous; nous sommes tousiours au delà: la crainte, le desir, l'esperance, nous eslancent vers l'advenir, et nous desrobbent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. >>

La Bruyère a dit également : « La vie est courte et ennuyeuse; elle se passe toute à désirer. L'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les désirs on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint; si l'on eût guéri, ce n'était que pour désirer plus longtemps. » (La Bruyère, De l'Homme.) Enfin on connaît le vers de Voltaire auquel renvoyait déjà Condorcet :

Nous ne vivons jamais, nous attendons la vie.

2. [Notre.]

3. [Jamais nous ne pouvons jouir d'une heure.]

4. Nous ne le sommes.]

5. On trouve dans les Lettres à Mlle de Roannez (VIII, olim. 7) une transposition religieuse de ces remarques psychologiques : « Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à la vie présente et à l'instant où l'on vit; mais à celui où l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. >>

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Ils disent que les éclipses présagent malheur, parce que les malheurs sont ordinaires, de sorte qu'il arrive si souvent du mal, qu'ils devinent souvent; au lieu que s'ils disaient qu'elles présagent bonheur, ils mentiraient souvent. Ils ne donnent le bonheur qu'à des rencontres du ciel rares; ainsi ils manquent peu souvent à deviner2.

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Misère.

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3 -Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l'homme : l'un le plus heureux, et l'autre le plus malheureux; l'un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l'autre la vérité des maux.

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Cf. B., 337; C., 289; FAUG., I, 210; Hav., XXV, 13; MoL., I, 114; MICH., 325.

1. [Qu'elles sont ordinaires et.]

2. C'est l'exemple que la Logique de Port-Royal reprend, pour illustrer le sophisme post hoc ergo propter hoc : « Que s'il arrive quelquefois des guerres, des mortalités, des pestes et la mort de quelque prince après des comètes ou des éclipses, il en arrive aussi sans comètes et sans éclipses; et d'ailleurs ces effets sont si généraux et si communs, qu'il est bien difficile qu'ils n'arrivent tous les ans en quelque endroit du monde de sorte que ceux qui disent en l'air que cette comète menace quelque grand de la mort, ne se hasardent pas beaucoup. »> (Troisième partie, ch. XIX, sect. 3.)

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Cf. B., 196; C., 7; P. R., XXVIII, 45; Bos, II, xvii, 58; Faug., II, 79; HAV., XXIV, 48; MOL., I, 68; MICH., 215.

3. C'est-à-dire, pour Pascal, l'auteur de l'Ecclésiaste.

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Nous nous connaissons si peu que plusieurs pensent aller mourir quand ils se portent bien; et plusieurs pensent se porter bien quand ils sont proches de mourir, ne sentant pas la fièvre prochaine, ou l'abcès prêt à se former1.

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Cromwell allait ravager toute la chrétienté; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même allait trembler sous

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174 bis

Cf. B., 20; C., 40; FAUG., II, 79; MICH., 41.

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Cf. B., 380; C., 339; FAUG., I, 199; HAV., XXV, 8; MoL., I, 43; MICH., 717.

1. Pascal se souvient ici d'un passage de Montaigne : «< Combien a la mort de façons de surprinse ?

Quid quisque vitet, nunquam homini satis

Cautum est in horas !

le laisse à part les fiebvres et les pleuresies, » etc. (I, 19).

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Cf. B., 393; G., 263; P. R., XXIV, 14; Bos., I, vi, 7; Faug., I, 185; HAV., III, 7; MOL., I, 115; MICH., 485.

2. Même en surcharge.

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