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beaux arts, mais is ne cultivent l'un que pour l'autre. Un objet, un événemeut frappe un negre; il en fait auffi-tôt le fujet d'une chanson. Ce fut dans tous les âges l'origine de la poësie, Trois ou quatre paroles qui fe répetent alternativement entre le chanteur et les affiftans en choeur, forme quelquefois tout le poëme. Cinq ou fix mefures font toute l'étendue de la chanson. Ce qui paroît fingulier, c'eft que le même air, quoi. qu'il ne foit qu'une répétition continuelle des mêmes tons, les occupe, les fait travailler ou danfer pendant des heures entieres: il n'entraìue pas pour eux ni même pour les blancs, l'ennui de l'uniformité que devroient causer ces répétitions. Cette efpece d'intérêt est dû à la chaleur et à l'expression qu'ils mettent dans leurs chants. Leurs airs font presque toujours à deux temps. Aucuns n' excitent la fierté. Ceux qui font faits pour la tendreffe, inspirent plutôt une forte de langueur. Ceux même qui font les plus gais, portent une certaine empreinte de mélancolie. C'eft la maniere la plus profonde de jouir pour les ames fenfibles. La mélancolie recueille la joye, où l'amour a femé la trifteffe.

Un penchant fi vif, folemnellement attefté par un observateur exact né en Amérique, pourroit devenir un grand mobile entre des mains habiles. On s'en ferviroit pour établir des fêtes, des jeux, des prix. Ces amusemens économifés avec intelligence, empê cheroient la ftupidité fi ordinaire dans les efclaves, allegeroient leurs travaux, et les préferveroient de ce chagrin dévorant qui les confume, qui abrege si gé-néralement leurs jours. Après avoir pourvu à la confervation des noirs apportés d'Afrique, on s'occuperoit de ceux qui font nés dans les Isles mêmes.

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Ce ne font pas les negres qui refusent de fe multiplier dans les chaines de leur esclavage. C'est la cruauté des leurs maîtres qui a fu rendre inutiles pour

Nous exigeons des

eux-mêmes le voeu de la nature. négrelles des travaux fi durs, avant et après leur groffelle, que leur fruit n'arrive pas à terme, ou furvit peu à l'accouchement. Quelquefois même on voit des meres désespérées par les châtimens que la foiblesse de leur état leur occafionne, arracher leurs enfans du ber ceau pour les étouffer dans leurs bras, et les immoler avec une fureur mèlée de vengeance et de pitié, pour en priver des maîtres barbares. Cette atrocité dont

toute l'horreur retombe fur les Européens, leur ouvrira peut-être les yeux. Leur fenfibilité sera réveillée par des intérêts mieux combinés. Ils connoîtront qu'ils perdent plus qu'ils ne gagnent à outrager perpétuellement l'humanité; et s'ils ne deviennent pas les bienfaiteurs de leurs efclaves, du moins cefferont-ils d'en être les bourreaux.

Après avoir pris des mefures fages pour ne pas priver leurs habitations des fecours que leur offre une fécondité presqu'incroyable, ils fongeront à nourrir, à étendre la culture par la population, fans moyens étrangers. Tout les invite à établir ce fyftême facile et naturel.

Il y a quelques puiffances dont les établissemens des Isles de l'Amérique acquierent tous les jours de l' étendue, et il n'y en a aucune dont la masse de travail n'augmente continuellement. Ces terres exigent donc de jour en jour un plus grand nombre de bras pour leur exploitation. L'Afrique, où les Européens vont recruter la population de leurs colonies, leur fournit graduellement moins d'hommes; et en les don nant plus foibles, elle les vend plus cher. Cette mine d'efclaves s'épuifera de plus en plus avec le temps.. Mais cette révolution dans le commeree fût-elle auffi chimérique qu'elle paroît prochaine, il n'en refte pas moins démontré, qu' un grand nombre d'efclaves tirés

d'une

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d'une région éloignée périt dans la traverfée ou dans un nouvel hémisphere; qu'ils coûtent tous près de cent pistoles; qu'il y en a peu dont la vie ordinaire ne foit abrégée, et que la plupart de ceux qui parviennent à une vieilleЛfe malheureuse, font extrêmenent bornés, accoutumés dès l'enfance à l'oifiveté, souvent peu propres aux occupations, qu'on leur destine, et continuellement désespérés d'ètre séparés pour toujours de leur patrie. Si nous ne nous trompons, des cultivateurs nés dans les Isles même de l' Amérique, respirant toujours leur premier air, élevés fans autre dépense qu'une nourriture peu chere, formés de bonne heure au travail par leurs propres peres, doués d'une intelligence ou d'une aptitude finguliere pour tous les arts: ces cultivateurs devroient être préférables à des efclaves vendus, expatriés et toujours forcés.

Le moyen de fubftituer aux noirs étrangers, ceux des colonies même, s'offre fans le chercher. Il fe réduit à foigner les enfans noirs qui naissent dans les isles; à concentrer dans leurs atteliers cette foule d' efclaves qui promenent leur inutilité, leur libertinage, le luxe et l'infolence de leurs maîtres dans toutes les villes et les Ports de l'Europe, fur-tout à exiger des navigateurs, qui fréquentent les côtes d'Afrique, qu'ils forment leur cargaifon d'un nombre égal d'hommes et de femmes, ou même de quelques femmes de plus durant quelques années, pour faire ceffer plutôt la disproportion qui se trouve entre les deux fexes.

Cette derniere précaution, en mettant les plaisirs de l'amour à la portée de tous les noirs, les confoleroit et les multiplieroit. Ces malheureux oubliant le poids de leurs chaines, fe fentiront renaître. Ils font la plupart fideles jusqu'à la mort aux négresses que l' amour et l'esclavage leur ont données pour compagnes; ils les traitent avec cette compassion que les miférables

puisent

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puisent mutuellement les uns pour les autres dans la dureté même de leur fort; ils les foulagent fous le fardeau de leurs occupations; ils s'affligent du moins avec elles, lorsque par l'excès du travail, ou par le défaut de nourriture, la mere ne peut offrir à fon enfant qu' une mamelle tarie ou baignée de ses larmes. De leur côté, les femmes, quoiqu'on ne leur falle pas une obligation d'être chaftes, font inébranlables dans leurs engagemens, lorsque la vanité d'être aimées des blancs, ne les rends pas volages. Malheureusement c'eft une tentation d'inconstance, où elles n'ont que trop fouvent occafion de fuccomber.

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Ceux qui ont cherché les caufes de ce goût pour les negreifes, qui paroît fi dépravé dans les Européens, en ont trouvé la fource dans la nature du climat qui fous la zone torride entraîne invinciblement au phyfique de l'amour; dans la facilité de fatisfaire fans contrainte et fans affiduité ce penchant infurmontable; dans un certain attrait piquant de beauté qu'on trouve bientôt dans les négrelles, lorsque l'habitude a familiarilé les yeux avec leur couleur; fur-tout dans une ardeur de tempérament qui leur donne le pouvoir d' inspirer et de fentir les plus brûlans transports. Auffi se vengent-elles, pour ainfi dire, de la dépendance humiliante de leur condition, par les paffions defordonnées qu'elles excitent dans leurs maîtres; et nos courtifannes en Europe n'ont pas mieux que les efclaves négreffes l'art de confommer et de renverfer de grandes fortunes. Mais les Africaines l'emportent fur les Européennes en véritable passion pour les hommes qui les achetent. C'eft à la fidélité de leur amour qu'on a dû plus d'une fois le bonheur d'avoir décou vert et prévenu des confpirations qui auroient fait égorger tous les oppreffeurs fous le couteau de leurs efclaCe châtiment fans doute étoit bien merité par la double

ves.

double tyrannie de ces indignes raviffeurs des biens et de la liberté de tant de peuples.

Car on ne s'avilira pas ici jusqu'à groffir la lifte ignominieuse de ces écrivains qui confacrent leurs talens à juftifier par la politique, ce que réprouve la morale. Dans cent fiécles où tant d'erreurs font courageusement démasquées, il feroit honteux de taire des verités importantes à l'humanité. Si tout ce que nous avons déjà dit n'a paru tendre qu'à diminuer le poids de la fervitude; c'eft qu'il falloit foulager d'abord des malheureux qu'on ne pouvoit délivrer; c'eft qu'il s'agiffoit de convaincre leurs oppresseurs mème qu'ils étoient cruels au préjudice de leurs intérêts. Mais en attendant que de grandes révolutions peut-être fassent fentir l'évidence de cette vérité, il convient de s'élever plus haut. Demontrons d'avance qu'il n'est point de raifon d'état qui puisse autoriser l'efclavage. Ne craignons pas de citer au tribunal de la lumiere et de la juftice éternelle, les gouvernemens qui tolérent cette cruauté, ou qui ne rougiffent pas même d'en faire la base de leur puissance.

Montesquieu n'a pu fe réfoudre à traiter férieulement la question de l'efclavage. En effet c'eft dégrader la raison que de l'employer, on ne dira pas à défendre, mais à combattre même un abus fi contraire à la raison. Quiconque juftifie un fi odieux système, mérite du philofophe un filence plein de mépris, et du negre un coup de poignard.

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Si vous portez votre main fur moi, je me tue, difoit Clariffe à Lovelace; et moi, je dirois à celui qui attenteroit à ma liberté, fi vous approchez, je vous poignarde; et je raisonnerois mieux que Clariffe, parce que défendre ma liberté ou ce qui eft la même chose, ma vie, eft mon premiere devoir, refpecter celle d'

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