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jour horrible où le sang avoit été versé injustement ne pouvoit jamais cesser d'être présent à tous les cœurs.

Ainsi marchoit le siècle vers la conquête de la liberté; car ce sont les vertus qui la présagent. Hélas ! comment éloigner le douloureux contraste qui frappe si vivement l'imagination! Un crime retentissoit pendant une longue suite d'années; et nous avons vu des cruautés sans nombre, presque dans le même temps commises et oubliées ! Et c'est la plus grande, la plus noble, la plus fière des pensées humaines, la république, qui a prêté son ombre à ces forfaits exécrables! Ah! qu'on a de peine à repousser ces tristes rapprochemens, toutes les fois que le cours des idées ramène à réfléchir sur la destinée de l'homme, la révolution nous apparoît ! vainement on transporte son esprit sur les rives lointaines des temps qui sont écoulés, vainement on veut saisir les événemens passés et les ouvrages durables sous l'éternel rapport des combinaisons abstraites, si dans ces régions métaphysiques un mot répond à quelques

souvenirs, les émotions de l'ame reprennent tout leur empire. La pensée n'a plus alors la force de nous soutenir; il faut retomber sur la vie.

Ne succombons pas néanmoins à cet abat→ tement. Revenons aux observations générales, aux idées littéraires, à tout ce qui peut distraire des sentimens personnels; ils sont trop forts, ils sont trop douloureux pour être développés. Un certain degré d'émotion peut animer le talent; mais la peine longue et pesante étouffe le génie de l'expression; et quand la souffrance est devenue l'état habituel de l'ame, l'imagination perd jusqu'au besoin de peindre ce qu'elle éprouve.

CHAPITRE X.

De la Littérature Italienne et Espagnole.

LA

A plupart des manuscrits anciens, les monumens des arts, toutes les traces enfin de la splendeur et des lumières du peuple romain, existoient en Italie. Il falloit de grandes dépenses, et l'autorisation de la puissance publique, pour faire à cet égard les recherches nécessaires. De-là vient que la littérature a reparu d'abord dans ce pays, où l'on pouvoit trouver les sources premières de toutes les études; et de-là vient aussi que la littérature italienne a commencé sous les auspices des princes; car les moyens de tous genres, indispensables pour les premiers progrès, dépendoient immédiatement des secours et de la volonté du gouvernement.

La protection des princes d'Italie a dono beaucoup contribué à la renaissance des let

tres; mais elle a dû mettre obstacle aux lumières de la philosophie; et ces obstacles auroient subsisté, lors même que la superstition religieuse n'auroit pas altéré de plusieurs manières la recherche de la vérité.

Il faut rappeler ici de nouveau le sens que j'ai constamment attaché au mot philosophie dans le cours de cet ouvrage. J'appelle philosophie, l'investigation du principe de toutes les institutions politiques et religieuses, l'analyse des caractères et des événemens historiques, enfin l'étude du cœur humain, et des droits naturels de l'homme. Une telle philosophie suppose la liberté, ou doit y conduire.

Les hommes de lettres d'Italie, pour retrouver les manuscrits antiques qui devoient leur servir de guide, ayant besoin de la fortune et de l'approbation des princes, étoient plus éloignés que dans tout autre pays du genre d'indépendance nécessaire à cette philosophie. Une foule d'académies, d'universités existoient dans les grandes villes d'Italie. Ces associations étoient sin

gulièrement propres aux travaux érudits, qui devoient faire sortir de l'oubli tant de chefs-d'œuvre; mais les établissemens publics sont, par leur nature même, entièrement soumis aux gouvernemens ; et les corporations sont, comme les ordres, les classes, les sectes, &c. extrêmement utiles à tel but désigné, mais beaucoup moins favorables que les efforts et le génie individuels à l'avancement indéfini des lumières philosophiques.

Ajoutez à ces réflexions générales, que les longues et patientes recherches qu'exigeoient le dépouillement et l'examen des anciens manuscrits, convenoient particulièrement à la vie monastique; et ce sont les moines, en effet, qui se sont le plus activement occupés des études littéraires. Ainsi donc les mêmes causes qui faisoient renaître les lettres en Italie, s'opposoient au déyeloppement de la raison naturelle. Les Italiens ont frayé les premiers pas dans la carrière, où l'esprit humain a fait depuis de si immenses progrès; mais ils ont été condam

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