veulent seulement, c'est s'amuser d'autant plus que le sujet est plus sérieux. Leurs opinions sont, dans le fond, assez opposées à tous les genres d'autorité auxquels ils sont soumis; mais cet esprit d'opposition n'a de force que ce qu'il faut pour pouvoir mépriser ceux qui les commandent. C'est la ruse des enfans envers leurs pédagogues; ils leur obéissent, à condition qu'il leur soit permis de s'en moquer. Il s'ensuit que tous les ouvrages des Italiens, excepté ceux qui traitent des sciences physiques, n'ont jamais pour but l'utilité; et dans quelque genre que ce soit, ce but est nécessaire pour donner aux pensées une force réelle. Les ouvrages de Beccaria, de Filangieri, et un petit nombre d'autres encore, font exception à ce que je viens de dire. L'émulation philosophique peut se communiquer des pays étrangers en Italie, et produire quelques écrits supérieurs ; mais la nature des gouvernemens et des préjugés qui les dirigent s'oppose à ce que cette émulation soit nationale; elle ne peut avoir son mobile dans les institutions du pays. Une question me reste encore à examiner. Les Italiens ont-ils poussé très-loin l'art dramatique dans leurs tragédies? Malgré le charme de Métastase et l'énergie d'Alfieri, je ne le pense pas. Les Italiens ont de l'invention dans les sujets, et de l'éclat dans les expressions; mais les mais les personnages qu'ils peignent ne sont point caractérisés de manière à laisser de profondes traces, et les douleurs qu'ils représentent arrachent peu de larmes. C'est que, dans leur situation politique et morale, l'ame ne peut avoir son entier développement; leur sensibilité n'est pas sérieuse, leur grandeur n'est pas imposante, leur tristesse n'est pas sombre. Il faut l'auteur italien prenne tout en lui-même pour faire une tragédie, qu'il s'éloigne entièrement de ce qu'il voit, de ses idées et de ses impressions habituelles ; et il est bien difficile de trouver le vrai de ce monde tragique, alors qu'il est si distant des mœurs générales. que La vengeance est la passion la mieux peinte dans les tragédies des Italiens (1). Il est dans (1) Rosmunda d'Alfieri, &c. leur caractère de se réveiller tout-à-coup par ce sentiment au milieu de la mollesse habituelle de leur vie; ils expriment le ressentiment avec ses couleurs naturelles, parce qu'ils l'éprouvent réellement. Les opéras seuls sont suivis, parce que les opéras font entendre cette délicieuse musique, la gloire et le plaisir de l'Italie. Les acteurs ne s'exercent point à bien jouer les pièces tragiques, parce qu'elles ne sont point écoutées ; et cela doit être ainsi lorsque le talent d'émouvoir n'est pas porté assez loin pour l'emporter sur tout autre plaisir. Les Italiens n'ont pas besoin d'être attendris, et les auteurs, faute de spectateurs, et les spectateurs, faute d'auteurs, ne se livrent point aux impressions profondes de l'art dramatique. La mélancolie, ce sentiment fécond en ouvrages de génie, semble appartenir presqu'exclusivement aux climats du nord. Les orientaux, que les Italieus ont souvent imités, avoient bien néanmoins une sorte de mélancolie. On en trouve dans quelques poésies arabes, et sur-tout dans les pseaumes des Hébreux; mais elle a un caractère distinct de celle dont nous allons parler, en analysant la littérature du nord. Des idées religieuses positives, soit chez les mahométans, soit chez les juifs, soutiennent et dirigent dans l'orient les affections de l'ame. Ce n'est pas ce vague terrible qui porte à l'ame une impression plus philosophique et plus sombre. La mélancolie des orientaux est celle des hommes heureux par toutes les jouissances de la nature; ils réfléchissent seulement avec regret sur le rapide passage de la prospérité, sur la brièveté de la vie. La mélancolie des peuples du nord est celle qu'inspirent les souffrances de l'ame, le vide que la sensibilité fait trouver dans l'existence, et la rêverie, qui promène sans cesse la pensée, de la fatigue de la vie à l'inconnu de la mort. CHAPITRE X I. De la Littérature du Nord. IL existe, ce me semble, deux littératures tout-à-fait distinctes, celle qui vient du midi et celle qui descend du nord, celle dont Homère est la première source, celle dont Ossian est l'origine. Les Grecs, les Latins, les Italiens, les Espagnols, et les Français du siècle de Louis XIV, appartiennent au genre de littérature que j'appellerai la littérature du midi. Les Anglais, les Allemands, et quelques écrits des Danois et des Suédois, doivent être classés dans la littérature du nord. Avant de caractériser les écrivains anglais et les écrivains allemands, il me paroît nécessaire de considérer d'une manière générale les principales différences des deux hémisphères de la littérature. Les Anglais et les Allemands ont, sans doute, souvent imité les anciens. Ils ont re |