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sion de la tragédie; il s'intéresse assez au héros de la pièce, pour comprendre des mœurs étrangères, pour se transporter dans des pays entièrement nouveaux. L'émotion fait tout adopter et tout concevoir; mais à la comédie, l'imagination du spectateur est tranquille; elle ne prête point son secours à l'auteur : l'impression de la gaîté est tellement légère et spontanée, que le plus foible effort, que la plus foible distraction pourroit en détourner.

Aristophane n'a composé que des pièces de circonstance, parce que les Grecs étoient extrêmement loin de la profondeur philosophique, qui permet de concevoir une comédie de caractère, une comédie qui intéresse l'homme de tous les pays et de tous les temps. Les comédies de Ménandre et les caractères de Théophraste ont fait faire des progrès, l'un dans la décence théâtrale, l'autre dans l'observation du cœur humain, parce que ces deux écrivains avoient sur Aristophane l'avantage d'un siècle de plus; mais en général les auteurs se laissent aisément séduire dans les démocraties, par l'irrésistible attrait des

applaudissemens populaires. C'est un écueil pour les pièces de théâtre des peuples libres, que les succès qu'on obtient, en mettant en scène des allusions aux affaires publiques. Je ne sais si de telles comédies sont un signe de liberté; mais elles sont nécessairement la perte de l'art dramatique.

Le peuple d'Athènes, comme je l'ai déjà dit, étoit extrêmement susceptible d'enthousiasme; mais il n'en aimoit pas moins la satyre qui insultoit aux hommes supérieurs. Les comédies d'Athènes servoient, comme les journaux de France, au nivellement démocratique, avec cette différence, que la représentation d'une comédie, remplie de personnalités contre un homme vivant, est un genre d'attaque, à laquelle de nos jours aucun nom considéré ne pourroit résister. Nous nous livrons trop peu à l'admiration, pour n'avoir pas tout à craindre de la calomnie; les amis, en France, abandonnent trop facilement, pour qu'il ne soit pas nécessaire de mettre une borne à la violence des ennemis. A Athènes on pouvoit se faire connoître, et se justifier sur la place publique

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au milieu de la nation entière; mais, dans nos associations nombreuses, on ne pourroit opposer que la lumière lente des écrits au ridicule animé du théâtre. Aucune réputation, aucune autorité politique ne sauroit soutenir cette lutte inégale.

La république d'Athènes elle-même a dû son asservissement à cet abus du genre comique, à ce goût désordonné pour les plaisanteries, qu'excitoit chaque jour le besoin de s'amuser. La comédie des Nuées prépara les esprits à l'accusation de Socrate. Démosthène, dans le siècle suivant, ne put arracher les Athéniens à leurs spectacles, à leurs occupations frivoles, pour les occuper de Philippe. Ce qu'on avoit toujours craint pour la république, c'étoit le trop grand ascendant que pourroit prendre sur elle un de ses grands hommes; ce qui la fit périr, ce fut son indifférence pour tous.

Après avoir sacrifié leur gloire pour conserver leurs amusemens, les Athéniens se virent enlever jusqu'à leur indépendance, et avec elle les plaisirs mêmes qu'ils avoient préférés à la défense de leur liberté.

CHAPITRE IV.

De la Philosophie et de l'Eloquence des Grecs.

LA philosophie et l'éloquence étoient souvent réunies chez les Athéniens. Les systêmes métaphysiques et politiques de Platon ont bien moins contribué à sa gloire, que la beauté de son langage et la noblesse de son style. Les philosophes grecs sont, pour la plupart, des orateurs éloquens sur des idées abstraites. Je dois cependant considérer d'abord la philosophie des Grecs séparément de leur éloquence: mon but est d'observer les progrès de l'esprit humain, et la philosophie peut seule les indiquer avec certitude.

L'éloquence, soit par ses rapports avec la poésie, soit par l'intérêt des discussions politiques dans un pays libre, avoit atteint chez les Grecs un degré de perfection, qui

sert encore de modèle ; mais la philosophie des Grecs me paroît fort au-dessous de celle de leurs imitateurs, les Romains; et la philosophie moderne a, sur celle des Grecs, la supériorité, que doivent assurer à la pensée de l'homme deux mille ans de méditation de plus.

Les Grecs se sont perfectionnés euxmêmes, d'une manière très - remarquable, pendant le cours de trois siècles. Dans le dernier, celui d'Alexandre, Ménandre, Théophraste, Euclide, Aristote, marquent sensiblement les pas faits dans divers genres. L'une des principales causes finales des grands événemens qui nous sont connus, c'est la civilisation du monde. Je développerai ailleurs cette assertion; ce qu'il m'importe d'observer maintenant, c'est combien les Grecs étoient propres à répandre les lumières, combien ils excitoient aux travaux nécessaires pour les acquérir. Les philosophes instituoient des sectes, moyen aussi utile alors qu'il seroit nuisible maintenant. Ils environnoient la recherche de la vérité de tout ce qui pouvoit frapper l'imagina

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