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D'APRÈS MGR FREPPEL

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jour1, avec sa haute compétence, des langues grecque et latine et qu'il les opposa l'une à l'autre, dans un parallèle concis et lumineux. Le sujet et le lieu demandent également que je vous rappelle ce magistral enseigne

ment.

« Nous étudions, disait Mgr Freppel, le latin et le grec, parce que s'approprier dans un heureux mélange leurs qualités distinctives, c'est, et ce sera toujours l'un des secrets de l'art de bien dire et de penser juste.

« Oui, il a été donné à ces deux littératures d'être les immortelles archives des plus magnifiques créations du génie de l'homme; il a été donné à ces deux langues de se survivre dans la fécondité de leur perfection.

<«< L'une est arrivée jusqu'à nous, soutenue dans la mémoire des hommes par sa richesse et son incomparable harmonie. Née sur un sol fertile, sous un ciel délicieux, au sein d'une nature que mille beautés de tous genres enveloppent de leurs charmes, elle refléta de bonne heure cette variété de couleurs, cette grâce et cette délicatesse de formes qui en ont fait une des plus belles langues que les hommes aient parlées. Quelle hardiesse d'invention! Quelle énergique vitalité dans ce petit peuple qui étouffait dans un coin de l'Europe!

«La Grèce, s'écriait M. de Maistre, non toutefois sans quelque teinte d'exagération, a découvert le beau, elle en a fixé les caractères, elle nous a transmis des modèles qui ne nous ont guère plus laissé que le mérite de les imiter; il faut toujours faire comme elle, sous peine de mal faire. C'est qu'en effet, la race des Hellènes a été peut-être la plus artiste qui fùt jamais. Placée par la

1 Le 20 juillet 1873, à la distribution solennelle des prix du PetitSéminaire Mongazon.

Providence sur les confins de deux mondes, elle a su assouplir l'esprit occidental et réduire sous le joug des règles le génie capricieux de l'Orient.

« De là, ce souffle de l'inspiration qui circule dans ses œuvres et qui se contient néanmoins dans la mesure du vrai. Expression la plus haute de ce double caractère, sa langue allie l'audace à la régularité; elle est riche sans profusion, gracieuse sans mollesse, flexible sans lâcheté ; elle aime la pompe et n'exclut pas la simplicité; elle est tout à la fois délicate et ferme, insinuante et grave; elle se prête également à tout ce que l'histoire a de précis, la philosophie de profond, l'éloquence et la poésie de vif et d'élevé. Voilà ce qui explique les destinées merveilleuses de cette langue, dont Cicéron admirait de son temps l'étonnante diffusion: Græca leguntur in omnibus fere gentibus; latina suis finibus exiguis sane continentur; de cette langue qui, après avoir été l'instrument le plus actif de la propagation du christianisme, est venue à de longs siècles d'intervalle rallumer en Europe le flambeau des lettres et conquérir, par cette renaissance soudaine, une immortalité glorieuse.

<< Moins riche, moins souple, moins harmonieuse que sa sœur aînée, la langue latine a sur elle l'avantage d'une concision plus forte, d'une dignité plus sévère. Sénèque les a parfaitement caractérisées en deux mots : Linguæ latinæ potentia, linguæ græcæ gratia. Si l'une est la langue de la grâce persuasive, l'autre est la langue de l'autorité, la langue de la force et de la domination. Et, de fait, rien n'égale sa dignité, observe encore M. de Maistre. Elle a été parlée par le peuple-roi, qui lui imprima ce caractère de grandeur unique dans l'histoire de l'esprit humain et que les langues, même les plus parfaites, n'ont jamais pu saisir. Le terme de majesté, majestas, appartient au

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latin, dont il exprime la qualité dominante 1. Jamais peuple, Messieurs, n'a parlé une langue plus faite à son image que ne l'était celle du peuple romain. Il y a bien là, dans cette vigueur et cette admirable précision, dans ces tours énergiques, dans ce laconisme profond, dans cette aptitude merveilleuse à serrer et à concentrer la pensée, il y a, dis-je, l'élévation et la force réunies, les audaces heureuses du génie romain, qu'Horace retrouvait dans sa langue, quand il disait : Et placuit sibi, natura sublimis et acer... feliciter audet. (Épîtres, 11, 1, 165-166.)

<< Il s'y trouve, de plus, cette gravité romaine, qui a peur de s'oublier et qui cherche à se soutenir par un air toujours noble et une marche régulière. Notre langue, disait Sénèque, est grave, mesurée, circonspecte; elle sent sa dignité et elle aime qu'on la sente Romanus sermo se circumspicit, et æstimat, et præbet œstimandum. Voilà pourquoi, après avoir été la langue de la plus haute souveraineté temporelle qu'il y ait eu dans le monde, elle est devenue la langue de la plus haute souveraineté spirituelle. Née pour commander, elle commande encore par la bouche des pontifes et des conciles, comme elle commandait jadis par la voix des consuls et du sénat romain. Elle redit, avec la majesté qui lui est propre, et elle redira jusqu'à la fin des temps ce qu'il y a de plus saint et de plus mystérieux sur la terre, parce qu'elle est désormais la langue des choses qui ne passent plus. »

1 Cf. de Maistre, Du Pape, 1, 20 : « Rien n'égale la dignité de la langue latine. Elle fut parlée par le peuple-roi, qui lui imprima ce caractère de grandeur unique dans l'histoire du langage humain et que les langues, même les plus parfaites, n'ont jamais pu saisir. Le terme de majesté appartient au latin. La Grèce l'ignore, et c'est par la majesté seule qu'elle demeura au-dessous de Rome, dans les lettres comme dans les camps. >>

INDEX I

Cet index comprend les mots notables expliqués ou cités dans le cours
de l'ouvrage.

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