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IV.

DES RELATIONS D'HORACE AVEC LES GRANDS.

trois

ÉPITRES DIVERSES.

Nous ne rencontrons, dans nos poëtes épistolaires, Marot, Boileau, Voltaire, pour citer seulement les principaux, nulle épître analogue aux que nous venons d'examiner. Marot, comme dans l'épître à Scæva, n'initie à la vie de page aucun adolescent. Boileau, qui moralise volontiers, n'a pas eu l'idée d'offrir à quelque jeune homme, en une épître familièrement didactique, un plan de conduite, petit abrégé de la sagesse païenne et chrétienne, dans le genre des premiers conseils à Lollius'. Et, dans le genre des derniers conseils au même, Voltaire, le gentilhomme de la chambre du roi, plus heureux encore des douceurs de sa retraite indépendante, lorsqu'il les comparait aux ennuis de cette noblesse inquiète, qui,

Pouvant régner chez soi, va ramper dans les cours,

Et dont les vanités consument les beaux jours,

ne prend pas doucement à partie quelqu'un de ces

Nous avons cité de Mme de Maintenon, page 4: «Que ne puis-je vous donner mon expérience! » Elle a souvent essayé de le faire, une fois entre autres d'une manière bien remarquable dans ses préceptes ou conseils à la jeune duchesse de Bourgogne,―petite instruction simple et profonde, qui réfléchit en beaucoup d'endroits sa propre vie. Ceci, par exemple : « C'est en vous soumettant à votre mari que vous régnerez sur lui. » N'était-ce pas ainsi qu'elle-même se faisait (au moins quelquefois) la reine de Louis le Grand, roi de France et de Navarre, etc.?

:

jeunes nobles pour le désabuser à l'avance de cette vie des palais, le convier et l'attirer à celle qu'il goûte. Non d'Auteuil ou des Délices et de Ferney, ne partit jamais, à l'adresse du jeune âge, une de ces affectueuses exhortations, directe ou déguisée, que suggère au poëte latin sa petite terre sabine.

Un poëte, à la fois contemporain de Voltaire et de Boileau, Chaulieu se vante, en assez mauvais vers, d'avoir fait un élève, mais un élève dans la loi d'Épicure, le chevalier de Bouillon.

Élève que j'ai fait dans la loi d'Épicure;....
Qui, sans rien emprunter de tes réflexions,
Prends pour guides tes passions,

Et tous les plaisirs sans mesure....
Heureux libertin qui jamais
Ne fais que ce que tu désires,
Et désires ce que tu fais....

Ainsi débute notre abbé dans une épître écrite, je crois, à Fontenay, cette aimable solitude qui le rendait à lui-même. Il avait alors soixante-treize ans ! Ce brillant disciple, dont il s'applaudit, n'était pas moins fier de son maître, ainsi qu'on le peut voir dans une lettre en réponse à l'épître. Cette lettre montre aussi comme en action la philosophie de tous deux. C'est le récit d'une bacchanale complète chez un M. de La Cochonnière, et d'où le chevalier se retire « quasi ivre-mort » (amica luto sus). On imagine à peine aujourd'hui des mœurs pareilles. Mais Chaulieu n'était pas homme à se scandaliser pour si peu. Loin de là! « Le beau tableau <«<< de Téniers que vous m'avez envoyé, monsei-. «‹ gneur (écrit-il); qu'il est bien peint, et qu'il est vrai !........... »

་་

Dans cette peinture charmante....

Dégoûtante plutôt. Rien d'étonnant qu'après une telle vie on allât, en effet, comme dit Chaulieu dans une autre épître au même,

....Infecter Saint-Denis.

Certes, Horace, le païen, entendait mieux, dans sa jeunesse, les principes d'Épicure; et dans son âge mûr, enseignait aux jeunes gens une morale plus digne et plus humaine.

Dans un exposé, moitié sérieux, moitié badin, de la mission des poëtes, il rappelle les services rendus par eux à l'enfance, surtout à la jeunesse.

.... Pectus præceptis format amicis....

Asperitatis et invidiæ corrector et iræ....

Instruit exemplis....

(Epit., II, 1.)

Ajoutons, mais en ne le prenant pas moins au figuré qu'au propre, ce qu'il dit plus bas :

Avertit morbos, metuenda pericula pellit.

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Cet éloge est, pour ce qui le concerne lui-même, une vérité. Il forme l'adolescence, non pas seulement par des préceptes moraux destinés à tous les âges, mais encore par des instructions composées tout exprès pour elle, tantôt gravement, presque religieusement (Musarum sacerdos), en forme d'odes ou de cantiques présentant au jeune homme qui vient de prendre la toge virile, comme les commandements de la vertu, de l'honneur; la discipline civile et militaire du vrai Romain; tantôt, dans une épître, où la leçon gracieusement familière, plus insinuante et plus efficace, directement offerte

à l'un de ses jeunes amis, n'en profitait pas moins à tous les autres jeunes gens.

Maintenant, faisait-il lui-même ce qu'il prêchait si bien? Sa propre vie pouvait-elle servir d'exemple à ses discours? de modèle et de stimulant pour autrui? Il donnait les meilleurs conseils sur la manière de vivre auprès des grands! Eh bien! dans ses rapports avec eux, comment se montrait-il ?

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Voyons l'épître même où nous avons pris les vers qui précèdent. Ab Jove principium. Adressée au premier des grands, à l'empereur, elle atteste l'habileté du courtisan, mais aussi sa dignité. Auguste se plaignait, - glorieux reproche pour le poëte, de n'en recevoir aucune épître à son adresse personnelle. « Crains-tu, lui écrivait-il, que la postérité ne te fasse un crime de paraître avoir été notre ami, familiaris? » Cette lettre flatteuse n'en était pas moins un de ces lenibus imperiis dont parle Horace dans la seconde épître à Lollius. Il fallait satisfaire l'empereur, autrement offensé, avec raison, d'un nouveau refus qui ne pouvait avoir cette fois pour prétexte la mauvaise santé du poëte, comme celui qu'il avait fait (éclatante application de sa philosophie !) d'accepter un honneur que tant d'autres auraient convoité, c'est-à-dire, la table impériale et l'emploi de secrétaire d'Auguste pour sa correspondance avec ses amis.

Horace donc, mis en demeure d'écrire, comprenant avec son tact ordinaire que ce n'était pas le lieu de moraliser ou de badiner uniquement, se renferme dans son rôle de poëte avec un prince qui lui-même avait cultivé les muses, qui les aimait

toujours; il traite un sujet littéraire, en rapport avec l'Art Poétique, qui devait suivre, et d'une valeur précieuse pour l'histoire de la poésie chez les Romains. Composition pleine de charme, où la critique, enjouée et piquante, revêt de poétiques couleurs petit monument parfait, aux deux frontons duquel, pour ainsi dire, Horace a dignement inscrit le nom d'Auguste, Palatinus Apollo. Cela signifie, plus simplement, qu'il commence et termine son épître par un juste éloge du prince, qui le méritait à bien d'autres titres que d'avoir fait d'heureux loisirs aux poëtes; car c'était le monde entier qu'il travaillait à rendre heureux, par les grandes vues de sa politique habile et prévoyante : Imperio regit unus æquo. Pacificateur, moralisateur, législateur, c'est sous ce triple aspect que se présente Auguste dans l'histoire; tel nous le montre Ho

race.

Quum tot sustineas et tanta negotia solus,

Res italas armis tuteris, moribus ornes,
Legibus emendes....

Le poëte, ensuite, constate des hommages qu'il voyait, largimur, ponimus...; qu'il entendait, fatentes, populus anteferendo.... Lui, qui se mêlait volontiers à la foule, il savait comment la foule reconnaissante préconisait l'empereur. Et quand, soit de lui-même, comme nous le croyons, soit d'après Varius, il dit, épître xvi :

Tene magis salvum populus velit, an populum tu,
Servet in ambiguo, qui consulit et tibi et urbi,
Jupiter!

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