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ÉTUDE

MORALE ET LITTÉRAIRE

SUR

LES ÉPITRES D'HORACE.

I.

Horace, comme chacun sait, a cultivé trois genres de poésie : le genre lyrique, le genre satirique, le genre épistolaire.

Ces trois genres, par la manière dont il les a traités, ont entre eux une intime liaison; ils se correspondent, ils se rappellent fréquemment; on passe, sans brusque transition, souvent comme de plain-pied ou par les pentes les plus douces, de l'ode à la satire, de la satire à l'épître, ou de cette dernière aux deux précédentes.

C'est un des effets, en même temps qu'un des charmes, de cette unité si caractérisée, qui marque dans Horace l'homme et le poëte.

Si sa jeunesse offre beaucoup de fleurs, ce n'est pas sans offrir aussi beaucoup de fruits. Pareillement son âge mûr, où tant de fruits abondent, les

présente accompagnés de fleurs nombreuses. Ainsi des orangers de son climat, où le printemps unit et, pour ainsi dire, marie ses dons à ceux de l'automne1.

Ce poëte, avec le sentiment si profond qu'il avait de la convenance, jugea, vers un certain moment, que l'ode allait moins à ses années, devenues plus sérieuses; à son talent, qui pouvait n'avoir plus bientôt la même vivacité. Il lui fallait un genre plus analogue à son âge, plus approprié.

Semper in adjunctis ævoque morabimur aptis.

Ce genre, on peut dire qu'il existait jusqu'à certain point dans plusieurs de ses poésies lyriques. Mais au lieu de ce rhythme ailé, chantant- - rhythme, avant tout, d'enthousiasme, d'amour, de folie, de jeunesse (Et juvenum curas et libera vina referre) — Horace en voulait un autre plus simple, plus aisé, plus familier. Il adopta naturellement alors celui des satires, l'hexamètre. Sa muse, il la réduisit à n'aller plus qu'à pied, mais de telle sorte que dans sa marche, toujours légère et poétique, on sent qu'elle a des ailes.

Il avait été jusque-là un poëte à la fois personnel et sympathique, c'est-à-dire, aimant à jouir, à célébrer ses jouissances; de plus, ayant à cœur de rendre heureux, comme lui, tous ceux qu'il affectionnait. Ainsi restera-t-il, mais avec plus de sympathie encore, et, par suite, il imaginera le genre épistolaire, tel qu'il l'a pratiqué; sorte de forme

Se rappeler aussi la description des jardins d'Alcinoüs. (Odyss., VII, 118, etc.)

moyenne entre la poésie et la prose, tenant de l'ode, tenant de la lettre, et chez lui tout aussi vraie que cette dernière : genre charmant, dont nous ne trouvons aucune trace avant lui dans la poésie grecque et latine. C'est de l'épître surtout qu'il pouvait dire : Non aliena meo pressi pede. Personne non plus ne l'y devait suivre, chez les Romains. Car nous ne saurions appeler épître, bien qu'elle se qualifie telle, une pièce comme la Sylve1 de Stace, adressée à Victorius Marcellus. Ce n'est point là, ni pour la morale, ni pour le style, et malgré quelques imitations, ce n'est point là de l'Horace.

Nous trouverions beaucoup plus de lui, quoique en prose, dans les lettres de Pline le Jeune.

« J'eusse prins plus volontiers cette forme (les lettres) à publier mes verves, dit Montaigne, si j'eusse eu à qui parler... et suis deceu s'il ne m'eust mieulx succédé... >>

Horace, qui a si parfaitement réussi, avait, lui, à qui parler. Quoique souvent à la campagne, il ne vivait pas comme Montaigne dans la dernière moitié de sa vie, isolé, détaché des hommes. Il avait des

1 L'auteur y fait à force du splendescat, tout comme en faisait à Tibur son ami Manlius Vopiscus dans ses épîtres, que le temps a bien voulu ne pas nous conserver, non plus que ses odes, satires, épopées, etc.

N'était ce rhythme boiteux, exiguos elegos, qui va mal au genre épistolaire, on donnerait plus justement le nom d'épîtres à quelques élégies d'Ovide. C'est même ainsi qu'il les appelle, ou lettres. Voy. dans les Tristes, liv. III, les 6°, 7, 14, etc.

et passim.

Vade salutatum subito perarata Perillam

Littera, sermonis fida ministra mei. (III, 7.)

Littore ab Euxino Nasonis epistola veni. (V, 4.)

Quam legis ex illa tibi venit epistola terra.... (Même liv,. 7.)

amis de tout âge, auxquels il pouvait s'adresser et pour eux, et pour lui-même. Pour lui, car plus heureux que jamais, il aimait plus que jamais à parler de son bonheur. Le reflet, qu'il en voyait dans ses vers comme dans un limpide miroir, le charmait, et d'ailleurs lui paraissait propre à tenter ceux de ses amis qui ne goûtaient pas une félicité semblable. Il s'en fallait qu'ils eussent sa sagesse. Les uns, du même âge que lui, persistaient dans leurs erreurs et leurs passions. Les autres, jeunes encore, pouvaient s'engager dans cette même voie qui les aurait rendus misérables. Ce qu'Horace voulait prévenir.

Aucun autre ne possédait au même degré que lui cet avantage célébré par Cicéron, dans le Traité de la Vieillesse :

<<< Illa quanti sunt, animum tanquam emeritis stipendiis libidinis (je retranche ambitionis), contentionis, inimicitiarum, cupiditatum omnium, secum esse, secumque, ut dicitur, vivere! »

« Si jeunesse savait, dit un proverbe à nous, et si vieillesse pouvait ! » Eh bien! notre poëte se plaît, dans un âge voisin de la vieillesse, à communiquer aux jeunes gens le savoir qu'il doit à ses années, afin qu'ils fassent de leur pouvoir le meilleur usage.

«< Que ne puis-je vous donner mon expérience! » écrivait madame de Maintenon. Horace entreprend de donner la sienne. Il le fait, toujours avec un attrait piquant, une grâce aimante et persuasive, qui sauve tout l'ennui du genre didactique. Ses épîtres, instructives comme des traités moraux, intéressent comme des lettres, et par cela même in

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