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X.

ÉPITRE X, XIV.

SI.

ÉPITRE X, A FUSCUS ARISTIUS.

C'est là que, jouissant de mon indépendance,
Je serai mon héros, mon souverain, mou roi,

s'écrie Chaulieu dans une de ses meilleures pièces, Stances sur la Retraite. Là, c'est-à-dire à la campagne.

Tout respire à la cour l'erreur et l'imposture;
Le sage avant sa mort doit voir la vérité;
Allons chercher des lieux où la simple nature,
Riche de ses seuls biens, ait toute sa beauté.

.... Ni le marbre ni l'or n'embellit nos fontaines,
De la mousse et des fleurs en font les ornements....

Voici les deux dernières strophes :

Ainsi coulent mes jours sans soins, loin de l'envie,
Je les vois commencer et je les vois finir;
Nul remords du passé n'empoisonne ma vie;
Satisfait du présent, je crains peu l'avenir.

Heureux qui, méprisant l'opinion commune,
Que notre vanité peut seule autoriser,
Croit comme moi que c'est avoir fait sa fortune
Que d'avoir comme moi bien su la mépriser!

Plusieurs de nos vieux poëtes avaient déjà soupiré la même note. Maynard:

Je donne à mon désert les restes de ma vie,

Pour ne dépendre plus que du ciel et de moy.
Le temps et la raison m'ont fait perdre l'envie
D'encenser la faveur et de suivre le roy.

Faret, je suis ravy des bois où je demeure,

J'y trouve la santé de l'esprit et du corps.... (Sonnet.)
Alcippe,

(c'est à lui-même qu'il parle)

Alcippe, reviens dans nos bois,

Tu n'as que trop suivy les rois

Et l'infidèle espoir dont tu fais ton idole.

(Fidèles courtisans d'un volage fantôme.) (La Fontaine.)

Ainsi débute une ode fort intéressante du même

poëte. Plus loin:

... Descends dans toi-même à l'exemple du sage.

Tu vois de près ta dernière saison ;

Tout le monde connoît ton nom et ton visage,

Et tu n'es pas connu de ta propre raison.

On sait par cœur quelques stances de Racan, l'ami de Maynard:

Tircis, il faut penser à faire la retraite,

La course de nos jours est plus qu'à demy faite....

....Roy de ses passions, il a ce qu'il désire;

Son fertile domaine est son petit empire,

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau....

Nous citerons en entier la dernière :

Agréables déserts, séjour de l'innocence,
Où, loing des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fustes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

Desportes avait précédé Racan dans l'expression des mêmes vœux et des mêmes sentiments :

O bienheureux qui peut passer sa vie

Entre les siens, franc de haine et d'envie,
Parmy les champs, les forêts et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire,
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois!

Je vous rends grâce, ô déités sacrées
Des monts, des eaux, des forêts et des prées,
Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin la misérable attente,
Et les désirs des cœurs ambitieux....

Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D'azur, d'esmail et de mille couleurs,
Mon œil se paist des trésors de la plaine,
Riche d'œillets, de lis, de marjolaine

Et du beau teint des printanières fleurs....

le

Ces divers passages, tirées de poésies presque tout entières imitées d'Horace (odes, épodes, satires, épîtres), peuvent servir de prélude à sa dixième épître. Le commencement de la seizième n'a guère présenté du petit domaine Sabin que situm, c'est-à-dire, la topographie, la statistique, le côté pittoresque. La dixième épître développe, avec une exquise précision, comme à l'ordinaire, les autres avantages plus précieux qu'Horace trouvait à sa campagne : l'incolumem, la santé d'esprit et de corps, tant de fois préconisée dans les épîtres; en d'autres termes, l'æquitas, l'indépendance, etc.

Cette indépendance, vantée aussi par nos vieux poëtes, mais plus, je crois, à l'imitation d'Horace que d'après les besoins de leur âme, c'est pour eux seulement qu'ils la recherchent, qu'ils la souhaitent ou qu'ils la goûtent, dans les poésies toutes

personnelles dont nous avons cité des vers. Horace, lui, la célèbre, non pas uniquement par une sorte de gratitude, pour se la rendre encore plus chère, ou comme poëte épris d'un beau sujet, mais surtout afin de la communiquer, s'il peut, à ceux qu'il aime. L'amitié, comme toujours, l'inspire. Il voudrait, dans l'épître xvi, rendre Quinctius indépendant du peuple; dans la dixième, Aristius indépendant des princes et peut-être de l'empereur.

Nous avons vu ce qu'il faisait pour ses amis jeunes, amiculus ( épît. xvii, 3); voyez ce qu'il fait pour ses amis plus âgés. Il cherchait à prévenir, à prémunir; il cherche maintenant à retenir, à réprimer, à guérir. Ne craignons pas de le répéter: ce qui le rend heureux, c'est l'indépendance et des choses et des hommes: eh bien! c'est l'indépen dance qu'il prêche à ses amis, et cela, diversement, selon l'âge de ceux auxquels il s'adresse, et peut-être aussi, son âge à lui. C'était secrètement, indirectement qu'il détournait de la vie de cour le jeune Lollius. Mais pour Aristius, qui y était engagé, qui voulait peut-être s'y engager de plus belle, il tâche ouvertement de l'en ramener, tant par de sages avis, que par l'exemple attrayant de la félicité qu'il doit à sa retraite.

Nous avons déjà cité, comme un modèle de tendresse, cette épître x, dont les préceptes, ou plutôt les invitations s'encadrent avec bonheur entre deux déclarations d'amitié, brèves, simples, touchantes.

Reprenons, pour la compléter, cette citation du début :

1

A Fuscus, amateur de la ville, santé1,

Nous, amateur des champs seul point, en vérité,
Par où nous différons; quasi jumeaux du reste,
Cœurs fraternels. Veux-tu, moi je veux sans conteste;
Je ne veux pas, ni toi : tous deux vieux compagnons,
Connus, pour nous aimer, comme les Deux Pigeons.
Toi, tu gardes le nid : les champs, c'est mon délice!
Des ruisseaux, des rochers que la mousse tapisse,
Un bocage touffu! Demandes-tu pourquoi?
C'est que là seulement je vis et je suis roi.
Loin de moi ces objets que votre âme ravie
Élève jusqu'au ciel! Ce qui me donne envie,
Comme au valet d'autel qui s'enfuit, c'est du pain3:
Des gâteaux emmiellés me voilà quitte enfin !

Dans ce court aperçu d'une belle campagne, nous aimons à reconnaître, à nommer le charmant Lucrétile de l'ode xvii, I; les rochers d'Ustique où résonnait, dans les échos, la flûte du pâtre, si mélodieuse qu'on croyait entendre le dieu Faune lui-même; le petit bois où les chèvres, cédant comme leur maître à l'esprit de liberté, cherchaient loin des chemins et des humains les arbousiers cachés, sans craindre non plus que lui les animaux malfaisants, etc., impune, etc., colubras (ép. xiv, morsu venenat....). Ainsi que Desportes, il oppose cette tapisserie de mousse aux riches tentures ou peintures à fresque des palais, et, plus bas (x1x),

'Salvere jubemus. Autant du moins qu'on le peut, quand on n'aime que la ville. Restriction sous-entendue.

2 Fraternis animis.

Voulez-vous quitter votre frère?

dit l'un des pigeons de La Fontaine.

3 Ainsi Jean-Jacques préférait à la table somptueuse des châteaux l'omelette au lard du village.

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