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moins distraite aussi qu'ailleurs, y prend de nouvelles forces. Voltaire, nous l'avons dit, regardait peu les montagnes : quant au nuage qui lui offusquait le ciel, c'était les abus, ou ce qu'il croyait tel, de la religion d'alors. Mais sa haute intelligence devait, écartant ce nuage de ses yeux et de ceux des autres, découvrir et proclamer, plus souvent qu'il n'a fait,

Numina magna Dei.

SII.

ÉPITRE XIV. A SON FERMIER.

Voici, du quatrième livre de l'Émile, un passage remarquable entre beaucoup d'autres, un passage tout poétique :

c'est qu'ailleurs il l'a déjà fait. Mais, en revanche, il se prend, dans son accès d'humeur dénigrante, à un autre écrivain qu'on ne s'attendait guère de voir ici, Béranger. Ce grand poëte il le rapetisse, il le circonscrit dans l'étroite définition que Voltaire a tracée de la chanson, telle qu'il la connaissait. Il retire ainsi tant qu'il peut les louanges données de son vivant à l'illustre chansonnier. Oh! qu'on aimerait à voir un procédé tout contraire! Il en avait une occasion si naturelle! Par exemple, pendant qu'il était dans ses contemplations, ne pouvait-il pas apercevoir aussi bien qu'une fourmi

Angustum formica terens iter,

quelque hirondelle,

Tunc arguta lacus circumvolitabat hirundo;

se rappeler alors, en phrases plus ou moins mélancoliques, ses pérégrinations sur mer, alors qu'il était tenté d'interroger l'hirondelle voyageuse; citer là-dessus les passages touchants de l'Itinéraire et des Martyrs, puis se récrier avec admiration (lui qui parle si complaisamment des imitations faites de ses ouvrages par Béranger encore jeune) sur cette création ravissante, les Hirondelles, et se proclamer fier d'en avoir peut-être donné la première idée au poëte?

:

« Dans les bois, dans les lieux champêtres, l'amant, le chasseur sont si diversement affectés que sur les mêmes objets ils portent des images toutes différentes. Les ombrages frais, les bocages, les doux asiles du premier, ne sont pour l'autre que des viandis, des forts, des remises où l'un n'entend que rossignols, que ramages, l'autre se figure les cors et les cris des chiens: l'un n'imagine que dryades et nymphes, l'autre que piqueurs, meutes et chevaux. Promenez-vous en campagne avec ces deux sortes d'hommes; à la différence de leur langage, vous connaîtrez bientôt que la terre n'a pas pour eux un aspect semblable, et que le tour de leurs idées est aussi divers que le choix de leurs plaisirs. >>

Ces deux dernières lignes pourraient servir d'épigraphe à l'épître XIV qu'elles résument.

Nous avons vu l'éloge que fait de sa petite terre Horace, en reconnaissance de l'agrément et du bonheur qu'elle lui procure. Il la vante à Quinctius, à Fuscus Aristius, à sa maîtresse, à tout le monde. Eh bien! cette même terre, qui ne souriait peutêtre guère à Fuscus Aristius, que dédaignait probablement Quinctius à raison de l'exiguïté du produit, comment paraissait-elle au villicus, chargé de la régir? Deserta et inhospita1 tesqua! Qualification aussi hérissée et rocailleuse qu'était cette cam

-

'Inhospitaliers, en effet ! Il ne frayait point avec les bonnes gens du lieu, bonos patres, qui n'avaient pas ses goûts. Familles patriarcales. Il les comptait pour rien. Quoi! moi! quoi! ces gens-là! Voyez un peu la belle espèce! Des Asella qu'il appelait des asellos. Donc, pas une âme pour se distraire; personne avec qui boire, causer, faire l'amour Casta pudicitiam servat domus.

pagne elle-même aux yeux de son détracteur. Ce tesqua, mot du cru, osque et sabin, le seul peutêtre qu'avait retenu le villicus, parce qu'il le trouvait plus injurieux qu'un autre, plus propre à rendre son antipathie, son dégoût. Voilà donc comme il traite cette campagne, si charmante pour Horace1: Credis, amoena vocat. Ici tout le contraire. Hémistiche aussi facile, aussi coulant que l'autre est raboteux. Les mêmes objets, si durs et si rebutants pour l'esclave, s'adoucissent pour Horace, lui sourient, flattent ses regards et son cœur.

Car dans l'objet aimé tout nous devient aimable;

On compte les défauts pour des perfections.... (Misanthr.)

Horace a trouvé piquant d'exposer, relativement à sa campagne, la manière si diverse dont peut être envisagée une même chose par deux personnes différentes. L'une de ces deux personnes, c'est lui, le maître; l'autre, son villicus, un domestique. Une satire, la viro du livre II — scène dramatique — avait déjà mis en contraste dans le jugement porté sur des actions semblables, un des esclaves d'Ho

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s'écrie Martial, à la fin d'une de ses plus charmantes épigrammes : De Apollinaris littore Formiano. (X, xxx.) — (Voir pour le villici felices, page 490, not. 1.)

Je n'en citerai que ce vers:

. Inquietas fessus exuit curas,

qui rappelle le tunicata quies.

Le dominis parantur, etc., me rappelle aussi de l'Émile, dans le même lieu cité, un endroit fort agréable:

.....

Plus riche du bien des autres que je ne serai jamais du mien, etc., etc.......... » Idée développée par Victor Hugo, dans sa pièce A un Riche.

race et lui. La différence, c'est que l'esclave jouait le plus beau rôle, et que le maître, sacrifié, se retirait bien et dûment atteint et convaincu de travers et de vices supérieurs, d'iniquité flagrante, etc., rendu même presque odieux par le châtiment dont il menace, et dont il paraît avoir déjà frappé d'autres fois l'expression des bonnes vérités qu'il subit. Ocyus hinc te

Ni rapis, accedes opera agro nona Sabino.

Tout cela, bien entendu, n'était que jeu. Suivant un de ses procédés, Horace, non pas certes par précaution oratoire, mais afin de varier les formes de la satire, endossait plaisamment, comme pour son propre compte, mainte et mainte critique à l'adresse de tel ou tel de ses contemporains. Toutefois, il en est une qui le prend bien lui-même à partie :

Romæ rus optas: absentem rusticus urbem

Tollis ad astra levis.

En d'autres termes, ce que nous avons vu dans l'épître vini:

Romæ Tibur amem ventosus, Tibure Romam.

Mais c'était (voir page 142) dans un moment d'hypocondrie qu'il faisait à Celsus cette espèce de confession. Il ne s'agit pas d'ailleurs du Sabinum. Son état le plus constant, ainsi qu'il le déclare au villicus dont il invoque même le témoignage, Me constare mihi scis, c'était le plus vif amour pour sa campagne.

L'épître xiv est donc à quelque égard la contre

partie, comme une petite revanche de la satire. Au maître, cette fois, le beau rôle, le rôle d'un sage ou plutôt, ainsi que dirait Montaigne, d'un homme assagi; l'esclave paraît ce qu'il a toujours été, ce qu'il ne peut cesser d'être, avec tous les goûts de sa nature dépravée, non susceptible de perfectionnement. Cette différence entre eux, Horace se garde bien de la présenter sérieusement. Fidèle à sa manière, il trace une scène comique; nous croyons assister aux doléances d'un pauvre diable, maugréant contre la campagne qui s'enlaidit pour lui du souvenir des agréments de la ville. Nous sourions, et néanmoins le plaignons un peu, tout en félicitant son maître du bonheur qu'il sait recueillir aux lieux mêmes où lui, valet, se trouve si malheureux. Bien qu'Horace ne dépeigne pas longuement ce bonheur, comme on le sent dans quelques mots significatifs, discedere tristem, etc.! dans cette expression passionnée: Istuc mens animusque Fert!... Nul autre détail de ses plaisirs champêtres que glebas et saxa moventem, et ce vers par lequel il oppose à ses anciens festins de jour et de nuit la sobriété de ses repas rustiques, la douceur rafraîchissante de ses sommeils :

(Sommeils rafraîchissants goûtés au bord des eaux)

Cœna brevis juvat, et prope rivum somnus in herba.

Vers simple et charmant qui semble vous convier à ses jouissances.

On chercherait vainement un vers analogue dans les épîtres de Boileau, et particulièrement dans celle qu'il a faite, d'après Horace, à son Jardinier.

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