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ses deux interlocutrices, par le détail tout imitatif du genre d'émotion qu'elle éprouve : De mille doux frissons, etc. Mais, notons-le bien, cette expression passionnée, que lui arrache la force du plaisir, elle est, en quelque sorte, involontaire. Philaminte l'emprunte, comme par instinct, à son expérience de femme mariée, sans arrêter précisément sa pensée à ce dont il s'agit. Quelque étrange que soit son langage, nous savons trop comme elle traite de mépris les sens, pour qu'elle nous scandalise. Elle semble, dans les applications qu'elle fait de la matière à l'esprit, la spiritualiser. - C'est ainsi que, dans les élans mystiques de la dévotion, l'amour divin s'exhale, innocemment, en termes aussi sensuels que l'amour terrestre. L'ingénuité, si comique, de Philaminte l'expose à notre risée, sans compromettre au fond sa pudeur ni le respect qu'on lui doit. Ce trio', Philaminte, Bélise, Armande, a sa préciosité si bien établie, qu'elles peuvent user impunément des expressions et des images les plus scabreuses, comme les médecins, d'une façon toute désintéressée, en savantes.

Les paroles des grammairiens à Horace, auribus ista servas.... poetica mella, nous en rappellent encore quelques-unes des mêmes femmes :

BÉLISE.

Ce sont repas friands qu'on donne à nos oreilles2.

1 Ce trio devient comme un triumvirat (dans la scène II, IIIe acte),

Par les proscriptions de tous ces mots divers

Dont il voulait purger et la prose et les vers.

2 < .... Ces grands, ces riches, ces magnifiques plaidoyers (de Le Maître), comme un régal pour mon esprit languissant.... » (Balzac à Conrart.)

PHILAMINTE.

Servez-nous promptement votre aimable repas.

TRISSOTIN.

Le ragoût d'un sonnet....

Les deux derniers vers de l'épître ne sont pas d'Horace s'ils en étaient, cette épître, à la différence de toutes les autres, qui se terminent par une saillie, , par un trait remarquable, etc., finirait bien platement. Regardons-les comme étant d'un de ces grammairiens - poëtes qu'elle attaque. Peut-être avaient-ils été couverts d'acclamations dans une lecture publique. Ils en amusaient d'autant plus Mécène, Horace et leur société, qu'ils les citaient volontiers. Ici donc, le poëte, pressé par un de ces méchants versificateurs, lui riposte victorieusement par un argument ad hominem qui lui ferme la bouche. On ne saurait mieux railler, naribus uti, sans en avoir l'air.

Si c'est fuir, c'est en Parthe, en lui perçant le cœur.

Voilà jouer d'adresse, et railler avec art,

avec plus d'art et plus d'adresse que Boileau dans son Alidor (sat. ix, 160).

Il se pourrait même encore que, ces deux vers, le grammairien les eût empruntés, comme un aphorisme précieux, de quelque poëte grec, vitiis imitabilis. Le plat imitateur s'extasiait sur une platitude.

Les modèles de ces beaux esprits n'étaient pas toujours, comme pour Horace, de nobles écrivains, mais parfois des écrivailleurs.

XII.

ÉPITRE XX. A SON LIVRE.

SI.

La dernière épître d'Horace, l'épître-épilogue, est adressée à son livre.

Nous avons déjà dit avec quelle discrétion il montre de lui le versificateur. Sur vingt épîtres, en voilà trois, dont une fort brève, les deux autres assez courtes, trois sans plus, où le poëte nous parle de ses vers, et cela, très-accessoirement; au lieu que Boileau ne cesse de nous entretenir des siens, partout, quelque sujet qu'il traite, quelle que soit la personne à laquelle il s'adresse, roi, ministres, prêtres, etc. Et ce n'est pas toujours dignement qu'il le fait, mais en rimeur. Mes rimes, ma veine, ma verve, mon Apollon, ma muse, est-ce tout? Non ma plume1, mon style, ma pensée, mon

'Nous avons remplacé la plume par la lyre, qui, dans un chant d'amour, exhale si naturellement le délire, ou tout au moins soupire tendrement avec le zéphyre aux pieds d'une Elvire; par la harpe, par la cithare, par le luth, etc. Nous avons conservé la Muse, mais sous un autre costume; le génie, mais dans une acception qui l'agrandit singulièrement, qui l'élève au sublime. Que ferait, je vous le demande, une plume dans ce début des Préludes ?

O lyre! ô mon génie!

Musique intérieure, ineffable harmonie,

Harpe que j'entendais résonner dans les airs,

Et toi qui donnes l'àme à mon luth inspiré,
Esprit capricieux....

Parlez-moi d'un instrument pareil, à la fois harpe, luth et lyre! Quelle attitude inspirée, hébraïque, ossianique ou romantique, cela vous donne

esprit, mon génie, etc., etc. Ces diverses expressions, tant répétées et si monotones, du moi poétique, vous impatientent. Il nous produit un peu l'effet de ces amoureux transis dont il parle, qui ne savent dire que : Mon amour! quand ils devraient plutôt nous le faire sentir et passer de leur cœur dans le nôtre.

Alors même que le sujet l'autorise à développer sa personnalité versifiante, il ne s'en tire pas avec la même grâce, le même attrait qu'Horace, dans des sujets analogues, particulièrement dans l'épître Ad librum suum, inspiratrice de celle A mes vers.

Cette personnification du livre, dans l'épître latine, comme, tout d'abord, elle est charmante et naturelle! Quel ton simple, aisé, familier, bien préférable au style nombreux et périodique de l'épître française! Le langage des deux poëtes est en harmonie avec le livre même auquel ils s'adressent. Il semble entendre, dès les premiers mots d'Horace, comme le discours sans apprêt d'un père à son enfant, ou d'un maître à son disciple. C'est de la même manière que le pigeon combat l'humeur inquiète de son frère, s'ennuyant au logis:

.... Qu'allez-vous faire?

Voulez-vous quitter votre frère? (votre père)

au poëte, dans la vignette qui précède ou qui suit le chant! Mais une plume! c'est bon pour le carrosse de M. Scribe, qui, tout spirituel qu'il est, n'a jamais pu dire :

Silence, esprit de feu, mon âme épouvantée

Suit le frémissement de ta corde irritée.

N'oublions pas les guitares de Victor Hugo, qui d'ailleurs fait aussi usage de la harpe, surtout de la lyre. Il les distingue même parfaitement l'une de l'autre, dans sa belle ode intitulée La Harpe et la Lyre.

.... Au moins que les travaux Les dangers, les soins du voyage, Changent un peu votre courage.

....

..Qui vous presse? Un corbeau

Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

Bon souper, bon gîte, et le reste?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur :

Mais le désir de voir....

Ici, d'être vu: Paucis ostendi gemis.

(mon fils)

Le voyageur s'éloigne : et voilà qu'un nuage.... .... Quelque plume y périt....

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)

Comme les critiques.

Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,

« Quid miser egi? Quid volui? »

Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,

Ici s'arrête le rapprochement;

Droit au logis s'en retourna.

Non erit emisso reditus tibi. Ces paroles suivent l'exeat arraché par le livre imprudent. Fuge quo

Le contraire pour le livre d'Ovide :

Parve (nec invideo) sine me, liber, ibis in urbem.

Ainsi débute une intéressante élégie, mais trop longue (128 vers), avec

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