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descendere gestis. Gestis marque bien l'impatience du désir. Nous savons parfaitement, du reste, que les livres d'Horace n'étaient pas si pressés de partir. Chez nous maintenant, par cette improvisation qui court, toute feuille à peine écrite, currente calamo, s'envole de notre cabinet au bureau du journal. Horace, lui, ne donnait à ses vers le grand jour, que lorsqu'ils étaient en état de paraître aux yeux de tous, amis comme ennemis, descendere. Descendre, c'est-à-dire, au forum, communia, ainsi que dans une arène périlleuse.

Martial fait de ses épigrammes des oiseaux, des oisillons, qui risquent fort de rencontrer l'oiseleur: Ætherias, lascive, cupis volitare per auras :

I, fuge; sed poteras tutior esse domi'. (I, iv.)

ces développements ovidiens dont aurait dû s'abstenir l'auteur, au moi dans cette Triste, la première du recueil.

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Vade, sed incultus, qualem decet exulis esse....

Très-bien. Le mundus, etc., ne devait point paraître ici. Mais pourquoi le faire voir ensuite négativement, si je puis ainsi dire, dans les onze vers qui suivent: Nec te purpureo.... Non est conveniens.... Nec titulus minio...?

On a presque regret de ces critiques, quand on se rappelle les vers où le malheureux poëte sollicite l'indulgence :

Carmina secessum scribentis et otia quærunt,

Me mare, me venti, me fera jactat hiems....

Pièce touchante, répétons-le; mais elle nous attendrirait bien autrement, sans ce bel esprit importum, qui vient encore en gâter la fin :

Quod si quæ subeunt tecum, liber, omnia ferres,

Sarcina laturo magna futurus eras.

Voir ses diverses épigrammes, plus ou moins imitées d'Horace, Ad librum.

Quo tu, quo, liber otiose, tendis,

Béranger :

N'espérons plus que la haine pardonne
A mes chansons leur trop rapide essor.

Comme l'oiseau, libre sous la feuillée,
Que n'ai-je ici laissé mourir mes chants'!

(Adieux à la campagne.)

Quid miser egi? « Malheureux, qu'ai-je fait? » Ce

Cultus sindone non quotidiano? (XI, 1.)

J'aime de la précédente (dernière du livre X) ce passage-ci :

Quid mandem tibi, quæris? ut sodales
Paucos, sed veteres, et ante brumas
Triginta mihi quatuorque visos

Ipsa protinus a via salutes

Et nostrum admoneas subinde Flaccum

Jucundos mihi nec laboriosos

Secessus pretio paret salubri

Qui pigrum faciant tuum parentem,

dans sa ville natale, Bilbilis.

Citons aussi pour le sentiment ces trois vers de la LXXII, livre VIII :

Votis quod paribus tibi petendum est,

Continget locus ille (Narbo), et hic amicus (Artanus):

Quam vellem fieri meus libellus.

Mais ces épigrammes Ad librum (sans compter celles De libris, Ad lectorem, etc.) sont un peu bien nombreuses. On en trouve jusqu'à trois de suite.

On serait tenté de lui dire, à ce petit livre qui se montre tant, et pas toujours à son avantage :

Ohe! jam satis est, ohe, libelle!....

Il les appelle ailleurs (préface, 1825):

Petits Poucets de la littérature,

S'il vient un ogre, évitez bien sa dent.

Cet ogre, ce n'est point la critique, mais la haine intolérante des gens dont il est question dans les Adieux à la campagne,

Allez, enfants nés sous un autre règne;

Sous celui-ci quittez le coin du feu.

Adieu! partez, bien que pour vous je craigne

Certaines gens qui pardonnent trop peu.

(1er couplet de la Préface.)

n'est pas l'exclamation de nos poëtes, mais plutôt : « Que faites-vous, misérables critiques?..... » Au lieu de se reprocher l'essor d'un mauvais livre, ou d'un livre mal venu qui n'est pas encore tout ce qu'il pouvait être, ils s'emportent contre les Aristarques qu'ils appellent des Zoïles (vieux style) ou, qualification plus moderne, des champignons.

des

Autre sort plus amer que les blessures de la critique! C'est, in breve te cogi, et cela, même par amis, quum plenus languet amator :

L'ami rassasié vous roule en un instant.

Tu le sais, Et scis, observe plaisamment l'auteur. Amator ne désigne pas seulement Horace lui-même (voir Dacier), mais ses amis, les amateurs de son talent. Que font de toi, même ceux qui t'aiment? In breve te cogunt. Les étrangers, que feront-ils? Gare que tu n'excites plus promptement leur satiété.

Combien de livres diraient volontiers au public: << Frappe, mais écoute! » Mieux vaut cent fois la critique que l'indifférence. La critique, c'est la vie pour un livre ; l'indifférence, la mort.-Celui d'Horace, triomphant des menaces badines qui le poursuivent ici,

Carus eris Romæ, donec te deserat ætas, etc., etc.

cher urbi et orbi, rit encore après dix-huit siècles, et rira tousiours d'une fraische nouvelleté, suivant l'expression de Montaigne, Garumnæ potor (Od., II, xx).

C'est avec une secrète jouissance qu'Horace en

visage les fâcheuses destinées littéraires, auxquelles il est certain d'échapper, le contrectatus, le taciturnus, etc. :

Contrectatus ubi manibus sordescere vulgi

Cœperis, aut tineas pasces taciturnus inertes....

Passer, lui, par les mains du vulgaire ! Il se donne, épître précédente, des lecteurs plus distingués :

Ingenuis oculisque legi manibusque teneri.

Ailleurs, Sat. I, iv :

Nul comptoir ni pilier n'expose mes libelles

Aux grasses mains du peuple ou des doctes Tigelles.

Taciturnus, qui ne parle plus à personne, que personne n'écoute plus', dans un délaissement, dans un oubli total. Sic transit gloria libri.

.... Je dois trembler; car moi, qui suis prophète,

Je vois de loin l'oubli fondre sur vous.

- De tant d'échos dont la voix vous répète,

L'un meurt, puis l'autre, et puis cent, et puis tous.

Admirable vers, ce dernier ! Mais, perspective encore plus sinistre dans taciturnus, surtout dans inertes. N'inspire-t-il pas une sorte d'effroi, ce travail inerte et silencieux des teignes qui rongent un écrivain, sans qu'on s'oppose à leur action destructive? Comme ces quatre mots, pasces, etc., peignent admirablement le destin des livres abandonnés ! Quel rapprochement d'adjectifs, taciturnus inertes!

Scriptorum auditor. (Epître xix.)

Ce vers m'en rappelle deux, bien énergiques aussi, de Regnier :

Un livre tout moisi vit pour vous, et encore,
Comme la mort vous fait, la teigne le dévore.

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ou

Vanitas vanitatum ! L'abandon, la mort, l'exil, en attendant la mort. - Fugies Uticam. Si c'était Massilie! Mais non : Utique. Triste regain de gloire! La Pharsale aux provinces si chère.—Unctus mitteris Ilerdam. Le dernier coup pour un malheureux poëte! Et j'ai tout Pelletier, etc. Le coup de l'épicier !

Comparaison plaisante du liber avec un Asellus. Ane pour l'entêtement, âne aussi pour le reste : In rupes detrusit asellum. Rupes, les atteintes rudes et aiguës de la critique, etc.

Mais ces atteintes, Horace ne les ressentira pas lui-même Ridebit monitor. - Voilà, certes, un auteur bien détaché de son ouvrage, bien désintéressé sur le sort qu'il prévoit. Ridebit. De ce qui ferait pleurer un autre, il rira, lui!

Horace, poëte épistolaire ou satirique, musa pedestris, ne montre guère l'orgueil d'Horace, poëte lyrique. Il ne se considère même plus comme poëte:

Ego me illorum, dederim quibus esse poetas,
Excerpam numero; neque enim concludere versum
Dixeris esse satis; neque, si quis scribat, uti nos,
Sermoni propiora, putes hunc esse poetam.
Ingenium cui sit, cui mens divinior, atque os
Magna sonaturum, des nominis hujus honorem.

(Sat., I, IV.)

C'est plus qu'un poëte dans les Odes: vates.

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