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Quant à l'ode moins élevée, nous avons vu ce qui lui manquait pour y réussir; - le sentiment de l'amour; cette sensibilité tendre et mélancolique dont Racine était doué; ce goût délicat et, pour ainsi dire, philosophique du plaisir, cette élégante ivresse de volupté, qui inspiraient Horace.

Ces poétiques ailes ne s'allient pas trop non plus avec les détails qui précèdent immédiatement: J'allai d'un pas hardi.... Dira-t-on que ce n'est pas à un oiseau qu'il se compare, mais à quelque génie ailé? Toujours est-ce chose singulière qu'il aille en marchant au Parnasse, et qu'il ne paraisse faisant usage de ses ailes qu'après avoir été entraîné des bords du Permesse à la cour.

On trouverait encore, dans cette longue personnification des vers de Boileau, quelques autres endroits où la métaphore saute un peu brusquement d'une image à l'autre. Par exemple (vers 67) :

Vous croyez à grands pas chez la postérité

Courir, marqués au coin de l'immortalité.

Ce défaut de justesse, il est bien difficile de l'éviter lorsqu'on prolonge trop une allégorie. Horace, dans la sienne resserrée en d'étroites limites, n'y est pas tombé. Il n'y tombe jamais.

Dès le berceau perdant une fort jeune mère',
Réduit seize ans après à pleurer mon vieux père.

Détail intéressant bien présenté. Si, comme nous

Ah! si Boileau ne l'avait pas perdue! Il aurait eu peut-être ce qui lui manque. M. Sainte-Beuve a plusieurs fois parlé de l'influence des mères sur les fils poëtes. « Elles vous marquent » elles aussi, elles surtout! « d'un petit signe qui est leur. >>

le supposons, Horace perdit sa mère d'aussi bonne heure que Boileau, nous aurions aimé qu'il le dît quelque part.

Remarquons encore, dans cette même période, si longue (93-115), un trait de modestie :

Assez près de Régnier m'asseoir sur le Parnasse.

Boileau faisait grand cas de son devancier. Il n'oublie jamais non plus les obligations qu'il avait aux Latins, témoin le vers qui précède celui-là,

Studieux amateur et de Perse et d'Horace.

Ailleurs :

Horace, dans mes vers, tant de fois imité. (Ép. vIII, au Roi.)

C'est encore lui qu'il imite (à part les épigrammes contre les autres), dans ce joli détail :

Vous tiendrez quelque temps ferme sur la boutique';
Vous irez à la fin, honteusement exclus,

Trouver au magasin Pyrame et Régulus,

Ou couvrir chez Thierry, d'une feuille encor neuve,
Les Méditations de Busée et d'Hayneuve,

Puis, en tristes lambeaux semés dans les marchés.
Souffrir tous les affronts au Jonas reprochés.

Mais cela, quoique plus piquant, ne produit pas néanmoins la même impression que le taciturnus

inertes.

Ainsi pour ces deux vers:

Que si mêmes un jour le lecteur gracieux,

Amorcé par mon nom, sur vous tourne les yeux....

Qu'est devenue cette charmante et touchante pein

ture, cette scène pittoresque, balba senectus.... sol tepidus, etc., etc., où nous avons à remarquer le lieu, le temps et l'heure, les personnages, etc.?

Donc, à l'épître latine ou au poëte latin, lequel peut revendiquer aussi ces vers, Que veut-il? etc., etc. (40-47), appartiennent non pas seulement l'idée, mais les plux heureux passages de l'épître française, excepté quelques vers et deux tableaux, vraiment horaciens :

Cessez de présumer dans vos folles pensées,
Mes vers, de voir en foule à vos rimes glacées
Courir, l'argent en main, les lecteurs empressés.

Nos beaux jours sont finis, nos honneurs sont passés;

et celui-ci, qui couronne parfaitement une épître bien commencée (nous avons vu, dans les deux autres épîtres imitées d'Horace, que Boileau sait finir heureusement):

Mais je vous retiens trop. C'est assez vous parler.
Déjà, plein du beau feu qui pour vous le transporte,
Barbin impatient chez moi frappe à la porte :

Il vient pour vous chercher. C'est lui : j'entends sa voix.
Adieu, mes vers, adieu pour la dernière fois '.

1 Pourquoi Boileau n'a-t-il pas un peu plus souvent ce style coupé, vif, court, naturel, au lieu de ces longues effusions périodiques, plus ou moins languissantes, quelquefois si prosaïques? Encore celle-ci, notamment : Mais des heureux regards, etc., (115) où la critique pourrait d'ailleurs, sans être minutieuse, sans qu'on l'accusât de trop éplucher les sons et les paroles, relever plus d'une cacophonie, ces reux, re, ces qui, que, qui, où se heurte l'oreille, ces de, d'é, de, d'i, dans un même vers. L'auteur, en général, abuse de cette consonne d, qui rend sa diction dure et forcée. - Plus haut (81-87), fut, fit, fin, fait. — Quelques mots répétés, vains, amorce, courir, etc. Nous avons cité deux vers où cet infinitif courir forme un rejet très-pittoresque. Mais il ne fallait pas reproduire deux fois en une épître absolument le même effet. Ce verbe reparaît encore au commencement d'un autre vers: Courez en lettres d'or.... (124). Vos

S II.

Ces vers, auxquels Boileau disait adieu, ne furent pas ses derniers vers. Déjà bien faibles, sinon dans cette épître et dans la suivante, mais certainement dans la xii, ils eurent, dans la satire de l'Équivoque, des puînés abâtardis. Car Boileau devait, après avoir abdiqué la satire, y revenir encore deux fois, dans un âge qui ne comportait plus guère pour lui que la causerie douce et familière de l'épître, ou des épanchements pareils à ceux de Chaulieu, dans les stances sur la Retraite, etc. Mais Boileau, malheureusement, n'eut pas cette sereine vieillesse qui reluit dans le traité de Cicéron. La sienne, plutôt semblable au portrait de l'Art Poétique, Multa senem cicumveniunt, etc., fut assaillie par des infirmités nombreuses, par une humeur chagrine, par le contre-coup des revers publics, par la perte des amis et du plus cher de tous, Racine, par l'isolement, etc. On est affligé du tableau de ses dernières années, tel qu'il paraît dans sa triste correspondance. O vieillesse ennemie1! qui (pour ne l'envisager qu'au point de vue littéraire), fit tomber le

froides rêveries n'est qu'une répétition faible de Vos rimes glacées (30). On peut, à propos de rimes, blâmer la fréquence et le rapprochement de celles en er, è, ée, aits; de quatre en eux, quatre épithètes, hasardeux, etc. (47, 50).—Toutes choses qu'on pardonne au style négligé de La Fontaine, qui n'y déplaisent pas, tandis qu'elles choquent dans un écrivain classique comme Boileau. Ainsi des herbes, dont s'embellit un sentier, feraient tache dans une allée régulière, bien sablée.

Il écrit lui-même : « Je suis surchargé d'incommodités et de maladies. O la sotte chose que la vieillesse ! >>

Plus bas Ma poésie expirante... »

:

poëte dans de si déplorables compositions', et d'assez bonne heure encore, l'engagea parmi les ronces scolastiques de son épître sur l'amour de Dieu. Ah! sans doute, c'est par une telle épître, par une épître religieuse et chrétienne que pouvait le mieux finir un poëte comme Boileau; mais ce devait être une épître dans le genre évangélique, et non pas théologique.

Bien différente la destinée d'Horace!

Nous avons vu, dans sa dernière épître, qui clôt si parfaitement le recueil, une épitaphe, en quelque sorte, du poëte. Combien d'années vécut-il encore depuis? On ne le sait pas d'une manière bien certaine. La seule chose que nous sachions positivement, c'est qu'il mourut âgé de cinquante-sept ans, sous le consulat de C. Marcius Censorinus 2. On souffre d'abord, quand on songe qu'il pouvait prolonger son existence d'un assez grand nombre d'années, ajouter au précieux trésor d'écrits qu'il nous a légués. Ensuite, réflexion faite, on est presque tenté de féliciter Horace de n'avoir pas vécu plus longtemps. On se rappelle les consolations. accoutumées des anciens sur les trépas prématurés; on les applique à celui d'Horace. Mécène venait de mourir. Quelle perte que celle d'un tel ami! Certaines odes, présentes à toutes les mémoires, témoignent de la vivacité, de la profondeur de l'at

1 Ce que Cicéron appelle in extremo actu corruere. (De Senect.)

2 Celui même à qui il avait adressé l'épître lyrique ou l'ode épistolaire du livre IV:

Dignum laude virum Musa vetat mori;

Coelo Musa beat.

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