Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ler éternellement de toute passion, lorsque j'aurai à prononcer sur les opinions, sur les écrits, sur les actions de ceux qui ont servi la cause du peuple et de la liberté. J'ajoute qu'il ne faut pas oublier qu'un premier tort conduit toujours à un plus grand. Faisons d'abord cesser ce germe de division que nos ennemis, sans doute, cherchent à jeter au milieu de nous. Que l'acte de justice que vous allez faire soit un germe d'espérance jeté dans le cœur des citoyens qui, comme Vincent et Ronsin, ont souffert un instant pour la cause commune; et nous verrons naître pour la liberté des jours aussi brillants et aussi purs que vous lui en avez déjà donné de victorieux.» (On applaudit.)

Philippeaux. « Comme ce n'est pas moi qui sollicitais le décret d'accusation contre Vincent et Ronsin, je ne m'oppose point à leur élargissement; mais je déclare encoreune fois que la dénonciation que j'ai faite contre Ronsinn'a été dictée que par l'amour du bien public. Les faits que j'ai articulés seront attestés par tous les représentants du peuple envoyés aux armées qui combattaient les rebelles de la Vendée. J'ai fait cette déclaration au comité de salut public, en le pressant de faire vérifier les faits. »

Le président met aux voix la mise en liberté de Ronsin et Vincent. Elle est décrétée. ( On applaudit.)

SÉANCE DU VINGT-SIX FÉVRIER.

Nécessité de détenir les personnes reconnues ennemies de la révolution.

Saint-Just, au nom des comités de salut public et de sûreté générale. « Vous avez décrété,le 4 de ce mois, que vos deux comités réunis de salut public et de sûreté générale vous feraient un rapport sur les détentions, sur les moyens les plus courts de reconnaître et de délivrer l'innocence et le patriotisme opprimés, comme de punir les coupables.

» Je ne veux point traiter cette question devant vous comme si j'étais accusateur ou défenseur, ou comme si Vous étiez juges; car les détentions n'ont pas pris leur source dans des relations judiciaires, mais dans la sûreté du peuple et du gouvernement. Je ne veux point parler des orages d'une révolution comme d'une dispute de rhéteurs ; et vous n'êtes point juges, et vous n'avez point à vous déterminer par l'intérêt civil, mais par le salut du peuple, placé au-dessus de nous.

>> Toutefois il faut être juste; mais, au lieu de l'être con séquemment à l'intérêt particulier, il faut l'être conséquemment à l'intérêt public.

» Vous avez donc moins à décider de ce qui importe à tel ou tel individu qu'à décider de ce qui importe à la république; moins à céder aux vues privées qu'à faire triompher des vues universelles.

» Les détentions embrassent plusieurs questions politiques; elles tiennent à la complexión et à la solidité du souverain; elles tiennent aux mœurs républicaines, aux vertus ou aux vices, au bonheur ou au malheur des générations futures; elles tiennent à votre économie par l'idée qu'il convient de vous faire de la richesse, de la possession': principes oubliés jusqu'aujourd'hui, rapprochements méconnus, et sans lesquels notre république serait un songe dont le réveil serait son déchirement. Les détentions tiennent aux progrès de la raison et de la justice. Parcourez les périodes qui les ont amenées : on a passé, par rapport à la minorité rebelle, du mépris à la défiance, de la défiance aux exemples, des exemples à la terreur.

» Aux détentions tient la perte ou le triomphe de nos ennemis. Je ne sais pas exprimer à demi ma pensée : je suis sans indulgence pour les ennemis de mon pays; je ne connais que la justice.

» Il n'est peut-être pas possible de traiter avec quelque solidité et quelque fruit des détentions, et même de me rendre intelligible, sans parcourir en même temps notre situation.

>> Un empire se soutient-il par son propre poids, ou fautil qu'un système profondément combiné d'institutions y mette l'harmonie ? Une société dont les rapports politiques ne sont point dans la nature, où l'intérêt et l'avarice sont les ressorts secrets de beaucoup d'hommes que l'opinion contrarie, et qui s'efforcent de tout corrompre pour échapper à la justice, une telle société ne doit-elle point faire les plus grands efforts pour s'épurer, si elle veut se maintenir? Et ceux qui veulent l'empêcher de s'épurer ne veulent-ils pas la corrompre? Et ceux qui veulent la corrompre ne veulent-ils pas la détruire?

» Dans une monarchie il n'y a qu'un gouvernement; dans une république, il y a de plus des institutions, soit pour comprimer les mœurs, soit pour arrêter la corruption des lois ou des hommes. Un état où ces institutions manquent n'est qu'une république illusoire, et comme chacun y entend par sa liberté l'indépendance de ses passions et de son avarice, l'esprit de conquête et l'égoïsme s'établissent entre les citoyens, et l'idée particulière que chacun se fait de sa liberté selon son intérêt produit l'esclavage de tous.

>> Nous avons un gouvernement; nous avons ce lien commun de l'Europe, qui consiste dans des pouvoirs et une administration publique : les institutions, qui sont l'âme de la république, nous manquent.

» Nous n'avons point de lois civiles qui consacrent notre bonheur, nos relations naturelles, et détruisent les éléments de la tyrannie; une partie de la jeunesse est encere élevée par l'aristocratie: celle-ci est puissante et opulente: l'étranger, qui s'est efforcé de corrompre les talents, semble vouloir encore dessécher nos cœurs. Nous sommes inondés d'écrits dénaturés : là on défie l'athéisme intolérant et fanatique; on croirait que le prêtre s'est fait athée, et que l'athée s'est fait prêtre. Il n'en faut plus parler! Il nous faudrait de l'énergie, on nous suggère le délire et la faiblesse.

» L'étranger n'a qu'un moyen de ncus perdre; c'est de nous dénaturer et de nous corrompre, puisqu'une république ne peut reposer que sur la nature et sur les mœurs.

C'est Philippe qui remue Athènes; c'est l'étranger qui veut rétablir le trône, et qui répond à nos paroles, qui s'envolent, par des crimes profonds, qui nous restent.

» Lorsqu'une république voisine des tyrans en est agitée, il lui faut des lois fortes: il ne lui faut point de ménagements contre les partisans de ses ennemis, contre les indifférents mêmes.

C'est l'étranger qui défend officieusement les criminels. » Les agents naturels de cette perversité sont les hommes qui, par leur vengeance et leurs intérêts, font cause commune avec les ennemis de la république.

» Vous avez voulu une république; si vous ne vouliez point en même temps ce qui la constitue, elle ensevelirait le peuple sous ses débris: ce qui constitue une république, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. On se plaint des mesures révolutionnaires ! Mais nous sommes des modérés en comparaison de tous les autres gouverne

ments.

> En 1788 Louis XVI fit immoler huit mille personnes de tout âge, de tout sexe, dans Paris, dans la rue Mêlée et sur le Pont-Neuf. La cour renouvela ces scènes au Champ-de-Mars. La cour pendait dans les prisons; les noyés que l'on ramassait dans la Seine étaient ses victimes; il y avait quatre cent mille prisonniers; on pendait par an quinze mille contrebandiers; on rouait trois mille hommes; il y avait dans Paris plus de prisonniers qu'aujourd'hui. Dans les temps de disette, les régiments marchaient contre le peuple. Parcourez l'Europe: il y a dans l'Europe quatre millions de prisonniers dont vous n'entendez pas les cris, tandis que votre modération parricide laisse triompher tous les ennemis de votre gouvernement. Insensés que nous sommes ! nous mettons un luxe métaphysique dans l'étalage de nos principes: les rois, mille fois plus cruels que nous, dorment dans le crime.

[ocr errors]

Citoyens, par quelle illusion persuaderait-on que vous êtes inhumains? Votre tribunal révolutionnaire a fait périr trois cents scélérats depuis un an et l'inquisition d'Es

pagne n'en a-t-elle pas fait plus? et pour quelle cause, grand Dieu! Et les tribunaux d'Angleterre n'ont-ils égorgé personne cette année ! Et Bender, qui faisait rôtir les enfants des Belges! Et les cachots de l'Allemagne, où le peuple est enterré, on ne vous en parle point! Parle-t-on de clémence chez les rois de l'Europe? Non. Ne vous laissez point amollir.

>> La cour de Londres, qui craint la guerre, semble l'ennemie de la paix; elle affecte une contenance qui impose au peuple anglais : mais si vous vous montrez rigides, si vous vous constituez l'état, et si le poids de votre politique écrase tous ses partisans et comprime ses combinaisons; le lendemain du jour où elle aura paru le plus éloignée de la paix, le plus confiante dans sa force, le plus superbe dans ses prétentions, elle vous proposera le paix.

>> N'avez-vous point le droit de traiter les partisans de la tyrannie comme on traite ailleurs les partisans de la liberté? Seriez-vous sages même si vous en agissiez autrement? On a tué Marat et banni Margarot, dont on a confisqué les biens: tous les tyrans en ont marqué leur joie ; craindrions-nous de perdre leur estime en nous montrant aussi politiques qu'eux?

>> Que Margarot revienne de Botany-Bay! qu'il ne périsse point! que sa destinée soit plus forte que le gouvernement qui l'opprime! Les révolutions commencent par d'illustres malheureux vengés par la fortune. Que la Providence accompagne Margarot à Botany-Bay! qu'un décret du peuple affranchi le rappelle du fond des déserts, ou venge sa mémoire !

» Citoyens, on arrête en vain l'insurrection de l'esprit humain ; elle dévorera la tyrannie: mais tout dépend de notre exemple et de la fermeté de nos mesures.

» Apparemment il se trame quelque attentat, sur l'issue duquel les rois comptent, puisqu'ils se montrent insolents après leurs défaites. Peut-on supposer même qu'ils ont renoncé à leurs projets et à celui de nous perdre ? On ne peut le croire sans doute, à moins qu'on ne soit insensé.

« AnteriorContinuar »