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non moins sévère pour les actes, qu'il l'était à l'égard des mots, dans la composition d'un ouvrage, Audebit, etc.

Lusisti satis, edisti satis atque bibisti. voilà bien le crebro personet.

Tempus abire tibi est,

c'est-à-dire, de renoncer aux passe-temps frivoles, ludicra (10), aux joyeuses orgies, vinosus, aux folles amours, amator, aux poésies, quelquefois licencieuses, qui les célébraient les unes et les autres. Cependant il pouvait boire encore, mais à petits coups (minuta, rorantia' pocula); se régaler un jour de fête avec Torquatus, avec Phyllis, etc. Plus de Lydie, de Pholoë fugax, mais cette même Phyllis, en l'amour de laquelle il finirait volontiers ses jours. Rien, du reste, qui se rapporte à l'amour, dans les épîtres, excepté la xvo, pur badinage d'un bout à l'autre. S'il mentionne deux fois Cynara (VII, 28; XIV, 33), c'est pour marquer la différence de sa vie passée à sa vie présente. Toutefois, cette vie nouvelle elle-même ne pouvait pas, quoique sous la garde d'une philosophie plus vigilante, éloigner toujours les troubles de l'âme, les passions. Horace éprouva des retours de jeunesse, entre autres un assez vif ressentiment du mal d'aimer. Intermissa, Venus, diu rursus bella moves? Certains regrets devaient à certains moments l'assaillir. Faut-il que tant d'objets si doux et si

1 De Senectute.

« (Rebus venereis) senectus, si non abunde potitur, non omnino caret. » 'De Senect., 14.)

charmants...! Mais la philosophie, la campagne et la nature, l'amitié, un amour à portée de son âge, tempestivior, l'avaient bientôt consolé. Cette ode même à Vénus, et plusieurs autres, prouvent aussi qu'il ne s'était pas irrévocablement séparé de la poésie lyrique. Encore une consolation!

La fin de l'épître ramène le double principe qui dirigeait l'auteur, l'æquum et le decens, principe renfermant tous les autres, et dont nous verrons presque à toutes les épîtres le rappel et l'application.

Si l'on a porté sur Horace des jugements erronés et contradictoires, n'est-ce pas faute d'avoir établi cette distinction nécessaire entre les deux premiers tiers de son existence et le dernier, entre l'homme de certaines odes ou satires et celui des épîtres?

Avant d'aborder l'examen de ces dernières, demandons-nous si quelqu'un de nos écrivains nous offrirait une vie analogue à la vie d'Horace, cette vive jeunesse, plus ou moins fougueuse, calidam, puis une sage vieillesse, tepidum autumnum?

Nous avons vu que ce n'était pas Boileau.

Nous rapprocherons souvent de lui Montaigne et Voltaire pour l'expression, bien pittoresque aussi, surtout chez le premier, des mêmes sentiments, des mêmes goûts, des mêmes principes. Mais quelles grandes différences les ont d'ailleurs séparés1! Plus différents encore nos deux épistolaires,

'M. Sainte-Beuve fait de Montaigne (Port-Royal, liv. III) une appréciation vive et pénétrante, que Montaigne aurait fort goûtée. Il le proclame l'homme naturel par excellence. L'homme naturel aussi chez Horace, mais qui entend et suit mieux la vraie nature.

Balzac, malgré quelques rapports, et Voiture! On ne pourrait pas non plus lui assimiler La Bruyère, qui, par plusieurs bons côtés, le rappelle; ni Chaulieu, « l'Horace français », disaient les contemporains; ni La Fontaine, cet autre épicurien du Temple, mais qui avait encore moins que Chaulieu la délicatesse et la sagesse de notre épicurien latin, bien qu'ils pussent tous deux l'invoquer comme un des leurs.

Nous trouvons, plus tard, la jeunesse à la fois studieuse et voluptueuse d'André Chénier, mais hélas! sans vieillesse; l'heureuse vieillesse de Ducis, mais sans une jeunesse pareille à celle d'Horace.

Celui de nos auteurs qui me paraît, comme homme et comme écrivain, le mieux représenter Horace, c'est Béranger. La ressemblance frapperait davantage s'il avait, à son exemple, composé des épîtres, qu'il aurait pu écrire presque dans le même style. Et notez que de tous ces écrivains (célibataires comme Horace, pour le dire entre parenthèse, à l'exception de Ducis, mais sans excepter Montaigne et La Fontaine, l'un qui n'épousait que lui, l'autre qui avait fini par oublier si bien qu'il était marié), Béranger est celui qui connaît le moins Horace. Il ne l'a jamais imité.

Nous appuierons, chemin faisant, de preuves sensibles l'exactitude du rapprochement. La pre

« Quant à Horace (dit Fauriel, dans une notice sur Chauli u), il est peut-être plus difficile encore d'être son semblable que son égal, et Chaulieu n'a été ni l'un ni l'autre. »

'Politique à part, bien entendu.

mière occasion de les mettre en parallèle, mais plutôt cette fois comme écrivains, nous est fournie par ces deux épîtres à Florus et à Mécène. Béranger s'est rencontré, dans sa dernière préface, avec la fin de l'une et le commencement de l'autre.

<< Quant à moi, dit-il, qui jusqu'à présent n'ai eu qu'à me louer de la jeunesse, je n'attendrai pas qu'elle me crie: Arrière, bonhomme! laisse-nous passer. Ce que l'ingrate pourrait faire avant peu. Je sors de la lice pendant que j'ai encore la force de m'en éloigner (Vejanius armis, etc.). »

Il ne dit pas toutefois comme Horace : Versus pono.

Quoi vous ne ferez plus de chansons? Je ne promets pas cela; entendons-nous, de grâce. Je promets de n'en pas publier davantage.

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Promesse de poëte, qui n'a pas empêché, bientôt après, certain coq de s'envoler du logis, ainsi que mainte autre chanson.

Ainsi, malgré sa renonciation formelle à la poésie lyrique, Horace faisait encore des odes. La Muse, aussi bien que Vénus, lui revenait, mais toujours avec les mêmes grâces, les mêmes faveurs qu'au temps de la jeunesse.

Si nous passons de notre littérature à celle des Romains, là aussi nous apparaîtra bien originale, plus originale encore que chez nous, la physionomie d'Horace. Avant lui, quel écrivain l'annonce? Ce n'est pas Cicéron, bien qu'Horace ait profité de ses ouvrages; ni Térence non plus, dont le talent, surtout comme versificateur, lui prépara la voie; pas même Catulle, ce délicieux poëte à

qui il a aussi des obligations. Quel écrivain après lui le rappelle? Ce n'est aucun des jeunes élégiaques contemporains; c'est encore moins Lucain, Stace et les autres. Personne n'aurait l'idée de lui comparer Perse. Juvénal? ce poëte hyperbolique, outré, lui ressemble comme à la pourpre de Sidon ressemblait la teinture rouge d'Aquino, sa patrie. « Aquinatem potantia vellera fucum. » (Ép. x). Sénèque se fait quelquefois l'écho des maximes d'Horace. Mais, en général, quelle philosophie inférieure pour la sincérité, la sagesse, le bon sens, pour la simplicité et la sûreté de la règle! Sénèque est le père de ces modernes sophistes dont nous avons nommé le plus illustre, Rousseau, si supérieur à lui comme à tous, lesquels nous attirant par de brillantes ou spécieuses qualités, par des défauts séduisants, nous égarent, parce qu'ils n'ont pas un but certain, ou qu'ils en poursuivent à la fois plusieurs, même de contradictoires, d'impossibles. Encore Sénèque nous fatigue et nous rebute souvent à force de subtilités, de pointes, de redites, de petites phrases façonnées, de mots brillants qui sonnent creux ou faux, de clinquant, d'apparat, de charlatanerie, etc. Qu'Horace, simplex et unus, nous dirige plus sûrement par une voie plus courte et plus attrayante! Comme, chez lui, la pratique répond de la théorie et la persuade ! Voilà bien dans toute son évidence, dans tout son lustre, le verum atque decens, avec tous les avantages et toutes les jouissances qu'il assure. Sénèque, au lieu de s'y attacher uniquement, saute et divague à côté, le plus souvent au delà. On di

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