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génie ou d'un talent supérieur! Seule ruine qui non-seulement n'attire pas le respect, mais trop souvent excite le rire ou la pitié. Ridendus. On se rappelle tout de suite, entre tant d'exemples connus, le plus éclatant de notre littérature, Corneille, ce mâle athlète, tombant de chute en chute à l'Attila.

Horace, lui, fidèle au vólt Geάutóv, imite le gladiateur avisé, qui se retire de l'arène' avant. que sa faiblesse ne l'expose à la risée de l'amphithéâtre. C'est qu'il a, comme Socrate, son démon familier; non pas ce Génie inégal qui soufflait à Corneille ses plus beaux vers, et puis le plantait là; mais un Génie toujours présent et préservatif, le bon sens, la raison, etc., son Apollon, le même qui, dans l'ode (Iv, 5), increpuit lyra; qui, dans l'églogue (vi), tire Virgile par l'oreille, Cynthius aurem vellit et admonuit: faisant le même office, mais avec plus de succès, que Gilblas auprès de l'archevêque. Solve senescentem.

Malheureux! laisse en paix ton cheval vieillissant,
De peur que tout à coup, efflanqué, sans haleine,
Il ne laisse en tombant son maître sur l'arène.

'Antiquo ludo, vers 3. Antiquus, « où je me suis si longtemps exercé?» — Toties, vers 6. « Demandant grâce, autant de fois qu'il reparaîtrait dans l'arène. »

a

2. Antequam in has ætatis veniat insidias', receptui canet et in portum integra nave perveniet. » (Quintilien, parlant de l'orateur. x).

Solve senescentem nature sanus equum, ne....

Il semble que le vers, par une subite défaillance, s'abatte comme un cheval qui bronche.

Heureux équivalent de ce monosyllabe final, ne, dans un vers de Boileau :

Vains et faibles enfants de ma vieillesse nés. (Ép. x.)

Mais sa comparaison du cheval est inférieure à celle d'Horace. Dans le

Boileau, qui a traduit ce conseil, ne le suivit point; non plus qu'un autre poëte de l'époque, imitateur lui-même d'Horace, J.-B. Rousseau. «L'état où il est n'est plus pour lui le temps des odes, écrivait Voltaire, 1738. » Solve senesc. (vers fréquemment cité dans sa correspondance). «Ceux qui ont dit que les vers étaient, comme l'amour, le partage de la jeunesse, ont eu raison. » Il est vrai qu'il ajoute : « On peut étendre loin cette jeunesse » Mais bien peu jouissent', comme Voltaire, de cette faculté-là. Encore ne la conserva-t-il point dans tous les genres. L'exemple de Corneille ne devait pas profiter à son commentateur, qui poursuivit, à la fin, d'un amour si malheureux, la tragédie.

Horace, au terme de la jeunesse', quitte à la fois

dernier vers, il ne tombe, etc., vaudrait mieux et rappellerait davantage Peccet ad extr.

Du reste, course de chevaux, dans le poëte français, non pas de chars. Un tournoi.

Rapprochons du peccet, etc. une phrase de Balzac :

« Je me heurte en mon chemin à autant de pierres que vous trouvez de fleurs dans le vostre... » (Liv. VII, 12o lettre, une de ses plus agréables.) Un de ces génies privilégiés, La Fontaine.

Qui n'admettrait Anacréon chez soi?

Qui banuirait Waller et La Fontaine ?

Tous deux sont vieux, Saint-Evremont aussi :

Mais verrez-vous au bord de l'Hippocrène

Gens moins ridés dans leurs vers que ceux-ci ?

(A la duchesse de Bouillon.)

Non certes, je ne parle que du Bonhomme. Encore finit-il par ne plus

trouver dans l'Hippocrène la fontaine de Jouvence.

Ridés dans leurs vers. « Elle (la vieillesse) nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage.» (Montaigne, III, 2.)

Corneille aussi le disait :

Et les rides du front passent jusqu'à l'esprit.

'On sait qu'elle était plus longue chez les Romains que chez nous.

les vers et les amours, ce qu'il appelle ludicra : les plaisirs du jeune âge ou du bel âge, ses jeunes fantaisies, littéraires et autres, la poésie lyrique, qui demande un feu vif, une ardeur passionnée, impétueuse, qu'un autre âge ne comporte guère. Le moyen, quand vous n'êtes plus amoureux, de chanter l'amour? de célébrer dignement les héros et les dieux, quand la vieillesse arrête l'enthousiasme, refroidit l'imagination? C'est l'époque de la raison, de la philosophie. La muse n'a plus d'ailes. Adieu donc, frivolités, passe-temps joyeux, voluptés! Chansonnettes, chansons, odes, hymnes et dithyrambes, adieu! Place aux épîtres, c'est-àdire, aux causeries paisibles, doucement enjouées, où se reflète la nouvelle et dernière phrase de notre âme (Sermones).

Il est une saison pour la galanterie :

Qu'il en soit une aussi pour la philosophie'. (Misanthrope.)

Horace prend tout à fait congé de la poésie lyrique: c'est à la philosophie seule qu'il se livrera désormais. Ainsi le veut son âge. (Non eadem est ætas, non mens.)

De même, épître à Florus, 11, 141:

Nimirum sapere est abjectis utile nugis,
Et tempestivum pueris concedere ludum;
Ac non verba sequi fidibus modulanda latinis,
Sed veræ numerosque modosque ediscere vitæ.

Il y a dans Molière propre à la pruderie, hémistiche rude et hérissé qui caractérise bien la pruderie.

... Un honneur armé de griffes et de dents. (Tartufe.)

Voltaire :

Laissons à la belle jeunesse

Ses folâtres emportements :

Nous ne vivons que deux moments,

Qu'il en soit un pour la sagesse.

(Stances à madame du Châtelet, 1741'.)

Le même, dans la lettre citée :

« La vie est trop courte et l'esprit de l'homme trop destiné à s'instruire, pour consumer tout son temps à chercher des sons et des rimes. >>

« Composer vos mœurs est vostre office, non pas composer des livres. » Montaigne, 1, 13. III,

«... Et parce qu'ils (les gens de littérature, les beaux esprits) savent arranger des mots, mesurer un vers ou arrondir une période, ils pensent avoir droit de se faire écouter sans fin, et de décider de tout souverainement! O justesse dans la vie, ô égalité dans les mœurs, ô mesure dans les passions, riches et véritables ornements de la nature raisonnable, quand est-ce que nous apprendrons à vous estimer..?» (Bossuet, Sermon sur l'honneur.) ·

Voltaire avait alors quarante-huit ans. Vers le même temps, il empruntait la langue et les expressions d'Horace pour cette inscription vraiment horacienne, gravée sur une porte du château de la marquise :

2

Hic, virtutis amans, vulgi contemptor et aulæ,
Cultor amicitiæ, vates latet abditus agro.

« Suivons (dit Balzac, pour d'autres apparemment que pour lui) le conseil que le père Léonard Lessius donnait à son ami Juste-Lipse, c'est assez faire l'enfant, et s'amuser à ce jeu de mots et de syllabes; il faut vieillir plus sérieusement, et dans de plus graves et de plus importantes pensées. La propriété, la régularité, la beauté mesme du langage ne doit pas estre la fin de l'homme. »>

Plus haut:

La mort l'attrapa (Malherbe) sur l'arrondissement d'une période, et

Horace, même épître à Florus (55):

Singula de nobis anni prædantur euntes:
Eripuere jocos, Venerem, convivia, ludum;
Tendunt extorquere poemata;

c'est-à-dire le peu de vers qu'il faisait encore, « le peu d'encens dont je nourris mes dieux. >>

Nous avons déjà cité la fin: Lusisti satis... lasciva decentius ætas. Rapprochons de ce passage deux jolies odes (liv. III), l'une à Chloris, 15,

....Non citharæ decent,

Nec flos purpureus rosæ,

Nec poti, vetulam, fæce tenus cadi1;

l'autre à Vénus, 26, gracieux pendant de Vejanius armis, etc.

....Nunc arma, defunctumque bello
Barbiton hic paries habebit.

Mais ici, sauf à les reprendre demain, si Chloé s'humanise, ou qu'une autre belle plus facile, minus arrogans, le console.

l'an climatérique l'avoit surpris, délibérant si Erreur et Doute estoient masculins ou féminins. » (Socrate Chretien, discours xe).

« Si j'étais jeune, je chercherais les plaisirs de la jeunesse... Si je restais tel que je suis, ce serait autre chose; je me bornerais prudemment aux plaisirs de mon âge; je prendrais les goûts dont je peux jouir, et j'étoufferais ceux qui ne feraient plus que mon supplice. Je n'irais point offrir ma barbe grise aux dédains railleurs des jeunes filles... La vie humaine a d'autres plaisirs quand ceux-là lui manquent; en courant vainement après ceux qui fuient, on s'ôte encore ceux qui nous sont laissés. Changeons de goûts avec les années, ne déplaçons pas plus les âges que les saisons: il faut être soi dans tous les temps, et ne point lutter contre la nature ces vains efforts usent la vie, et nous empêchent d'en user. » (Émile, IV.)

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