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principes éternels de justice et d'égalité qu'elle a consacrés, fidèle à la Déclaration des Droits de l'homme, décrète dès ce moment que l'esclavage est aboli sur tout le territoire de la République. (Une voix : C'est décrété!) Saint-Domingue fait partie de ce territoire, et cependant nous avons des esclaves à Saint-Domingue! Je demande donc que tous les hommes soient libres sans distinction de couleur. » (Applaudissemens.)

Lacroix (d'Eure et Loir). «En travaillant à la Constitution du peuple français nous n'avons pas porté nos regards sur les malheureux hommes de couleur qui gémissaient dans l'esclavage en Amérique, et la postérité pourra nous reprocher cet oubli, qui, tout involontaire qu'il est, n'en est pas moins coupable devant la philosophie. Nous devons réparer ce tort. Inutilement avons-nous décrété que nulle taxe avilissante pour l'homme, nul droit féodal ne serait perçu dans la République française; vous venez d'entendre un de nos collègues dire qu'il y a encore des esclaves dans nos colonies! Il est temps de nous élever à la hauteur des principes de la liberté et de l'égalité. On aurait beau dire que nous ne reconnaissons pas d'esclaves en France; n'est-il pas vrai que nous laissons dans l'esclavage des hommes sensibles et braves qui ont reconquis leurs droits? Vainement aurions-nous proclamé la liberté et l'égalité s'il reste sur le territoire de la République un seul homme qui ne soit pas libre comme l'air qu'il respire, s'il existe encore un esclave! Proclamons la liberté des hommes de couleur! (Vifs applaudissemens. )

» Oui, abordons franchement la question, et disons positivement que tous les citoyens de la République française, de quelque couleur qu'ils soient nés, sont libres, et jouissent de tous les droits de citoyen français, aux termes de la Constitution!

» Donnez ce grand exemple à l'univers; que ce principe, consacré solennellement, retentisse dans le cœur des Africains enchaînés sous la domination anglaise et espaguole; qu'ils sentent toute la dignité de leur être; qu'ils s'arment, et viennent augmenter le nombre de nos frères et des sectateurs

de la liberté universelle! (Applaudissemens. Aux voix! Aux voix!)

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Levasseur (de la Sarthe). Citoyens, s'il était possible de mettre sous vos yeux le tableau déchirant des maux de l'esclavage, de la tyrannie exercée dans nos colonies par l'aristocratie de quelques blancs, votre âme généreuse s'indignerait, vous frémiriez !... »

Lacroix (d'Eure et Loir).

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Président, ne souffrez pas que la Convention se déshonore par une plus longue discussion ! >>

Levasseur de la Sarthe ). « Hâtez-vous de les faire cesser! Je demande que ma proposition soit mise aux voix sur le champ.

>>

L'Assemblée entière se lève, et vote par acclamation. Le président prononce l'abolition de l'esclavage. Aussitôt les cris de vive la République, vive la Convention nationale, éclatent et se prolongent dans toutes les parties de la salle. Les députés de Saint-Domingue, hommes de couleur, s'abandonnent au sentiment de la reconnaissance; Lacroix les conduit dans les bras du président, qui leur donne le baiser fraternel au nom de tous les Français ; ils le reçoivent ensuite de chaque représentant. Cette scène touchante se répète en même temps dans les tribunes publiques : les citoyens hommes de couleur sont recherchés, pressés, • embrassés par leurs nouveaux frères leurs concitoyens; des larmes de joie sont dans tous les yeux; vive la liberté est dans toutes les bouches.

" par

Un membre demande qu'un aviso soit expédié sur le champ pour porter aux colonies l'heureuse nouvelle de leur affranchissement.

Danton. ་་

Représentans du peuple français, jusqu'ici nous n'avions décrété la liberté qu'en égoïstes, pour nous seuls ; mais aujourd'hui nous proclamons à la face de l'univers, et les générations futures trouveront leur gloire dans ce décret, nous proclamons la liberté universelle! La Convention nationale a fait son devoir.

» Il était digne des représentans du peuple français d'ajouter au code de la liberté la déclaration philanthropique dictée par tous vos cœurs dans cette heureuse circonstance. J'ai joui en véritable ami de la liberté du spectacle qui vient de se passer. Il nous appartenait de proclamer l'abolition de l'esclavage; il nous reste à en préparer les salutaires effets. Il existe entre l'esclavage et la liberté un passage délicat et difficile à franchir. On vous propose d'envoyer sur le champ un aviso pour faire connaître la loi bienfaisante que vous avez rendue je m'y oppose, et je demande le renvoi de cette proposition au comité de salut public, qui vous présentera ses vues sur les meilleurs moyens de faire parvenir votre décret aux colonies; mais que le rapport soit fait promptement, et qu'on lance la liberté sur les colonies avec les moyens de la faire fructifier. La prudence, l'humanité, la politique l'exigent.

» Citoyens, c'est aujourd'hui que l'Anglais. est mort! (Vifs applaudissemens.) En jetant la liberté dans le nouveau monde vous travaillez pour les générations futures; vous renversez toutes les espérances de la coalition. Elle y portera des fruits abondans, elle y poussera des racines profondes! Pitt et ses complots sont déjoués! L'Anglais voit s'anéantir son commerce! La France, qui jusqu'à ce jour avait pour ainsi dire tronqué sa gloire, reprend enfin aux yeux de l'Europe étonnée et soumise la prépondérance que doivent lui assurer ses principes, son énergie, son sol et sa population ! Activité, énergie, générosité, mais générosité dirigée par le flambeau de la raison, et régularisée par le compas des principes, et vous vous assurerez à jamais les bénédictions de tous les peuples, la reconnaissance de la postérité!

>>

>>

Lacroix propose une rédaction qui est décrétée en ces termes, et à l'unanimité :

<< La Convention nationale déclare aboli l'esclavage des negres dans toutes les colonies; en conséquence elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution.

» Renvoie au comité de salut public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour l'exécution du présent décret. »

DISPOSITION DES COULEURS NATIONALES RELATIVEMENT AU PAVILLON DE LA RÉPUBLIQUE.

(Voyez tome II, page 176.)

RAPPORT fait au nom du comité de salut public par Jean-Bon Saint-André. - Du 27 pluviose an 2. (15 février 1794.)

« Un pavillon qui n'est pas celui de la République flotte encore sur vos vaisseaux : les marins s'en indignent; ils appellent à grands cris une réforme que vos principes, que l'honneur de la liberté réclament avec eux. J'ai été le dépositaire de leur vœu à cet égard; je l'ai fait connaître au comité de salut public, et le comité vous le transmet par mon organe.

>> Les couleurs nationales sont désormais les seules qui puissent plaire à des Français; il faut qu'on les voie par tout, qu'on les retrouve partout, et, si je l'osais dire, plus encore dans le pavillon de nos vaisseaux que sur les drapeaux de nos intrépides bataillons. Le pavillon est pour le marin non seulement le signal du ralliement, le guide matériel qui le conduit à la victoire ; il est encore sa grammaire, son langage, le moyen par lequel il communique et reçoit à de grandes distances des idées très compliquées. Sera-ce avec un vocabulaire monarchique que les généraux des armées navales donneront des ordres républicains? Non, vous ne souffrirez pas plus longtemps ce scandale politique! Tout change autour de nous, nos lois, nos mœurs, nos usages : que les signes changent aussi! Répondez, législateurs, à l'indignation des équipages de la flotte; répondez à l'impatience qu'ils éprouvent d'en voir disparaître l'objet.

» L'Assemblée constituante apporta quelque changement, ou plutôt une légère modification au pavillon ci-devant royal. Le peuple, fatigué de la tyrannie, demandait que tout ce qui en retraçait le souvenir fût absorbé par les couleurs chéries de la liberté. Des disputes sérieuses s'élevèrent dans

le sein de cette Assemblée sur la forme du pavillon national. On sentit bien qu'il fallait se soumettre à l'opinion publique, trop fortement prononcée pour oser la contrarier ouvertement; mais on tâcha de l'éluder même en paraissant la respecter: on conserva pour le fond la livrée du tyran, et les trois couleurs républicaines, reléguées dans un coin du pavillon, n'attestèrent, par la mesquinerie ridicule avec laquelle on les y avait placées, que le regret de ceux à qui la puissance du peuple avait arraché ce faible sacrifice. C'est ainsi que dans cette fédération toute monarchique on vit les départemens recevoir au nom de la liberté les bannières de la sérvitude!

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Ce pavillon déplut presque également aux partisans du despotisme et aux amis de la liberté : les uns ne virent dans cet alliage bizarre qu'une tache à ce pavillon, flétri par les Conflans et les Grasse; les autres, avec plus de raison, n'y virent qu'une dérision, une caricature outrageante pour le peuple, que l'on comptait presque pour rien au moment où l'on proclamait sa souveraineté. L'imitation servile de la forme anglaise acheva d'indisposer les esprits, et ce fut avec beaucoup de peine qu'on parvint à le faire adopter.

» Il est temps de réparer cette erreur, cette méprise, sans doute volontaire. Quand vous allez combattre les esclaves de Georges, les stipendiés de Pitt, il faut commander la victoire au nom de la patrie; un mélange de royalisme formerait un contraste trop révoltant avec la cause sublime que vous défendez. Qu'il disparaisse, et qu'il disparaisse à jamais!

>> Votre comité vous propose un pavillon formé tout entier des trois couleurs nationales, simple comme il convient aux mœurs, aux idées, aux principes républicains, qu'on ne puisse confondre avec celui d'aucune autre nation, et qui dans quelque sens qu'il soit placé présente toujours ces couleurs dans le même rapport entre elles.

» Braves marins, vous le défendrez cloué à la poupe de vos vaisseaux! Vous ne souffrirez jamais qu'il soit amené, et vous punirez de mort le lâche qui oserait en concevoir le dessein! Vous le recevrez des mains de la patrie; vous serez responsables envers elle du dépôt sacré qu'elle vous

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