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Un mot, cependant, pour répondre à ce que le système de Malthus pourrait présenter de raisonnable à certains esprits.

Quel résultat produirait sur l'économie industrielle une diminution quelconque de la population? Est-ce que les besoins ne diminueraient pas avec le nombre des consommateurs? Est-ce que la suppression d'un quart de la population n'abaisserait pas d'un quart la consommation? Qu'y aurait-il donc de changé à la situation actuelle?

Lorsque la terre nous refusera la subsistance, alors il nous sera permis de toucher à l'œuvre du Créateur; mais jusqu'à présent ce ne sont que les aberrations de la raison humaine qui ont bouleversé l'harmonie de la création.

A. BAZIN,
Ouvrier typographe.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 juin 1862.

COMMUNICATIONS: Lettre de M. J. David.

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Lettre de M. J. Simon; conférence

Rapport de M. Frère-Orban sur

économique à Nancy par M. Frédéric Passy.
l'exécution de la loi abolissant les octrois en Belgique.
(2 livraison).
de M. L. Stéphane Leclerc sur la production du coton algérien.

La statistique de la Prusse Ouvrage de M. V. Modeste sur la Cherté des grains. — Exposé

DISCUSSION. Sur les coalitions d'ouvriers et les coalitions d'entrepreneurs.

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La réunion a été présidée par M. Charles Dunoyer, membre de l'Institut.

M. Guillaumin donne connaissance d'une lettre qui lui a été adressée par M. Jean David, fils de M. David, ex-représentant, membre de la Société d'économie politique, dont M. le secrétaire perpétuel a entretenu la Société, dans la dernière séance, en annonçant sa mort.

Il communique également une lettre de M. Jules Simon, qui, de retour d'une excursion en Allemagne, a passé par Nancy et y a entendu une conférence de M. Frédéric Passy, l'un des plus zélés propagandistes que l'économie politique ait eus. « M. Frédéric Passy, dit M. Jules Simon, a défendu la cause de l'économie politique avec beaucoup d'habileté, de verve et de succès. Il a montré très-heureusement que l'étude des bonnes conditions matérielles de la vie n'exclut pas la préoccupation des idées morales. J'avais amené un des plus notables de la ville, qui était venu un peu malgré lui, parce que, pour lui, économie et libre

échange, libre-échange et ruine du commerce de la broderie, tout cela ne fait qu'un. Il est sorti converti à M. Frédéric Passy, et même, sur beaucoup de points, à la science économique. A l'issue de la leçon qui devait être unique, on en a unanimemert demandé une seconde, que j'ai eu le regret de ne pas entendre, parce qu'elle a eu lieu après mon départ..... »

M. le secrétaire perpétuel entretient la réunion du rapport que lui a fait adresser l'honorable M. Frère-Orban, ministre des finances en Belgique, sur l'exécution de la loi du 18 juillet 1860, pendant l'année 1861. Cette loi a aboli les octrois et opéré une importante réforme qu'il est intéressant de suivre dans ses conséquences. Le ministre dit que le nouveau système a fonctionné avec une régularité parfaite, sans compromettre l'équilibre des budgets des villes et en ayant la plus heureuse influence sur la situation financière des communes rurales ; et il répond, en constatant les faits, aux objections qui lui avaient été faites, en même temps qu'il explique leurs devoirs nouveaux aux administrations communales. Il finit en disant : « Bien que les avantages de l'abolition des octrois soient permanents, il arrive, comme de tous les biens dont on est en possession, que l'impression s'en affaiblit à mesure qu'on s'éloigne du moment où on les a reçus. C'est ce que comprenait très-bien un magistrat éminent (1), qui avait formellement annoncé le projet, s'il lui avait été donné de voir se réaliser cette réforme qu'il désirait si vivement, de proposer au conseil communal qu'il présidait de décréter l'établissement de taxes diverses nouvelles, le jour où les barrières seraient tombées. Il pensait avec raison que sous la première impression du progrès qui s'accomplissait, une semblable proposition n'eût pas rencontré une opposition dans le conseil, et eût été sanctionnée par l'assentiment unanime des habitants. » M. Frère-Orban engage donc les administrations municipales à procéder à l'établissement de taxes directes, et surtout à ne pas perdre un temps précieux en tentatives, inutiles d'ailleurs, pour rétablir des taxes indirectes qui ne seraient que des droits d'octroi plus ou moins déguisés.

M. le docteur Engel, membre de la société d'économie politique à l'étranger, qui a succédé à M. Disterici dans la direction du bureau de statistique de Prusse, adresse la deuxième livraison de l'importante publication sur la statistique générale du royaume, contenant les résulats recueillis pour l'industrie manufacturière (2).

(1) Feu M. Ch. de Brouckère, si nous ne nous trompons. (Note du rédacteur.) (2) II. Vergleichende uebersicht des ganges der industrie, des handels und werkehrs im preussischen staate, 1860. In-4 de 98 pages. Berlin, 1862.

M. Victor Modeste, membre de la Société, adresse la troisième édi tion de son excellent écrit, intitulé: De la cherté des grains et des préjugés populaires qui déterminent les violences dans les temps de disette (1). Il y a huit ans, lorsque ce vif, chaleureux et instructif exposé parutpour la première fois, il révéla un zélé sectateur de la science économique, qui a tenu tout ce que ce brillant début faisait espérer. Il faut conseiller la lecture de ce livre sur les grains à tous ceux qui sont en position d'éclairer et de rassurer les populations sur le plus cher de leurs intérêts. Il y a cent ans, nos aïeux les physiocrates ont presque tous traité la question de la liberté des grains. Le sujet est encore à l'ordre du jour, tant le progrès va lentement. En conseillant aux amis du progrès et de la liberté, la propagation de l'écrit de M. Modeste, M. le secrétaire perpétuel rappelle les conversations sur le même sujet par M. de Molinari (2), autre vaillant de la milice économique, qui a présenté le même sujet sous la forme adoptée par Galiani, avec autant d'esprit et infiniment plus de bon sens et de raison qu'il n'y en a dans les Dialogues beaucoup trop vantés de l'abbé restrictioniste.

M. Louis-Stéphane Leclerc, frère de M. Louis Leclerc, secrétaire de la chambre de commerce, le publiciste agronome qui a laissé de si bons souvenirs au sein de la Société d'économie politique, adresse un rapide coup d'œil envoyé aux membres des chambres de commerce, sur la production du coton en Algérie, dont il a récemment été question au sein de la Société, à propos des suites économiques de la guerre civile aux EtatsUnis. M. Louis-Stéphane Leclerc, qui a quitté, il y a quelques années, la carrière de l'enseignement pour se consacrer à la culture en Algérie, fait un remarquable exposé de la question de colonisation en Afrique, et en particulier de la production du coton, sujet d'un si grand intérêt depuis que la guerre civile a éclaté dans les États-Unis. La conclusion de l'auteur est que l'Algérie, qui produit déjà, mais d'une manière restreinte les diverses variétés de coton, pourrait le produire en grandes quantités, à des prix rémunérateurs pour l'agriculture. M. Leclerc explique à quelles conditions agricoles et financières cet important résultat pourrait être obtenu.

Après ces communications, la discussion s'engage sur une question de règlement dont nous n'avons point à entretenir les lecteurs de la Revue et ensuite sur une question posée par M. Dupuit et qui se rat

(1) In-18. 1862. Guillaumin et C. 3 fr. 50.

(2) Conversations familières sur le commerce des grains. In-18. Bruxelles, Decq; Paris, Guillaumin et C. 2 fr. 50.

tache à celle qui a fait l'objet de la conversation de la dernière réunion mensuelle.

SUR LES COALITIONS D'OUVRIERS ET LES COALITIONS D'ENTREPRENEURS.

M. DUPUIT, inspecteur général des ponts et chaussées, formule ainsi sa proposition: « Le Gouvernement doit-il intervenir dans les coalitions soit de patrons, soit d'ouvriers, ayant pour but d'obtenir une diminution ou une augmentation de salaire? »

M. JOSEPH GARNIER ne voit pas là un sujet de discussion pour une Société qui met au nombre de ses dogmes la liberté du travail et la liberté des transactions.

M. DUPUIT est d'une opinion inverse. Quoique partisan très-décidé de la liberté du travail et de la liberté du commerce, il croit que l'autorité doit intervenir et empêcher les coalitions.

Selon lui, si le droit de coalition pouvait amener une augmentation de salaire pour les ouvriers, il est hors de doute, qu'il faudrait le leur laisser. Mais il n'en est pas ainsi. Sous le régime de la concurrence illimitée de l'industrie, le salaire des ouvriers est uniquement réglé par la loi de l'offre et de la demande, et une coalition de patrons ou d'ouvriers ne pourrait jamais ni le diminuer ni l'augmenter d'une manière permanente. Quand, dans une industrie, le salaire est insuffisant, cela tient à ce que les ouvriers y sont trop nombreux; tout moyen artificiel d'augmenter leur salairre ne peut avoir d'autre résultat que de troubler l'ordre et de diminuer la production générale par un chômage plus ou moins prolongé. La liberté de coalition n'est donc pour les ouvriers, que la liberté de se faire du mal en en faisant à la société. La coalition des chefs d'industrie n'a pas toujours les mêmes résultats, c'est-à-dire que, toujours funeste à la société, elle est quelquefois profitable aux patrons, quand, comme cela arrive dans quelques industries, la concurrence se trouve plus ou moins limitée par certaines circonstances particulières. Alors ils peuvent élever les prix de leurs produits, baisser les salaires de leurs ouvriers pendant un temps assez long et réaliser d'énormes bénéfices. Il ne faut que quelques semaines ou quelques mois au plus, pour venir à bout d'une coalition d'ouvriers par la concurrence d'autres ouvriers; mais pour détruire de la même manière une coalition de maîtres de forges, de propriétaires de mines, etc., etc., il faudrait d'immenses capitaux et de longues années. Il est même probable que si des capitalistes tentaient l'entreprise, ils finiraient par se réunir à la coalition pour éviter une ruine certaine.

Les lois qui défendent et punissent les coalitions sont donc bonnes, sont donc utiles à la société, puisqu'elles ont pour résultat d'augmenter la masse de la production. Au point de vue de la justice, les ouvriers ne pourraient s'en plaindre, puisqu'elles sont entièrement dans leur intêrêt; si elles privent quelques grands industriels des bénéfices que leur donnait le monopole de leur industrie, elles leur assurent les avantages de la concurrence pour les produits de toutes les autres industries dont ils ont eux-mêmes besoin. La concurrence générale, universelle, est la loi de la société, et quiconque tente de s'y soustraire par un moyen quelconque, viole le pacte social et mérite d'être puni. En dehors de ces principes, il n'y a, pense M. Dupuit, que désordre et anarchie. La liberté de coalition une fois proclamée, reconnue par la loi, comme le demandent certains économistes, qui empêcherait le lendemain les ouvriers boulangers de Paris de suspendre leur travail, sous prétexte d'augmentation de salaire, et alors on se trouverait dans l'alternative ou de subir les conséquences d'un désordre épouvantable, ou de céder à de folles prétentions. La coalition des maîtres boulangers aurait des résultats analogues. Qu'arriverait-il si, après s'être réunis en syndicat, ils convenaient de porter le prix du pain à 1 ou 2 francs le kilogramme? Qui doute qu'une pareille entreprise n'eût pour résultat de rançonner une grande partie de la population de Paris, de causer à l'autre d'énormes souffrances et d'amener forcément l'intervention du gouvernement? Ce que M. Dupuit dit des boulangers, il pourrait le dire aussi de plusieurs autres professions; la liberté complète de certaines industries n'est possible qu'à la condition que toute espèce de coalition des patrons et des ouvriers sera sévèrement interdite.

M. DUNOYER, membre de l'Institut, président, voudrait que la question fut autrement posée.

M. Dupuit, dit-il, pose en fait que les ouvriers n'ont pas naturellement le droit de se coaliser, qu'ils se rendent, en se coalisant, coupables de violence, et il en donne cette raison que les salaires qu'ils reçoivent étant le résultat de l'offre et de la demande, sont toujours nécessairement tout ce qu'ils doivent être.

M. Dupuit ne prend pas garde que son argumentation repose sur une allégation plus qu'équivoque, à savoir que les salaires des ouvriers sont le résultat de l'offre et de la demande. Rien n'est assurément plus contestable, si, comme le prétend M. Dupuit, il ne doit pas leur être permis de se concerter sur le prix qu'ils pourront demander. Mais comment leur interdire une chose si simple, si naturelle, et comment oser dire qu'ils se rendent coupables de violence, par cela seul qu'ils se mettent d'accord pour obtenir une augmentation de plus? Si un ouvrier isolé peut faire une telle demande, pourquoi deux, pourquoi

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