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un désert et des cabanes de bergers. La plupart des gens qui veulent faire de beaux discours cherchent sans choix également partout la pompe des paroles; ils croient avoir tout fait, pourvu qu'ils aient fait un amas de grands mots et de pensées vagues; ils ne songent qu'à charger leurs discours d'ornements; semblables aux méchants cuisiniers qui ne savent rien assaisonner avec justesse, et 'qui croient donner un goût exquis aux viandes en y mettant beaucoup de sel et de poivre. La véritable éloquence n'a rien d'enflé ni d'ambitieux; elle se modère et se proportionne aux sujets qu'elle traite et aux gens qu'elle instruit; elle n'est grande et sublime que quand il faut l'être.

B. Ce mot que vous nous avez dit de l'Écriture sainte me donne un désir extrême que vous m'en fassiez sentir la beauté : ne pourrons-nous point vous avoir demain à quelque heure?

A. Demain, il me sera difficile; je tâcherai pourtant de venir le soir. Puisque vous le voulez, nous parlerons de la parole de Dieu; car jusqu'ici nous n'avons parlé que de celle des hommes.

B. Adieu, monsieur; je vous conjure de nous tenir parole. Si vous ne venez pas, nous irons vous chercher.

DIALOGUE III.

C. JE doutois que vous vinssiez, et peu fallu que je n'allasse chez M***.

s'en est

A. J'avois une affaire qui me gênoit; mais je m'en suis débarrassé heureusement.

B. J'en suis fort aise; car nous avons grand besoin d'achever la matière entamée.

C. Ce matin j'étois au sermon à **, et je pensois à vous. Le prédicateur a parlé d'une manière édifiante; mais je doute que le peuple entendit bien ce qu'il disoit.

A. Souvent cela arrive. J'ai vu une femme d'esprit qui disoit que les prédicateurs parlent latin en françois. La plus essentielle qualité d'un prédicateur est d'être instructif; mais il faut être bien instruit pour instruire les autres. D'un côté, il faut entendre parfaitement toute la force des expressions de l'Écriture; de l'autre, il faut connoître précisément la portée des esprits auxquels on parle; cela demande une science fort solide et un grand discernement. On parle tous les jours au peuple de l'Écriture, de l'Église, des deux lois,

des sacrifices, de Moïse, d'Aaron, de Melchisédech, des prophètes, des apôtres, et on ne se met point en peine de lui apprendre ce que signifient toutes ces choses, et ce qu'ont fait ces personnes-là. On suivroit vingt ans bien des prédicateurs, sans apprendre la religion comme on doit la savoir.

B. Croyez-vous qu'on ignore les choses dont vous parlez ?

A. Pour moi, je n'en doute pas. Peu de gens les entendent assez pour profiter des sermons. B. Oui, le peuple grossier les ignore.

C. Hé bien! le peuple, n'est-ce pas lui qu'il faut instruire?

A. Ajoutez que la plupart des honnêtes gens sont peuple à cet égard-là. Il y a toujours les trois quarts de l'auditoire qui ignorent ces premiers fondemens de la religion que le prédicateur suppose qu'on sait.

B. Mais voudriez-vous que, dans un bel auditoire, un prédicateur allât expliquer le catéchisme?

A. Je sais qu'il y faut apporter quelque tempérament; mais on peut, sans offenser ses auditeurs, rappeler les histoires qui sont l'origine et l'institution de toutes les choses saintes. Bien loin que cette recherche de l'origine fût basse, elle donneroit à la plupart des discours une force

et une beauté qui leur manquent. Nous avions déjà fait hier cette remarque en passant, surtout pour les mystères. L'auditoire n'est ni instruit, ni persuadé, si on ne remonte à la source. Comment, par exemple, ferez-vous entendre au peuple ce que l'Église dit si souvent après saint Paul, que Jésus-Christ est notre pâque, si on n'explique quelle étoit la pâque des Juifs, instituée pour être un monument éternel de la délivrance d'Égypte, et pour figurer une délivrance bien plus importante, qui étoit réservée au Sauveur? C'est pour cela que je vous disois que presque tout est historique dans la religion. Afin que les prédicateurs comprennent bien cette vérité, il faut qu'ils soient savants dans l'Écriture.

B. Pardonnez-moi si je vous interromps à l'occasion de l'Écriture. Vous nous disiez hier qu'elle est éloquente: je fus ravi de vous l'entendre dire, et je voudrois bien que vous m'apprissiez à en connoître les beautés. En quoi consiste cette éloquence? Le latin m'y paroît barbare en beaucoup d'endroits; je n'y trouve point de délicatesse de pensées. Où est donc ce que vous admirez?

A. Le latin n'est qu'une version littérale où l'on a conservé, par respect, beaucoup de phrases hébraïques et grecques. Méprisez-vous Homère, parce que nous l'avons traduit en mauvais françois ?

B. Mais le grec lui-même (car il est original pour presque tout le nouveau testament) me pa

roît fort mauvais.

A. J'en conviens. Les apôtres qui ont écrit en grec savoient mal cette langue, comme les autres Juifs hellénistes de leur temps. De là vient ce que dit saint Paul, imperitus sermone, sed non scientiá. Il est aisé de voir que saint Paul avoue seulement qu'il ne sait pas bien la langue grecque, quoique d'ailleurs il leur explique exactement la doctrine des saintes Écritures.

C. Mais les apôtres n'eurent-ils pas le don des langues ?

A. Ils l'eurent sans doute, et il passa même jusqu'à un grand nombre de simples fidèles. Mais, pour les langues qu'ils savoient déjà par des voies naturelles, nous avons sujet de croire que Dieu les leur laissa parler comme ils les parloient auparavant. Saint Paul, qui étoit de Tarse, parloit naturellement le grec corrompu des Juifs hellénistes: nous voyons qu'il a écrit en cette manière. Saint Luc paroît l'avoir su un peu mieux.

C. Mais j'avois toujours compris que saint Paul vouloit dire dans ce passage qu'il renonçoit à l'éloquence, et qu'il ne s'attachoit qu'à la simplicité de la doctrine évangélique. Oui, sûrement, et je l'ai ouï dire à beaucoup de gens de bien, que l'Écriture sainte n'est point éloquente. Saint Jé

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