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fois il donnoit un nouveau lustre à ses antithèses; le reste du discours n'étoit ni moins poli, ni moins brillant; la diction étoit pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses; chacune finissoit par quelque trait surprenant. Il nous a fait des peintures morales où chacun se trouvoit ; il a fait une anatomie des passions du cœur humain, qui égale les maximes de M. de La Rochefoucauld. Enfin, selon moi, c'étoit un ouvrage achevé. Mais vous, monsieur, qu'en pensez-vous?

A. Je crains de vous parler sur ce sermon, et de vous ôter l'estime que vous en avez. On doit respecter la parole de Dieu, profiter de toutes les vérités qu'un prédicateur a expliquées, et éviter l'esprit de critique, de peur d'affoiblir l'autorité

du ministère.

B. Non, monsieur, ne craignez rien; ce n'est point par curiosité que je vous questionne; j'ai besoin d'avoir là-dessus de bonnes idées, je veux m'instruire solidement, non-seulement pour mes besoins, mais encore pour ceux d'autrui ; car ma profession m'engage à prêcher : parlez-moi donc sans réserve, et ne craignez ni de me contredire, ni de me scandaliser.

A. Vous le voulez, il faut vous obéir. Sur votre rapport même, je conclus que c'étoit un méchant

sermon.

B. Comment cela?

A. Vous l'allez voir. Un sermon où les applications de l'Écriture sont fausses, où une histoire profane est rapportée d'une manière froide et puérile, où l'on voit régner partout une vaine affectation de bel esprit, est-il bon?

B. Non, sans doute; mais le sermon que je vous rapporte ne me semble point de ce caractère.

A. Attendez, vous conviendrez de ce que je dis. Quand le prédicateur a choisi pour texte ces paroles: Je mangeois la cendre comme mon pain, devoit-il se contenter de trouver un rapport de mots entre ce texte et la cérémonie d'aujourd'hui? Ne devoit-il pas commencer par entendre le vrai sens de son texte avant que de l'appliquer au sujet?

B. Oui, sans doute.

A. Ne falloit-il donc pas reprendre les choses de plus haut, et tâcher d'entrer dans toute la suite du psaume? N'étoit-il pas juste d'examiner si l'interprétation dont il s'agissoit étoit contraire au sens véritable, avant que de la donner au peuple comme la parole de Dieu ?

B. Cela est vrai, mais en quoi peut-elle être contraire?

A. David, ou quel que soit l'auteur du psaume 101, parle de ses malheurs en cet endroit. Il dit que ses ennemis lui insultoient cruellement, le

voyant dans la poussière, abattu à leurs pieds, réduit (c'est ici une expression poétique) à se nourrir d'un pain de cendres et d'une eau mêlée de larmes. Quel rapport des plaintes de David renversé dé son trône, et persécuté par son fils Absalon, avec l'humiliation d'un chrétien qui se met des cendres sur le front pour penser à la mort, et pour se détacher des plaisirs du monde?

N'y avoit-il point d'autre texte à prendre dans l'Écriture? Jésus-Christ, les apôtres, les prophètes, n'ont-ils jamais parlé de la mort et de la cendre du tombeau, à laquelle Dieu réduit notre vanité? Les écritures ne sont-elles pas pleines de mille figures touchantes sur cette vérité? Les paroles mêmes de la Genèse, si propres, si naturelles à cette cérémonie, et choisies par l'église même, ne seront-elles donc pas dignes du choix d'un prédicateur? Appréhendera-t-il, par une fausse délicatesse, de redire souvent un texte que le SaintEsprit et l'église ont voulu répéter sans cesse tous les ans? Pourquoi donc laisser cet endroit et tant d'autres de l'Écriture qui conviennent, pour en chercher un qui ne convient pas? C'est un goût dépravé, une passion aveugle de dire quelque chose de nouveau.

B. Vous vous échauffez trop, monsieur : il est vrai que ce texte n'est point conforme au sens littéral.

C. Pour moi je veux savoir si les choses sont vraies avant que de les trouver belles. Mais le reste?

A. Le reste du sermon est du même genre que le texte. Ne le voyez-vous pás, monsieur? A quel propos chercher des ornements si déplacés dans un sujet si effrayant, et amuser l'auditeur par le récit profane de la douleur d'Artémise, lorsqu'il faudroit tonner et ne donner que des images terribles de la mort?

B. Je vous entends, vous n'aimez pas les traits d'esprit; mais, sans cet agrément, que deviendroit l'éloquence? Voulez-vous réduire tous les prédicateurs à la simplicité des missionnaires? Il

en faut pour le peuple; mais les honnêtes gens ont les oreilles plus délicates, et il est nécessaire de s'accommoder à leur goût.

A. Vous me menez ailleurs; je voulois achever de vous montrer combien ce sermon est mal conçu ; il ne me restoit qu'à parler de la division; mais je crois que vous comprenez assez vousmême ce qui me l'a fait désapprouver. C'est un homme qui donne trois points pour sujet de tout son discours : quand on divise, il faut diviser simplement, naturellement; il faut que ce soit une division qui se trouve toute faite dans le sujet même; une division qui éclaircisse, qui range les matières, qui se retienne aisément, et qui aide à

retenir tout le reste; enfin une division qui fasse voir la grandeur du sujet et de ses parties. Tout au contraire, vous voyez ici un homme qui entreprend d'abord de vous éblouir, qui vous débite trois épigrammes, ou trois énigmes, qui les tourne et retourne avec subtilité : vous croyez voir des tours de passe-passe. Est-ce là un air sérieux et grave, propre à vous faire espérer quelque chose d'utile et d'important? Mais revenons à ce que vous disiez; vous demandez si je veux donc bannir l'éloquence de la chaire?

B. Oui, il me semble que vous allez là.

A. Ha! voyons, qu'est-ce que l'éloquence?
B. C'est l'art de bien parler.

A. Cet art n'a-t-il point d'autre but

que celui de bien parler? Les hommes en parlant n'ont-ils point quelque dessein? Parle-t-on pour parler?

B. Non, on parle pour plaire et pour persuader. A. Distinguons, s'il vous plaît, monsieur, soigneusement ces deux choses: on parle pour persuader, cela est constant; on parle aussi pour plaire, cela n'arrive que trop souvent; mais, quand on tâche de plaire, on a un autre but plus éloigné, qui est néanmoins le principal: l'homme de bien ne cherche à plaire que pour inspirer la justice et les autres vertus en les rendant aimables; celui qui cherche son intérêt, sa réputation, sa fortune, ne songe à plaire que pour gagner l'in

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