Imágenes de páginas
PDF
EPUB

DIALOGUE

CHROMIS ET MNASILE

CHROMIS.

CE bocage a une fraîcheur délicieuse; les arbres

en sont grands, le feuillage épais, les allées sombres; on n'y entend d'autre bruit que celui des rossignols qui chantent leurs amours.

MNASILE.

&

Il y a ici des beautés encore plus touchantes.

CHROMIS.

Quoi donc? Veux-tu parler de ces statues? Je ne les trouve guère jolies. En voilà une qui a l'air bien grossier.

MNASILE.

Elle représente un faune; mais n'en parlons pas; car tu connois un de nos bergers qui en a déjà dit tout ce que l'on en peut dire.

CHROMIS.

Quoi donc? Est-ce cet autre qui est penché au dessus de la fontaine?

MNASILE.

Non; je n'en parle point : le berger Lycidas l'a

chanté sur sa flûte, et je n'ai garde d'entreprendre

de louer après lui.

CHROMIS.

Quoi donc ? cette statue qui représente une jeune femme?

MNASILE.

Oui. Elle n'a point cet air rustique des deux autres; aussi est-ce une plus grande divinité; c'est Pomone, ou au moins une nymphe. Elle tient d'une main une corne d'abondance, pleine de tous les doux fruits de l'automne; de l'autre, elle porte un vase d'où tombent en confusion des pièces de monnoie; ainsi, elle tient en même temps les fruits de la terre, qui sont les richesses de la simple nature, et les trésors auxquels l'art des hommes donne un si haut prix.

CHROMIS.

Elle a la tête un peu penchée; pourquoi cela?

MNASILE.

Il est vrai; c'est que toutes figures faites pour être posées en des lieux élevés, et pour être vues d'en bas, sont mieux au point de vue quand elles sont un peu penchées vers les spectateurs.

CHROMIS.

Mais quelle est donc cette coiffure? elle est inconnue à nos bergères.

MNASILE.

Elle est pourtant très négligée, et elle n'en est

pas moins gracieuse. Ce sont des cheveux bien partagés sur le front, qui pendent un peu sur les côtés avec une frisure naturelle, et qui se nouent par derrière.

CHROMIS.

Et cet habit? pourquoi tant de plis?

MNASILE.

C'est un habit qui a le même air de négligence; il est attaché par une ceinture, afin que la nymphe puisse aller plus commodément dans ces bois. Ces plis flottants font une draperie plus agréable que des habits étroits et façonnés. La main de l'ouvrier semble avoir amolli le marbre pour faire des plis si délicats; vous voyez même le nu sous cette draperie. Ainsi vous trouvez tout ensemble la tendresse de la chair avec la variété des plis de la draperie.

:

CHROMIS.

Ho! ho! te voilà bien savant! Mais, puisque tu sais tout, dis-moi cette corne d'abondance, estce celle du fleuve Achéloüs, arrachée par Hercule, ou bien celle de la chèvre Amalthée, nourrice de Jupiter sur le mont Ida!

MNASILE.

Cette question est encore à décider; cependant je cours à mon troupeau. Bonjour.

LETTRE

DE M. DE FÉNÉLON A M. DE BEAUVILLIERS,

SUR L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE (1). *

[ocr errors]

L'HISTOIRE de Charlemagne a ses beautés et ses défauts. Ses beautés, comme vous savez, Monsieur, consistent dans la grandeur des événements, et dans le merveilleux caractère du prince. On n'en sauroit trouver un, ni plus aimable, ni plus propre à servir de modèle dans tous les siècles. On prend même plaisir à voir quelques imperfections mêlées parmi tant de vertus et de talents. On connoît bien par-là que ce n'est point un héros peint à plaisir, comme les héros de roman, qui, à force d'être parfaits, deviennent chimériques. Peut-être trouvera-t-on dans Charlemagne plusieurs choses qui ne plairont pas ; mais peut-être que ce ne sera pas sa faute, et que ce goût viendra de l'extrême différence des mœurs de son temps et du nôtre. L'avantage qu'il a eu

(1) Cette histoire, dont M. de Fénélon étoit l'auteur, ne se retrouve pas dans ses papiers, et cette espèce de préface la fait regretter.

sa vie

LETTRE SUR L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE. 433 d'être chrétien le met au dessus de tous les héros du paganisme, et celui d'avoir toujours été heureux dans ses entreprises le rend un modèle bien plus agréable que saint Louis. Je ne crois pas même qu'on puisse trouver un roi plus digne d'être étudié en tout, ni d'une autorité plus grande pour donner des leçons à ceux qui doivent régner. Aussi suis-je très persuadé que pourra beaucoup nous servir pour donner à monseigneur le duc de Bourgogne les sentiments et les maximes qu'il doit avoir. Vous savez, Monsieur, que je ne songeois pas néanmoins à me mêler de son instruction quand je fis cet abrégé de la vie de Charlemagne, et personne ne peut mieux dire que vous comment j'ai été engagé à l'écrire. Mes vues ont été simples et droites. On ne sauroit me lire sans voir que je vais droit, et peut-être trop.

Pour les défauts de cette histoire, ils sont grands, sans parler de ceux que j'y ai mis. Les historiens originaux de cette vie ne savent ni raconter, ni choisir les faits, ni les lier ensemble, ni montrer l'enchaînement des affaires; de façon qu'ils ne nous ont laissé que des faits vagues, dépouillés de toutes les circonstances qui peuvent frapper et intéresser le lecteur, enfin entrecoupés, et pleins d'une ennuyeuse uniformité. C'est toujours la même chose, toujours une campagne contre les Saxons, qui sont vaincus comme ils

« AnteriorContinuar »