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et de la même mesure de voix, c'est comme qui donneroit le même remède à toutes sortes de malades. Mais il faut pardonner à ce prédicateur l'uniformité de voix et d'action; car, outre qu'il a d'ailleurs des qualités très estimables, de plus, ce défaut lui est nécessaire. N'avons-nous pas dit qu'il faut que l'action de la voix accompagne toujours les paroles? Son style est tout uni, il n'a aucune variété; d'un côté, rien de familier, d'insinuant et de populaire; de l'autre, rien de vif, de figuré, et de sublime; c'est un cours réglé de paroles qui se pressent les unes les autres ; ce sont des déductions exactes, des raisonnements bien suivis et concluants, des portraits fidèles; en un mot, c'est un homme qui parle en termes propres, et qui dit des choses très sensées. Il faut même reconnoître que la chaire lui a de grandes obligations, il l'a tirée de la servitude des déclamateurs, et il l'a remplie avec beaucoup de force et de dignité. Il est très capable de convaincre, mais je ne connois guère de prédicateur qui persuade et qui touche moins. Si vous y prenez garde, il n'est pas même font instruit; car, outre qu'il n'a aucune manière insinuante et familière, ainsi que nous l'avons déjà remarqué ailleurs, il n'a rien d'affectueux, de sensible. Ce sont des raisonnements qui demandent de la contention d'esprit. Il ne reste presque rien de tout ce qu'il a dit dans

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la tête de ceux qui l'ont écouté; c'est un torrent qui a passé tout d'un coup, et qui laisse son lit à sec. Pour faire une impression durable, il faut aider les esprits, en touchant les passions: les instructions sèches ne peuvent guère réussir. Mais ce que je trouve le moins naturel en ce prédicateur, est qu'il donne à ses bras un mouvement continuel, pendant qu'il n'y a ni mouvement ni figure dans ses paroles. A un tel style il faudroit une action commune de conversation, ou bien il faudroit à cette action impétueuse un style plein de saillie et de véhémences encore faudroit-il, comme nous l'avons dit, ménager mieux cette véhémence, et la rendre moins uniforme. Je conclus que c'est un grand homme qui n'est point orateur. Un missionnaire de village, qui sait effrayer et faire couler des larmes, frappe bien plus au but de l'éloquence.

B. Mais quel moyen de connoître en détail les gestes et les inflexions de voix conformes à la nature?

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A. Je vous l'ai déjà dit, tout l'art des bons orateurs ne consiste qu'à observer ce que la nature fait quand elle n'est point retenue. Ne faites point comme ces mauvais orateurs qui veulent toujours déclamer et ne jamais parler à leurs auditeurs; il faut au contraire que chacun de vos auditeurs s'imagine que vous parlez à lui en particulier.

Voilà à quoi servent les tons naturels, familiers et insinuants. Il faut, à la vérité, qu'ils soient toujours graves et modestes; il faut même qu'ils deviennent puissants et pathétiques dans les endroits où le discours s'élève et s'échauffe. N'espérez pas exprimer les passions par le seul effort de la voix; beaucoup de gens, en criant et en s'agitant, ne font qu'étourdir. Pour réussir à peindre les passions, il faut étudier les mouvements qu'elles inspirent. Par exemple, remarquez ce que font les yeux, ce que. font les mains, ce que fait tout le corps, et quelle est sa posture; ce que fait la voix d'un homme quand il est pénétré de douleur, ou surpris à la vue d'un objet étonnant. Voilà la nature qui se montre à vous, vous n'avez qu'à la suivre. Si vous employez l'art, cachez-le si bien par l'imitation, qu'on le prenne pour la nature même. Mais, à dire le vrai, il en est des orateurs comme des poëtes qui font des élégies, ou d'autres vers passionnés. Il faut sentir la passion pour la bien peindre; l'art, quelque grand qu'il soit, ne parle point comme la passion véritable. Ainsi vous serez toujours un orateur très imparfait, si vous n'êtes pénétré des sentiments que vous voulez peindre et inspirer aux autres; et ce n'est pas par spiritualité que je dis ceci, je ne parle qu'en orateur.

II.

6

B. Je comprends cela. Mais vous nous avez parlé des yeux; ont-ils leur éloquence?

yeux

A. N'en doutez pas. Cicéron et tous les autres anciens l'assurent. Rien ne parle tant que le visage, il exprime tout; mais dans le visage, les font le principal effet; un seul regard, jeté bien à propos, pénètre dans le fond des cœurs. B. Vous me faites souvenir que le prédicateur dont nous parlions a d'ordinaire les yeux fermés; quand on le regarde de près, cela choque.

A. C'est qu'on sent qu'il lui manque une des choses qui devroient animer son discours. B. Mais pourquoi le fait-il?

A. Il se hâte de prononcer, et il ferme les yeux, parce que sa mémoire travaille trop.

B. J'ai bien remarqué qu'elle est fort chargée; quelquefois même il reprend plusieurs mots pour retrouver le fil du discours. Ces reprises sont désagréables, et sentent l'écolier qui sait mal sa leçon; elles feroient tort à un moindre prédi

cateur.

A. Ce n'est pas la faute du prédicateur, c'est la faute de la méthode qu'il a suivie après tant d'autres. Tant qu'on prêchera par cœur et souvent, on tombera dans cet embarras.

B. Comment donc? Voudriez-vous qu'on ne prêchât point par cœur? Jamais on ne feroit des discours pleins de force et de justesse.

A. Je ne voudrois pas empêcher les prédicateurs d'apprendre par coeur certains discours extraordinaires; ils auroient assez de temps pour se bien préparer à ceux-là; encore pourroient-ils. s'en passer.

B. Comment cela? Ce que vous dites paroît incroyable.

A. Si j'ai tort, je suis prêt à me rétracter : examinons cela sans prévention. Quel est le principal but de l'orateur? N'avons-nous pas vu que c'est de persuader? et pour persuader, ne disionsnous pas qu'il faut toucher en excitant les sions?

B. J'en conviens.

pas

A. La manière la plus vive et la plus touchante est donc la meilleure?

B. Cela est vrai qu'en concluez-vous?

A. Lequel des deux orateurs peut avoir la manière la plus vive et la plus touchante, ou celui qui apprend par cœur, ou celui qui parle sans réciter mot à mot ce qu'il a appris?

B. Je soutiens que c'est celui qui a appris par

cœur.

A. Attendez; posons bien l'état de la question. Je mets d'un côté un homme qui compose exactement tout son discours, et qui l'apprend par coeur jusqu'à la moindre syllabe; de l'autre, je suppose un homme savant, qui se remplit de son

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