Imágenes de páginas
PDF
EPUB

suit, en quelque sorte, pas à pas l'argent du contribuable, depuis l'instant où il lui est pris en nature jusqu'à celui où il lui est restitué en services; au lieu de s'arrêter à la formation du fonds commun, qui n'est que la moitié de l'évolution, elle va jusqu'à sa distribution, qui en est le complément et le but; elle fait ressortir le double caractère de l'intervention de l'État, auxiliaire et salarié, et explique parfaitement la part qu'il prend sur le produit par la part qu'il prend à la production. Elle a l'avantage de faire rentrer la théorie de l'impôt dans la simple notion économique de l'échange, échange, argent contre service, entre les particuliers et le gouvernement; elle conduit enfin à résoudre (au moins dans un très-grand nombre de cas) la question de la répartition de l'impôt par le grand principe d'équivalence, — équivalence entre ce que chaque imposé donne à l'État et en reçoit.

Seulement, je dois le dire, cette manière de voir a quelque chose d'un peu nouveau (les idées simples ne sont-elles pas presque toujours les dernières à venir?). Adam Smith et ses continuateurs semblent avoir passé à côté. Il y a deux ou trois ans, je l'ai exposé très-catégoriquement dans le Journal des Économistes (1). J'ai vu, il il y a quelques mois, par un article de notre savant collaborateur M. Maurice Block, qu'en Allemagne cette opinion compte des partisans nombreux. M. Joseph Garnier paraît s'y ranger dans son Traité des finances (2), et Proudhon la revendique comme une de ses découvertes! (3) Du moment que c'est une opinion collective, je me sens plus autorisé à en signaler l'importance à l'attention des économistes. M. Maurice Block fait remarquer très-judicieusement que le principe d'Adam Smith: Chacun doit payer à l'État suivant ses moyens, et le principe anonyme nouveau : Chacun doit payer à l'État suivant les services qu'il en reçoit, conduisent nécessairement en pratique à deux systèmes financiers très-différents. Ainsi, selon lui, le principe d'Adam Smith aboutit logiquement à l'impôt progressif. On peut dire aussi qu'il aboutit à une sorte de communisme confus de tous les services, comme comptabilité; tandis que l'autre mène naturellement à la spécialisa

(1) « L'impôt doit-il prendre pour base le revenu ou la consommation? » (Numéro de mai 1864.)

(2) Voy. 2e édition, p. 450.
(3) Théorie de l'impôt, p. 348.

tion et au bilan rigoureux par doit et avoir de chaque service particulier.

M. Maurice Block me permettra d'ajouter que ces deux principes, comme il les appelle, ne sont eux-mêmes que les corollaires obligés des deux façons d'envisager l'impôt que j'ai signalées plus haut. C'est, en effet, parce qu'Adam Smith ne voit, dans l'impôt, qu'un mal, une charge, un prélèvement, qu'il est logiquement conduit à faire porter la charge sur les forts et le prélèvement sur les riches. C'est parce que nous voyons, nous, les deux côtés, le bon et le mauvais, la charge et le service, le prélèvement de l'État sur le produit et le concours de l'État à la production, que considérant dès lors tout simplement le producteur et l'État comme des échangistes ou des associés, nous sommes naturellement amenés à proportionner, selon les règles ordinaires de l'échange ou du partage, le solde à la valeur du service reçu et à faire participer l'État au produit dans la mesure même où il a participé à la production.

En résumé, tout producteur, qu'il le sache ou l'ignore, a pour auxiliaire et collaborateur obligé l'État; l'impôt est le salaire de cette collaboration et se règle sur elle. Voilà ce qui me paraît, comme je l'ai dit ailleurs, la définition la plus strictement économique de l'impôt.

[ocr errors]

Quelles conséquences se déduisent de là relativement au caractère, à la forme et à la répartition de l'impôt? - Par quels procédés et jusqu'à quel point peut-on arriver, en pratique, à réaliser pour chaque contribuable l'équivalence entre la charge et le service? Enfin, est-il tout à fait indispensable que les rapports entre l'État et les classes inférieures soient établis sur ce pied de rigoureuse balance du doit et de l'avoir, et ne vaut-il pas mieux qu'ils s'imprègnent quelquefois d'idées d'assistance gratuite et de patronage intelligent? — N'est-il pas à propos, en d'autres termes, que l'État, protecteur né des faibles et des pauvres, fasse à l'occasion l'abandon en leur faveur de son droit strict de répétition; et n'est-ce pas une sorte de devoir pour les classes aisées de supporter ce surcroît de charges, puisqu'aussi bien la gestion du fonds. commun leur est presque exclusivement dévolue par la force des choses et qu'elles trouvent, dans la prépondérance de leur action politique une ample compensation aux sacrifices pécuniaires qui leur sont imposés ?... Ce sont là des questions très-graves que je me borne à indiquer. R. DE FONTENAY.

LA

DÉPOPULATION DES CAMPAGNES

EST-ELLE A DÉSIRER OU A REGRETTER?

I

La Société d'économie politique de Paris a traité, d'une manière incidente (1), et à propos du recensement de 1866, l'importante question de la dépopulation des campagnes, sujet de doléances amères de la part des agriculteurs, tant de France que de Belgique, depuis plusieurs années. Ces doléances, toutefois, n'ont trouvé qu'un bien faible écho dans le sein de la Société d'économie politique, dont divers membres ont indiqué les causes, les unes générales, les autres locales, de ce phénomène.

Aux curieux et instructifs détails exposés dans cette séance, nous jugeons opportun d'ajouter quelques considérations sur les causes. et les conséquences probables du mouvement qui dirige les travailleurs des campagnes vers les villes et surtout vers les grands centres industriels.

Que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en afflige, ce phénomène est aussi naturel que celui qui fait tomber la pluie, quand l'atmosphère est surchargé d'humidité, ou que celui qui produit l'écoulement des liquides vers le niveau le plus bas.

Il résulte, en effet, de la tendance générale qui porte le taux des salaires à s'équilibrer, dans tous les temps et dans tous les lieux. Le prix de la marchandise-travail est-il plus élevé sur un point que dans le reste d'une contrée, aussitôt cette marchandise, de même que toutes les autres, sera dirigée des lieux où elle surabonde, vers celui où elle est rare, et ce mouvement, d'autant plus intense et plus rapide que l'équilibre est plus fortement troublé, se prolonge en se ralentissant et s'affaiblissant graduellement jusqu'à ce que ce dernier soit rétabli.

(1) Voir le numéro de février 1867.

Telle est la théorie générale; mais dans la pratique il est nécessaire de tenir compte des entraves et des obstacles, nous allions dire des frottements et des chocs, qui s'opposent au libre accomplissement de cette évolution.

Après avoir rappelé en peu de mots la vraie théorie du salaire, nous allons rechercher la cause qui maintient, depuis plusieurs années, une différence entre le prix du travail dans les villes et celui de ce même travail dans les campagnes, différence assez sensible pour motiver le drainage (s'il est permis d'emprunter aux Anglais cette énergique expression) de la population rurale, au profit de la population urbaine.

Cette cause consiste à peu près uniquement, selon nous, dans l'extrême supériorité de l'outillage et des procédés de la grande industrie manufacturière, usinaire, minière et voiturière des villes et des populations concentrées sur ceux des campagnes ou des populations disséminées, qui pratiquent généralement la petite, ou tout au plus la moyenne industrie agricole, avec un minimum de capital et à l'aide d'instruments et de procédés routiniers et arriérés.

Or, l'emploi des gros capitaux, surtout sous la forme de machines d'une grande force, dirigées par une intelligence bien cultivée, et celui de procédés perfectionnés, ont pour résultat d'ajouter, dans une large mesure, le concours gratuit des agents naturels au travail onéreux de l'homme, ou, pour nous servir d'une expression heureuse, due, croyons-nous, à M. Michel Chevalier, l'emploi de ces moyens réunis augmente dans une forte proportion la «puissance productive» de l'ouvrier. L'industriel peut donc largement rétribuer le travail de ce dernier, après avoir prélevé sur la production, ainsi accrue, la part non moins large de son capital et celle du concours intellectuel qu'il prête à l'entreprise.

Telle est la cause de l'élévation relative du salaire, dont jouissent les ouvriers de la grande industrie. Remarquons en passant, quoique ceci soit étranger à notre sujet, que ce salaire élevé n'est acquis au détriment de personne, puisque, d'une part, nous venons de montrer que l'industriel a reçu lui-même une bonne rémunération de son concours dans la production, et que, d'autre part, les consommateurs des résultats de celle-ci jouissent, sous forme d'une réduction de prix, de la gratuité des agents naturels mis en œuvre par l'industrie perfectionnée.

En agriculture, les conditions du salaire se présentent d'une ma

nière très-différente, excepté pour le petit nombre d'exploitations rurales, organisées sur le modèle de la grande industrie. Partout ailleurs, un capita! beaucoup trop faible employé avec peu d'intelligence, sans le concours de la science, peu de machines, des outils grossiers et imparfaits, des procédés défectueux, ne permettent pas de tirer de la terre, à beaucoup près, toute l'utilité gratuite qu'elle est susceptible de donner.

Il est évident que si la terre produit peu par ce mode barbare d'exploitation, le travail rend moins encore. En d'autres termes, partout où le capital est rare et la terre peu productive, la demande du travail est faible et le salaire peu rémunérateur.

Bon nombre d'ouvriers sont donc obligés d'offrir leurs services à d'autres industries, et ceux qui restent ne peuvent obtenir qu'une faible part dans une production peu abondante, alors même que le capital, faible aussi, se contente lui-même d'une portion limitée du produit, et que le chef de la petite industrie agricole n'est guère mieux rétribué que ses ouvriers. En d'autres termes, dans la plupart des entreprises agricoles, la puissance productive du travailleur est réduite au minimum et son salaire ne peut s'élever beaucoup au delà.

Remarquons encore en passant que si cet état de choses est désavantageux pour l'ouvrier des campagnes, il ne l'est guère moins pour le cultivateur, pour le propriétaire et aussi pour le public consommateur, tous éprouvant quelque préjudice, quoique à des degrés divers peut-être, de l'imparfaite exploitation des facultés productives naturelles du sol.

Les circonstances que nous venons d'exposer et qui produisent un écart notable dans le taux des salaires entre les campagnes et les villes ou, si l'on veut, entre l'agriculture et les autres industries, seront probablement de longue durée; car il faudra longtemps avant que les cultivateurs possèdent les connaissances agronomiques et disposent du capital ou du crédit nécessaires, pour tirer un meilleur parti des forces productives du sol et pour qu'ils puissent, du même coup, donner un emploi utile à un plus grand nombre de bras, dont le travail pourra être plus largement rémunéré.

Les autres industries, au contraire, profitent, dans une bien plus forte proportion que l'agriculture, de l'extension que prennent en quelque sorte simultanément les voies de communication et la liberté des échanges, ces industries, disons-nous, font de constants

« AnteriorContinuar »