Imágenes de páginas
PDF
EPUB

BIBLIOGRAPHIE

ESSAI SUR LA théorie de l'ÉCONOMIE POLITIQue et de ses RAPPORTS AVEC LA MORALE ET LE DROIT, par M. F.-L. GOMES, député aux Cortès du Portugal, associé étranger de la Société d'économie politique de Paris. — Guillaumin, 1867; in-8.

Je vais précisément, j'en préviens le lecteur, encourir le reproche qui doit être adressé au titre de l'intéressante brochure de notre collègue portugais; je vais donner, aux rapports de l'économie politique avec la morale et le droit, une place hors de proportion avec celle qu'elle occupe dans le volume. En effet, le second des deux livres, trop inégaux, dont se compose l'Essai de M. Gomes, est seul affecté à l'examen de ces rapports; or il n'a pas une trentaine de pages, tandis que le premier livre, - consacré à la théorie de l'économie politique (Définitions, Valeur, Capital, Monnaie, Crédit, Production), mais surtout à la réfutation presque totale du système de M. Macleod, - a exactement 200 pages. L'esprit général dans lequel sont discutées les questions principalement à l'ordre du jour est excellent et s'annonce dès l'avant-propos. M. Gomes, y constatant les trop nombreuses dissidences des économistes, la nécessité et la possibilité de les faire disparaître, ajoute:

« Encore ne faut-il pas perdre de vue, pour ne pas être surpris du grand nombre des dissidents, que tout le monde se croit à même de traiter toutes les questions économiques et d'aspirer au rôle de réformateur. Chaque jour, on annonce une révolution, et les maîtres de la science.... sont immolés à la vanité des réformateurs ou aux illusions de ceux qui se laissent entraîner par la nouveauté. Le temps rend justice à ces révolutions. Etc., etc. (Page x.)

Il est évident que notre auteur fait allusion à la révolution en économie politique qu'a rêvée, fort heureusement rêvée, M. Macleod. Je ne connais guère, je dois l'avouer, cet économiste novateur que par ce qui en a été dit ici même et par l'analyse, le plus souvent textuelle et très-developpée (elle n'occupe pas moins d'une soixantaine de pages), de sa théorie du crédit, qu'a donnée M. Gomes, mais je le tiens en grande défiance. Je ne puis, en effet, lire sans surprise qu'Euler, un des immortels inventeurs du calcul intégral, balbutiait comme un écolier sur la règle mathématique des signes et que Newton n'avait osé en aborder une explication, ou, pour ne pas sortir de l'économie politique, « qu'Adam Smith avait touché une fois la conception de la monnaie (dette transferable) de M. Macleod, mais qu'il lui était arrivé comme à un rustre qui, ayant trouvé un diamant, en ignore la valeur!» Quant à la fameuse théorie du crédit, M. Gomes, bien qu'il ait dédié son ouvrage à M. Michel Chevalier, n'hésite point à l'appeler « un tissu de vérités et de sophismes» (p. 103), à y signaler une « inexactitude d'idées sur le crédit » (p. 147), et enfin à conclure que « le crédit n'est pas du capital, tout en

admettant son efficacité et ses effets les plus utiles sur les industries et sur la prospérité en général » (p. 189).

Le livre premier de l'Essai sur la théorie de l'économie politique, etc., est un véritable traité, sommaire et critique, où l'auteur se montre très au courant des travaux de MM. Baudrillart, de Fontenay, Joseph Garnier, Mannequin (dont il examine et critique quelque peu la doctrine sur la valeur), Passy, etc.; mais la forme très-condensée de cette partie de l'ouvrage ne se prête naturellement point à une analyse. Je passe donc au second livre, qui a pour moi un intérêt particulier, attendu qu'il a trait à une question fondamentale, sur laquelle je suis bien aise d'avoir l'occasion de revenir; je la laisse, d'ailleurs, poser et résoudre à M. Gomes, que je crois pouvoir regarder comme un coreligionnaire :

L'enthousiasme de certains économistes tue l'économie politique. Ils la confondent avec la morale et oublient que l'économie politique se fonde sur la loi de l'intérêt, qu'elle cherche le bonheur (1), que ses préceptes ne sont pas des obligations pour la conscience, qu'elle est indépendante dans ses lois, mais auxiliaire et alliée naturelle des autres sciences morales et politiques.... (p. x1). — L'individualité de l'économie politique a été oubliée par les différents économistes qui ont donné des définitions de cette science. Ils ont demandé à l'économie politique l'autorité, l'onction et le charme de la morale, et à la morale l'utilité de l'économie politique. A force de glorifier la science des richesses, on est parvenu à la méconnaître; en l'élevant aux régions les plus sublimes, on la fait disparaître dans les nuages (p. 3). - Ceux qui confondent le moral (le juste) et l'utile n'ont pas à s'occuper de la tache de relever des rapports; ils doivent tuer ou l'économie politique ou la morale. L'une des deux n'aurait plus raison d'être (p. 223).

La morale est la science des devoirs; ses principes, aperçus par la raison, nous sont révélés par la conscience, qui en est le miroir; le raisonnement en tire les conséquences.... Nous ne voulons pas dire que, dans l'intérêt, la raison n'intervient pas; mais, ce que nous remarquons, c'est que, dans l'intérêt, elle se met souvent au service des passions (p. 205).· - Dans le cas d'un conflit entre ce que prescrit (conseille [2] ) l'intérêt personnel et ce que prescrit le précepte moral, c'est la morale qui prédomine (DOIT PRÉDOMINER serait plus exact), et il arrive alors que l'intérêt personnel est corrigé par la morale (p. 221).

Le droit peut être défini la science des rapports parmi les hommes touchant l'exercice de leur liberté. » (P. 216.)

Le lendemain même de la publication, dans le Journal des Économistes (3), du premier article où j'ai osé formuler la solution du problème

(1) Bien-être serait mieux, ce me semble, ainsi que dans cette autre phrase: La science économique se fonde exclusivement sur le principe suivant, qui est un aphorisme : Achète avec moins de peines plus de PLAISIRS.... (p. 219). La même expression ne doit pas rendre les idées, si différentes, contenues dans les citations précédentes et dans cette conclusion: «Après tout et sous bien des réserves, le devoir accompli est encore le plus grand moyen d'atteindre le bonheur. (p. 203).

(2) J'emprunte la substitution que je propose à cette autre phrase de M. Gomes : « Les conseils de l'économie politique sont d'accord avec les obligations de la morale et les menaces (prescriptions) du droit» (p. 226), où je crains qu'il n'ait un moment oublié sa si juste observation au sujet de l'indépendance absolue de chacune des deux premières sciences.

(3) Livraison de mai 1865, p. 301.

fondamental que M. Gomes vient d'aborder à son tour et dans le même sens que moi, je lisais l'Introduction que M. Prévost-Paradol a mise en tête d'un ouvrage traitant De la Morale dans l'antiquité. Le príncipe de la morale, cette science du juste absolu, est posé, dans ce morceau d'un écrivain non moins renommé pour la solidité du fonds que pour l'éclat de la forme, en termes tels que je ne puis résister au plaisir d'en détacher ce passage:

Un instinct merveilleux avertit l'homme qu'il y a pour lui, en ce monde, d'autres devoirs que de se procurer les choses nécessaires à la vie, d'autres jouissances que celles du corps. S'il cède à cet instinct qui l'élève, il sent son âme s'agrandir......... Si, au contraire, il évite d'écouter cet instinct qui le pousse à la vie morale; s'il cherche à l'anéantir...., il y réussit à la longue; car, à la différence des besoins matériels, les besoins moraux non satisfaits s'éteignent; mais il n'y réussit pas sans que cet instinct ne proteste et ne se débatte sous la main grossière qui veut l'étouffer.» — Etc., etc.

C'est à regret que j'abrége, mais je crois en avoir assez transcrit pour indiquer au lecteur comment, à mon avis, il faut concevoir la morale et ce qui la sépare absolument de l'économie politique.

Je n'ai pas l'habitude de m'occuper du style des auteurs; mais, M. Gomes rappelant modestement (p. xII) qu'il écrit dans une langue qui n'est pas la sienne, je ne crois pas, après mes nombreux extraits textuels de son Essai, faire simplement acte de courtoisie internationale en disant que le député portugais pourrait, quant à la forme, parfaitement siéger au Corps législatif et, quant au fonds, y occuper une place très-distinguée. E. LAME FLEURY.

Statistique de l'assistance publique en France de 1854 a 1861. Hôpitaux, hospices, enfants assistés, bureaux de bienfaisance. 2o série. T. II. 1 vol. in-8 de 540 pages, avec 82 tableaux. Strasbourg, Ve Berger-Levrault, 1866.

Le service de la statistique générale de France a déjà fait trois publications sur ces établissements: la première pour la période 18331841 (tome Ier de la re série de la collection); la seconde pour les années 1842-1852 (tome VI de le 2e série), et, séparément, pour 1853.

Jusqu'en 1852, les malades avaient été confondus avec les infirmes et les vieillards; l'année suivante, cette confusion a cessé. La situation financière de ces maisons est maintenant plus détaillée, plus complète; mais les améliorations les plus notables ont porté sur la statistique des enfants assistés, qui sont maintenant répartis, au point de vue de leur origine, en un certain nombre de catégories qui donnent une idée plus claire que par le passé, des circonstances dans lesquelles ils reçoivent l'assistance. P. B.

SOMMAIRE.

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE

[ocr errors]

--

Symptômes de crise générale. Le prix du pain; la liberté de la boulangerie; les sociétés coopératives. — La circulaire de M. Schultze-Delitzsch au sujet d'un Congrès de ces sociétés. - Le Congrès des Travailleurs à Lausanne et de la Paix à Genève. Le protectionnisme des ouvriers. Les derniers jours de l'Exposition. — Mort de M. A. Fould. - Inauguration de la statue de M. Billault à Nantes. Nantais subissent le libre-échange. — Déclaration pacifique du ministre d'État concours des charrues à vapeur à Petit-Bourg. — Cours de morale sociale par M. Léon Walras.

Les
Le

La situation générale est loin de s'améliorer. Les fameux «points noirs » de l'horizon se multiplient et se rapprochent. Les tentatives sur Rome augmentent les embarras politiques et des désastres financiers imminents font craindre la précipitation d'une crise générale financière et commerciale qui a déjà commencé, et qui a pour cause première et principale le manque de sécurité dans toute l'Europe. Les gouvernements, de qui cette sécurité dépend, sauront-ils, voudront-ils faire le nécessaire pour la produire? Telle est la terrible question que l'on entend formuler de toutes parts.

Ce qui rembrunit encore la situation, c'est la cherté du pain qui se produit toujours avec son cortège de sombres prévisions, d'anxiétés et de plaintes populaires. C'est le moment où les gouvernements ne sont plus flattés de jouer le rôle de Providence. Ce sujet s'est pour ainsi dire imposé à la discussion dans la dernière réunion de la Société d'économie politique. Nos lecteurs trouveront dans le compte rendu reproduit plus haut cet intéressant débat : il y a été traité du régime bâtard de demi-liberté fait à la boulangerie par le décret de juin 1863, et de nouveau, de la question à la mode, les sociétés coopératives, auxquelles on fait promettre, nous le craignons, plus qu'elles ne peuvent tenir, et pour lesquelles nous avons été des premiers à réclamer une entière liberté d'action comme la meilleure organisation possible, afin qu'elles donnent tout ce qu'elles peuvent donner. A ce propos, nous signalons un remarquable manifeste de M. Schultze-Delitzsch, le promoteur des Unions de crédit populaire en Allemagne, en qualité d'agent général de l'Union des Associations allemandes, et au sujet du refus d'autorisation du congrès des sociétés coopératives projeté à Paris. M. Schultze-Delitzsch établit avec raison que des associations semblables à celles dont il a eu l'initiative ne sont pas les ennemies, mais les soutiens de l'ordre social. Elles s'inspirent en effet des principes économiques, contrairement à la propagande communiste de Lassalle, qui a fait de nombreux prosélites en Allemagne et à celle des néo-socialistes qui commencent à se manifester en France, et qui se sont affirmés

au congrès international des «< travailleurs » à Lausanne. Nous reproduisons plus haut (p. 109) la circulaire de M. Schultze-Delitzsch.

Nous reproduisons aussi (p. 113) un pittoresque croquis de ce congrès qui s'est du reste réduit à de mesquines proportions, et qui s'est retrouvé à cet autre bizarre et belliqueux congrès de la paix de Genève, dont nous publions une relation également due à la spirituelle plume du rédacteur en chef de l'Économiste belge, lequel a pu observer le phénomène de très-près, en sa qualité de membre du bureau pour la Belgique.

Nos lecteurs trouveront dans ce compte rendu une énergique protestation de quelques économistes assistant au congrès, vigoureusement formulée par notre collaborateur M. P. Paillottet, et complétée par une lettre de M. Dameth, professeur d'économie politique à l'Académie de Genève, ainsi qu'une spirituelle boutade d'une dame allemande, Mme Lewald Staher qui montre sous une forme saisissante l'analogie qu'il y a entre les gouvernements qui livrent des batailles et les hommes grossiers qui vident leurs querelles par le pugilat. Si nous étions une revue politique, nous aurions encore recueilli d'autres bonnes manifestations par des hommes sensés d'Allemagne et de France, tels que M. Simon, de Trèves, M. Chaudey, avocat à Paris; M. Jolisaint, de Berne; M. Ceneri, de Bologne; M. Varela, de Buenos-Ayres, etc.; M. Fazy lui-même, qui a pourtant contribué à troubler la réunion, et aussi par les organisateurs du congrès, MM. Barni, Acollas, Lemonnier, dont les intentions étaient excellentes, mais auxquels il ne faut toutefois pas faire compliment du programme.

D

Revenons au congrès des « travailleurs. Les promoteurs anglais de ce congrès, hommes pratiques, n'ont pas en vue la refonte de la société; ils se bornent à prêcher la non-immigration des ouvriers du continent en Angleterre. Et voilà que des ouvriers américains, réunis en congrès à Chicago, ont proclamé ce principe que les ouvriers américains ont seuls le droit de travailler en Amérique, et que l'immigration ne peut avoir d'autre résultat que d'appauvrir les travailleurs du nouveau monde. C'est la doctrine protectionniste appliquée au travail et qui se traduisait en 1848, dans les rues de Paris, par ces cris à la fois barbares et naïfs: A bas les Angiais! les Savoyards! les Auvergnats!

- Le grand fait de l'Exposition universelle touche à sa fin. Bien que la saison ne soit pas favorable et attriste le séjour des touristes, les visiteurs n'ont cessé d'être nombreux. Ils l'ont été assez, paraît-il, depuis l'ouverture, pour indemniser les souscripteurs-actionnaires qui ont avancé le troisième tiers du capital nécessaire à cette grosse affaire. Maintenant les faiseurs de plans sont à l'œuvre pour proposer l'utilisa

« AnteriorContinuar »