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ou la prodigalité ont ouvertes et cherche tant bien que mal à les combler; elle y oppose les ressources que chaque jour lui fournissent son esprit d'invention, son génie des arts, son habileté de main. Elle va jusqu'à imaginer et exécuter ces armes de précision dont sont engoués les États qui y cherchent un instrument de puissance, préparant la guerre, elle qui a tant besoin de la paix. Dans des dispositions aussi heureuses, et une activité que rien ne rebute, combien il serait aisé aux gouvernements de donner aux populations le premier et presque le seul bienfait qu'elles lui demandent, la sécurité !

Cette sécurité on la trouve dans les paroles, on ne la voit ni dans les actes, ni peut-être dans les intentions. On ne sait d'où vient le souffle qui traverse l'Europe, mais au milieu des déclarations les plus pacifiques, il y a çà et là des bruissements d'armes et des agitations qui se sentent plus qu'elles ne se définissent. C'est ce qui rend la crise actuelle plus redoutable qu'aucune de celles qui ont précédé. C'est moins le présent que le lendemain que l'on redoute. Des embarras couvent à tous les points de l'horizon, et quand par hasard il s'en montre un à découvert, on l'ajourne plutôt qu'on ne le tranche; personne ne s'en explique avec franchise. Comment l'industrie prendrait-elle confiance et entamerait-elle des entreprises à long terme quand le sol sur lequel elle marche lui semble manquer de stabilité? Elle vit donc au jour le jour, s'observe, se limite, et il en sera ainsi tant que la politique n'aura pas pris des formes moins ambiguës.

Quand on assiste en témoin à ce qui se passe, on ne peut se défendre d'un retour vers le passé et d'un involontaire rapprochement. Dans le cours des deux règnes qui se sont succédé aux débuts du siècle, il y a eu aussi des émotions militaires dont le souvenir est resté, sous la Restauration, la courte campagne d'Espagne, qui se termina à Cadix; sous le gouvernement de Juillet, la série des campagnes d'Afrique, les siéges d'Ancône et d'Anvers, la capitulation du fort Saint-Jean-d'Ulloa. Non seulement l'industrie n'en prenait point d'alarme, mais l'opinion populaire trouvait que les gouvernements étaient trop avares de pareils spectacles. Que de fois on les a accusés de tenir leur drapeau d'une main timide et de ne pas multiplier suffisamment les défis! Il n'est pas bien prouvé qu'ils n'aient pas porté la peine de cette tranquillité de tempérament. On les eût préférés plus remuants, plus curieux de rema

niements de territoires, tenant le public en haleine par des surprises et poussant au besoin les choses jusqu'aux aventures. Si l'on s'en fie aux apparences, le pays serait aujourd'hui revenu de pareils goûts; volontiers il s'accommoderait d'un peu de ce repos qu'on appelait la paix à tout prix et qui n'était autre chose que le ménagement des intérêts d'un peuple, en tant que ce ménagement est compatible avec son honneur. Voilà le vœu des hommes sensés et le préservatif des crises. Il reste bien çà et là quelques humeurs turbulentes qui persistent à s'agiter et ne rêvent qu'agrandissements, mais c'est l'exception; le gros des populations n'aspire qu'à voir clair dans ses destinées et à poursuivre avec une entière liberté d'esprit sa tâche laborieuse.

LOUIS REYBAUD.

L'ENQUÊTE AGRICOLE ET L'IMPOT

I. Role actuel de l'impôt. Plaintes et griefs principaux des populations agricoles. II. Caractère rémunératoire et rôle futur de l'impôt. Exemples de services populaires et productifs dont l'impôt serait le prix. - III. Propositions principales et conclusion.

Dans la séance du 6 juillet dernier, en terminant un discours sur le budget rectificatif de 1865, M. de Lavenay, président de section au Conseil d'État, commissaire du gouvernement, disait : « L'optimisme serait encore plus dangereux, s'il vous faisait ouvrir l'oreille à des attaques incessantes contre nos vieux impôts, ces impôts qui sont éprouvés, qui sont identifiés à notre régime économique, acceptés par les populations; ces impôts qui sont productifs et productifs par les causes mêmes que je viens d'indiquer. Il serait dangereux, s'il vous portait à des diminutions d'impôts, ou à des substitutions d'impôts nouveaux, qui seraient chimériques, vexatoires, qui seraient improductifs par les causes inverses de celles qui font les premiers productifs. Oui, il serait alors dangereux. Mais il ne faut pas confondre l'optimisme avec la confiance... > Et M. Glais-Bizoin ajoutait: Toutes les réformes sont dues à l'optimisme. »

Cette déclaration de principe me fit songer à l'enquête agricole. Quoique la commission supérieure, instituée par le décret du 18 mars 1866, n'ait publié que son questionnaire et que l'on ignore les renseignements qui seront les éléments de son rapport, on sait, à n'en pas douter, que le problème dont elle s'occupe est des plus vastes et des plus compli

qués; qu'il ne touché pas seulement aux desséchements, drainages et irrigations, aux engrais et à la culture, à ce que j'appellerais volontiers le côté matériel du sujet, mais encore aux traités de commerce, au régime hypothécaire, au crédit agricole, à toutes les faces de notre législation, que notamment, sur plusieurs points de notre droit fiscal, les réclamations sont générales et presque unanimes.

Attaché depuis trente ans à l'une des régies financières, je suis persuadé que ces plaintes sont en partie fondées; que nos vieux impôts, qui sont éprouvés et attaqués, ne sont pas toujours en parfaite harmonie avec notre régime économique; et qu'ils se prêteraient à certaines modifications non chimériques, mais pratiques, populaires et productives.

Toutefois, avant de publier mon opinion personnelle, je m'étais fait un scrupule qui tient aux devoirs et aux droits du fonctionnaire.

Les fonctionnaires de l'ordre administratif qui sont chargés d'interpréter et d'appliquer la loi, ont deux sortes de devoirs. Ils doivent d'abord la faire respecter, en concilier le texte et l'esprit, ne pas substituer leur propre sagesse à celle du législateur, diriger et recueillir la jurisprudence: ils doivent, en outre et avant tous, rechercher les lacunes et les imperfections de la législation, signaler les parties qui vieillissent et qui ne répondent plus aux nécessités actuelles, et prendre l'initiative des mesures nouvelles.

Trop souvent, celui qui s'acquitte du premier de ces devoirs sans comprendre le second, qui rapproche et compulse patiemment décisions et arrêts, ne voit que des contradictions dans ces interprétations si mobiles d'une loi dont la lettre et le sens n'ont pas changé, au lieu d'y lire le désir d'une règle meilleure. Si son jugement n'est pas sûr, il se perd dans les distinctions et dans les subtilités; il devient procureur habile; ii se façonne des théories qui manquent de base certaine et qui ne sont pas acceptées. Il a le culte du passé; une longue habitude l'a identifié avec ce qui existe; et il luttera, avec l'opiniâtreté des gens à courte vue, contre l'avenir auquel il n'a pas songé, contre l'amélioration qui lui est signalée et qu'il aurait dû le premier voir et proposer. Son expérience stérile accepte comme une nécessité les iniquités de la loi de l'impôt; elle les défend comme une question vitale; elle érige en principe la séparation absolue du droit civil et du droit fiscal, au lieu de reconnaître que ces deux branches du droit français, sans se porter atteinte, se doivent assistance et fidélité.

Au contraire, le sentiment du devoir qui nous oblige à songer continuellement au progrès nous inspire la volonté constante de combattre les iniquités fiscales, d'alléger l'impôt, de le répartir également, de lui imprimer un caractère rémunératoire plus évident, d'attirer, s'il est possible, le contribuable, en rattachant à la perception un avantage tel que la rémunération vienne solliciter le service offert.

L'accomplissement de ces deux espèces de devoirs exige des aptitudes distinctes, qu'un chef habile discerne et sait utiliser (1). Quelquefois cependant, elles peuvent et elles doivent se produire sans direction et même sans autorisation administrative spéciale; tel est le cas d'une enquête.

En effet, une enquête sérieuse et sincère est un appel à toutes les opinions. Elle demande la lumière à tous les degrés de la hiérarchie, accueillant également les conseils de l'expérience craintive et les idées qui n'ont pas subi l'épreuve de la pratique. Elle dégage virtuellement le fonctionnaire de l'obligation de soumettre à d'autres que la commission instituée des propositions qu'un défaut d'autorisation étoufferait, et qu'une autorisation expresse on implicite rendrait officielles ou semiofficielles; ou plutôt, l'Empereur, par le décret qui ordonne l'enquête, accorde directement l'autorisation administrative ordinaire, et livre aut concours des questions sur lesquelles tout homme compétent doit se prononcer avec indépendance; car c'est à cette condition seulement que la vérité se fait jour.

Voilà comment et pourquoi j'apporte mon contingent à l'enquête. Si mes propositions sont paradoxales, c'est-à-dire en dehors des idées reçues, je suis prêt à les défendre, et je ne serai pas seul.

La question que je vais aborder porte le no 156 dans le questionnaire général. Elle est ainsi conçue:

« Quels sont, dans la législation fiscale, les points auxquels il paraît y avoir lieu d'apporter des modifications que l'on considère comme utiles à l'agriculture? »

Je ne la traiterai pas complétement; d'abord, afin de ne pas être trop long; ensuite, parce que je ne veux parler que de ce que je crois savoir et n'expliquer que ce que je crois comprendre; enfin, parce que je me réserve pour une polémique écrite ou verbale à laquelle je m'attends.

Je voudrais, sans sortir du cadre restreint de mes études pratiques, examiner quel est et quel peut être le rôle de l'impôt dans ses rapports avec la propriété foncière et le crédit foncier agricole; c'est-à-dire rechercher quels sont, parmi les impôts qui pèsent sur les populations agricoles, ceux dont elles se plaignent justement, et déterminer acces

(1) Le général Bonaparte, premier consul, stimulait le zèle de tous. et donnait ainsi sa juste application au mot qu'il répétait souvent à propos de tout et à tous : « L'art le plus difficile n'est peut-être pas de choisir les hommes, mais de donner aux hommes qu'on a choisis la valeur qu'ils peuvent avoir. » Il eut ce don suprême et pratique. (Les Finances françaises, par M. le baron de Nervo, receveur général; vol. II, p. 328.)

soirement quelques-unes des causes qui entravent le crédit agricole; indiquer le moyen de remédier au mal; - prouver que les mesures à prendre, utiles à l'agriculture et acceptées par les agriculteurs, ne porteront pas préjudice au budget; - formuler nettement les propositions à soumettre à l'autorité qui doit statuer; et conclure.

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I

RÔLE ACTUEL DE L'IMPÔT; PLAINTES ET GRIEFS PRINCIPAUX DES POPULATIONS

AGRICOLES.

1. A la fin du siècle dernier, au sortir du cataclysme social, cinq ans avant le Code Napoléon, il fallait combler le déficit et faire face aux dépenses. Ce fut l'origine de notre système d'impôts.

Deux lois entre autres, promulguées le même mois, établissent, l'une, la contribution foncière prélevée sur le revenu, l'autre, les droits d'enregistrement et notamment le droit de mutation prélevé sur les valeurs transmises.

Les populations agricoles se plaignent justement, à des degrés divers, de ces deux espèces de prélèvements, mais surtout de ceux qui s'exercent sur les valeurs et capitaux transmis, et qui doivent tout d'abord fixer l'attention.

2. Les transmissions s'opèrent soit par décès, soit entre-vifs à titre gratuit ou onéreux, par actes ou sans actes.

3. Les mutations par décès sont l'objet de critiques qui portent et sur l'assiette et sur la quotité du droit.

5. L'assiette du droit de succession est, pour les immeubles, un multiple du revenu brut; ce n'est pas la valeur capitale, entière, réelle, vénale, celles qu'adoptent les cohéritiers dans un partage, que représente le prix d'une adjudication prononcée dans des circonstances ordinaires, la seule cependant que le droit civil ait eue en vue dans les codes qui forment notre droit civil. De ce défaut d'harmonie résultent des discordances, des effets bizarres, une inégalité dans la répartition de l'impôt. Mais, en général, les populations agricoles n'ont pas à s'en plaindre, le multiplie du revenu sur lequel les droits sont perçus étant inférieur à la valeur vénale, qui, dans l'esprit de la législation de l'an VII, devait être la base unique de toutes les transmissions.

Elles ne se plaignent pas non plus d'acquitter les droits sur les valeurs mobilières qu'elles déclarent, leur évaluation étant, en général, une base indiscutable.

Mais, comme tous les autres contribuables, elles attaquent, vivement et avec raison, la disposition de l'article 14 de la loi du 22 frimaire an VII, d'après laquelle le droit se prélève sur la masse active brute, sans déduction des charges.

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