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» Prêtres ambitieux, n'attendez donc pas que nous travaillions à rétablir votre empire! Une telle entreprise serait même au-dessus de notre puissance; vous vous êtes tués vous-mêmes, et l'on ne revient pas plus à la vie morale qu'à l'existence physique.

» Et d'ailleurs qu'y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du dieu des prêtres! Je ne connaîs rien de si ressemblant à l'athéisme que les religions qu'ils ont faites; à force de défigurer l'Être suprême ils l'ont anéanti autant qu'il était en eux; ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un bœuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi : les prêtres ont créé un dieu à leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable; ils l'ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendans de Clovis, pour régner sous son nom et se mettre à sa place : ils l'ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l'ont appelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable prêtre de l'Être suprême c'est la nature, son temple l'univers, son culte la vertu, ses fêtes la joie d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraterni:é universelle, et pour lui présenter l'hommage des cœurs sensibles et purs.

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Prêtres, par quel titre avez-vous prouvé votre mission? Avez-vous été plus justes, plus modestes, plus amis de la vérité que les autres hommes? Avez-vous chéri l'égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie? C'est vous qui avez dit aux rois : vous étes les images de Dieu sur la terre; c'est de lui seul que vous tenéz votre puissance; et les rois vous ont répondu : oui, vous étes vraiment les envoyés de Dieu; unissons-nous pour partager les dépouilles et les adorations des mortels. Le sceptre et l'encensoir ont conspiré pour déshonorer le ciel et pour usurper la terre.

» Laissons les prêtres, et retournons à la Divinité. Attachons la morale à des bases éternelles et sacrées; inspirons à l'homme ce respect religieux pour l'homme, ce sentiment pro

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fond de ses devoirs, qui est la seule garantie du bonheur social; nourrissons-le par toutes nos institutions; que l'éducation publique soit surtout dirigée vers ce but : vous lui imprimerez sans doute un grand caractère, analogue à la nature de notre gouvernement et à la sublimité des destinées de notre République; vous sentirez la nécessité de la rendre commune et égale pour tous les Français. Il ne s'agit plus de former des messieurs, mais des citoyens; la patrie a seule droit d'élever ses enfans; elle ne peut confier ce dépôt à l'orgueil des familles ni aux préjugés des particuliers, alimens éternels de l'aristocratie, et d'un fédéralisme domestique qui rétrécit les âmes en les isolant, et détruit avec l'égalité tous les fondemens de l'ordre social. Mais ce grand objet est étranger à la discussion actuelle.

» Il est cependant une sorte d'institution qui doit être considérée comme une partie essentielle de l'éducation publique, et qui appartient nécessairement au sujet de ce rapport: je veux parler des fêtes nationales.

>> Rassemblez les hommes; vous les rendrez meilleurs, car les hommes rassemblés chercheront à se plaire, et ils ne pourront se plaire que par les choses qui les rendent estimables. Donnez à leur réunion un grand motif moral et politique, et l'amour des choses honnêtes entrera avec le plaisir dans tous les cœurs, car les hommes ne se voient pas sans plaisir.

» L'homme est le plus grand objet qui soit dans la nature, et le plus magnifique de tous les spectacles c'est celui d'un grand peuple assemblé. On ne parle jamais sans enthousiasme des fêtes nationales de la Grèce; cependant elles n'avaient guère pour objet que des jeux où brillaient la force du corps, l'adresse, ou tout au plus le talent des poètes et des orateurs : mais la Grèce était là; on voyait un spectacle plus grand que les jeux ; c'étaient les spectateurs eux-mêmes, c'était le peuple vainqueur de l'Asie, que les vertus républicaines avait élevé quelquefois au-dessus de l'humanité; on voyait les grands hommes qui avaient sauvé et illustré la patrie; les pères montraient à leurs fils Miltiade, Aristide, Epaminondas, Timoléon, dont la seule présence était une leçon vivante de magnanimité, de justice et de patriotisme.

» Combien il serait facile au peuple français de donner à ses assemblées un objet plus étendu et un plus grand caractère! Un système de fêtes nationales bien entendu serait à la fois le plus doux lien de fraternité et le plus puissant moyen de régé

nération.

» Ayez des fêtes générales et plus solennelles pour toute la République; ayez des fêtes particulières et pour chaque lieu, qui soient des jours de repos, et qui remplacent ce que les circonstances ont détruit.

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Que toutes tendent à réveiller les sentimens généreux qui font le charme et l'ornement de la vie humaine, l'enthousiasme de la liberté, l'amour de la patrie, le respect des lois; que la mémoire des tyrans et des traîtres y soit vouée à l'exécration; que celle des héros de la liberté et des bienfaiteurs de l'humanité y reçoive le juste tribut de la reconnaissance publique; qu'elles puisent leur intérêt et leurs noms mêmes dans les événemens immortels de notre révolution et dans les objets les plus sacrés et les plus chers au cœur de l'homme ; qu'elles soient embellies et distinguées par les emblêmes analogues à leur objet particulier : invitons à nos fêtes et la nature et toutes les vertus; que toutes soient fcélébrées sous les auspices de l'Être suprême; qu'elles lui soient consacrées; qu'elles s'ouvrent et qu'elles finissent par un hommage à sa puissance et à sa bonté!

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Tu donneras ton nom sacré à l'une de nos plus belles fêtes, ô toi, fille de la nature! mère du bonheur et de la gloire! toi seule légitime souveraine du monde, détrônée par le crime; toi à qui le peuple français a rendu ton empire, et qui lui donnes en échange une patrie et des mœurs, auguste liberté ! Tu partageras nos sacrifices avec ta compagne immortelle, la douce et sainte égalité ! Nous fêterons l'humanité; l'humanité, avilie et foulée aux pieds par les ennemis de la République française! Ce sera un beau jour que celui où nous célébrerons la fête du genre humain ! C'est le banquet fraternel et sacré où, du sein de la victoire, le peuple français invitera la famille immense dont seul il défend l'honneur et les imprescriptibles droits. Nous célébrerons aussi tous les grands hommes, de quelque temps et de quelque pays que ce soit, qui ont affranchi

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leur patrie du joug des tyrans, et qui ont fondé la liberté par de sages lois. Vous ne serez point oubliés, illustres martyrs de la République française! Vous ne serez point oubliés, héros morts en combattant pour elle! Qui pourrait oublier les héros de ma patrie! La France leur doit sa liberté; l'univers leur devra la sienne que l'univers célèbre bientôt leur gloire en jouissant de leurs bienfaits! Combien de traits héroïques confondus dans la foule des grandes actions que la liberté a comme prodiguées parmi nous! Combien de noms dignes d'être inscrits dans les fastes de l'histoire demeurent ensevelis dans l'obscurité! Mânes inconnus et révérés, si vous échappez à la célébrité, vous n'échapperez point à notre tendre reconnaissance!

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Qu'ils tremblent tous les tyrans armés contre la liberté, s'il en existe encore alors! Qu'ils tremblent le jour où les Français viendront sur vos tombeaux jurer de vous imiter! Jeunes Français, entendez-vous l'immortel Barra, qui du sein du Panthéon vous appelle à la gloire! Venez répandre des fleurs sur sa tombe sacrée. Barra, enfant héroïque, tu nourrissais ta mère, et tu mourus pour ta patrie! Barra, tu as déjà reçu le prix de ton héroïsme; la patrie a adopté ta mère; la patrie, étouffant les factions criminelles, va s'élever triomphante sur les ruines des vices et des trônes. O Barra, tu n'as pas trouvé de modèles dans l'antiquité, mais tu as trouvé parmi nous des émules de ta vertu!

>> Par quelle fatalité ou par quelle ingratitude a-t-on laissé dans l'oubli un héros plus jeune encore, et digne des hommages de la postérité? Les Marseillais rebelles, rassemblés sur les bords de la Durance, se préparaient à passer cette rivière pour aller égorger les patriotes faibles et désarmés de ces malheureuses contrées; une troupe peu nombreuse de républicains réunis de l'autre côté ne voyait d'autre ressource que de couper les cables des pontons qui étaient au pouvoir de leurs ennemis; mais tenter une telle entreprise en présence des bataillons nombreux qui couvraient l'autre rive, et à la portée de leurs fusils, paraissait une entreprise chimérique aux plus hardis. Tout à coup un enfant de treize ans s'élance sur une hache; il vole au bord du fleuve, et frappe le cable de toute sa force: plusieurs

décharges de mousqueterie sont dirigées contre lui; il continue de frapper à coups redoublés; enfin il est atteint d'un coup mortel; il s'écrie: je meurs, cela m'est égal; c'est pour la liberté! Il tombe, il est mort!... Respectable enfant, que la patrie s'enorgueillisse de t'avoir donné le jour! Avec quel orgueil la Grèce et Rome auraient honoré ta mémoire si elles avaient produit un héros tel que toi!

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Citoyens, portons en pompe ses cendres au temple de la gloire; que la République en deuil les arrose de larmes amères! Non, ne le pleurons pas ; imitons-le; vengeons-le par la ruine de tous les ennemis de notre République! (1)

» Toutes les vertus se disputent le droit de présider à nos fêtes. Instituons les fêtes de la gloire, non de celle qui ravage et opprime le monde, mais de celle qui l'affranchit, qui l'éclaire et qui le console; de celle qui, après la patrie, est la première idole des cœurs généreux. Instituons une fête plus touchante, la fête du malheur : les esclaves adorent la fortune et le pouvoir; nous, honorons le malheur, le malheur, que l'humanité ne peut entièrement bannir de la terre, mais qu'elle console et soulage avec respect! Tu obtiendras aussi cet hommage, ô toi qui jadis unissais les héros et les sages! toi qui multiplies les forces des amis de la patrie, et dont les méchans, liés par le crime, ne connurent jamais que le simulacre imposteur! divine amitié, tu retrouveras chez les Français républicains ta puissance et tes autels.

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Pourquoi ne rendrions-nous pas le même honneur au pudique et généreux amour, à la foi conjugale, à la tendresse paternelle, à la piété filiale? Nos fêtes sans doute ne seront ni

(1) « Le nom de ce héros est Agricola Viala. Il faut apprendre ici à

la République entière deux traits d'une nature bien différente.

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Quand la mère du jeune Viala apprit la mort de son fils sa douleur fut aussi profonde qu'elle était juste. Mais, lui dit-on, il est mort pour la patrie! Ah! c'est vrai, dit-elle, il est mort pour la patric ! Et ses larmes se séchèrent.

» L'autre fait c'est que les Marseillais rebelles, ayant passé la Durance, eurent la lâcheté d'insulter aux restes du jeune héros, et jetèrent son corps dans les flots. >>

XIV.

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