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Ainsi vous parcourez mille sites divers.

Mais bientôt, revenu dans des climats plus chers,
Plus doux dans leur été, plus doux dans leur froidure,
Et d'un ciel sans rigueur molle température,

Vous nous rendez nos prés, nos bois, nos arbrisseaux,
Les nids de nos buissons, le bruit de nos ruisseaux ;
Nos fruits qu'un teint moins vif plus doucement colore;
Notre simple Palès, notre modeste Flore;

Et, pauvre de couleurs, mais riche de sa voix,
Le rossignol encore enchantera nos bois.

Mais n'allez pas non plus toujours peindre et décrire
Dans l'art d'intéresser consiste l'art d'écrire.
Souvent dans vos tableaux placez des spectateurs,

Sur la scène des champs amenez des acteurs ;

Cet art de l'intérêt est la source féconde.

Oui, l'homme aux yeux de l'homme est l'ornement du monde.
Les lieux les plus rians sans lui nous touchent peu;

C'est un temple désert qui demande son dieu.
Avec lui mouvement, plaisir, gaîté, culture;

Tout renaît, tout revit: ainsi qu'à la nature,
La présence de l'homme est nécessaire aux arts;
C'est lui dans vos tableaux que cherchent nos regards.
Peuplez donc ces coteaux de jeunes vendangeuses,
Ces vallons de bergers, et ces eaux de baigneuses,

Qui, timides, à peine osant aux flots discrets
Confier le trésor de leurs charmes secrets,

Semblent, en tressaillant dans leurs frayeurs extrêmes,
Craindre leurs propres yeux, et rougir d'elles-mêmes;
Tandis que, les suivant sous le cristal de l'eau,
Un faune du feuillage entr'ouvre le rideau.
Que si l'homme est absent de vos tableaux rustiques,
Quel peuple d'animaux sauvages, domestiques,
Courageux ou craintifs, rebelles ou soumis,
Esclaves patiens ou généreux amis,

Dont le lait vous nourrit, dont vous filez la laine,
D'acteurs intéressans vient occuper la scène ?
Ceux qui de Wouvermans exerçoient les pinceaux,
Qui du riant Berghem animoient les tableaux,
Ne vous disent-ils rien? La lyre du poëte
Ne peut-elle du peintre égaler la palette ?
Ah! soyez peintre aussi ! venez; à votre voix
Les hôtes de la plaine et des monts et des bois
S'en vont donner la vie au plus froid paysage.
Là, dès qu'un vent léger fait frémir le feuillage,
Aussi tremblant que lui, le timide chevreuil
Fuit, plus prompt que l'éclair, plus rapide que l'œil:
Ici, des prés fleuris paissant l'herbe abondante,
La vache gonfle en paix sa mamelle pendante,

Et son folâtre enfant se joue à son côté.

Plus loin, fier de sa race et sûr de sa beauté,

S'il entend ou le cor ou le cri des cavales,
De son sérail nombreux hennissantes rivales,
Du rempart épineux qui borde le vallon,
Indocile, inquiet, le fougueux étalon

Ses

3

S'échappe, et, libre enfin, bondissant et superbe,
Tantôt d'un pied léger à peine effleure l'herbe,
Tantôt demande aux vents les objets de ses feux;
Tantôt vers la fraîcheur d'un bain voluptueux,
Fier, relevant ses crins que le zéphir déploie,
Vole et frémit d'orgueil, de jeunesse et de joie :
dans tous vos sens retentissent encor.
pas
Voulez-vous d'intérêts un plus riche trésor?
Dans tous ces animaux peignez les mœurs humaines ;
Donnez-leur notre espoir, nos plaisirs et nos peines,'
Et par nos passions rapprochez-les de nous.
Envain le grand Buffon, de leur gloire jaloux,
Peu d'accord avec soi dans sa prose divine, or
Voulut ne voir en eux qu'une adroite machine,
Qu'une argile mouvante, et d'aveugles ressorts
D'une grossière vie organisant leurs corps:
Buffon les peint; chacun de sa main immortelle
Du feu de Prométhée obtint une étincelle :

Le chien eut la tendresse et la fidélité,

Le bœuf, la patience et la docilité;

Et fier de porter l'homme, et sensible à la gloire,
Le coursier partagea l'orgueil de la victoire.
Ainsi chaque animal, rétabli dans ses droits,
Lui dut un caractère et des mœurs et des lois.
Mais, que dis-je ? déjà l'auguste poësie
Avoit donné l'exemple à la philosophie.

C'est elle qui toujours, dans ses riches tableaux,
Unit les dieux à l'homme, et l'homme aux animaux.
Voyez-vous dans Homère, aux siècles poëtiques,
Les héros haranguant leurs coursiers héroïques ?
Ulysse est de retour, ô spectacle touchant!
Son chien le reconnoît, et meurt en le léchant.

guerre:

Et toi, Virgile, et toi, trop éloquent Lucrèce, Aux mœurs des animaux que votre art intéresse ! Avec le laboureur je détèle, en pleurant, Le taureau qui gémit sur son frère expirant. 4 Les chefs d'un grand troupeau se déclarent la Au bruit dont leurs débats font retentir la terre, Mon œil épouvanté ne voit plus deux taureaux ; Ce sont deux souverains, ce sont deux fiers rivaux, Armés pour un empire, armés pour une Hélène, Brûlant d'ambition, enflammés par la haine.

Tous deux, le front baissé, s'entrechoquent; tous deux,

De leur large fanon battant leur cou nerveux,
Mugissent de douleur, d'amour et de vengeance.
Le vaste Olympe en gronde, et la foule en silence
Attend, intéressée à ces sanglans assauts

A qui doit demeurer l'empire des troupeaux.

5

Voulez-vous un tableau d'un plus doux caractère?

Regardez la genisse, inconsolable mère :

Hélas ! elle a perdu le fruit de ses amours!

De la noire forêt parcourant les détours,
Ses longs mugissemens en vain le redemandent.

A ses cris, que les monts, que les rochers lui rendent,
Lui seul ne répond point; l'ombre, les frais ruisseaux,
Roulant sur des cailloux leurs diligentes eaux,
La saussaie encor fraîche et de pluie arrosée,
L'herbe où tremblent encor les gouttes de rosée;
Rien ne la touche plus : elle va mille fois
Et du bois à l'étable, et de l'étable au bois ;
S'en éloigne plaintive, y revient éplorée,
Et s'en retourne enfin, seule et désespérée. 6

Quel cœur n'est point ému de ses tendres regrets! 7

Même aux eaux, même aux fleurs, même aux arbres muets

La poësie encore, avec art mensongère,

Ne peut-elle prêter une ame imaginaire?

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