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intelligible, que par lui: ainsi c'est l'objet qui reçoit son intelligibilité, et l'intelligence infinie de Dieu ne peut en recevoir aucune nouvelle perception. Comme tout n'est vrai et intelligible que par lui, pour voir toutes choses comme elles sont, il faut qu'il les connaisse purement par lui-même et dans sa seule volonté, qui en est l'unique raison; car hors de cette volonté, et par elles-mêmes, elles n'ont rien de réel, ni par conséquent de véritable et d'intelligible.

Je ne saurais trop me remplir de cette vérité, parce que je prévois que, pourvu qu'elle me soit toujours bien présente dans toute sa force et son évidence, elle servira dans la suite à en démêler beaucoup d'autres.

Je viens de considérer comment Dieu voit les êtres purement possibles, et ceux qui doivent exister dans quelque partie du temps. Il me reste à examiner comment il connaît les êtres que je nomme futurs, conditionnels, c'est-à-dire qui doivent être, si certaines conditions arrivent, et non autrement. Les futurs conditionnels qui seront absolument, parce que la condition à laquelle ils sont attachés doit certainement arriver, retombent manifestement dans le rang des futurs absolus. Ainsi je comprends sans peine que comme ils arriveront absolument, Dieu voit leur futurition absolue, si je puis parler ainsi, dans la volonté absolue qu'il a formée de faire arriver la condition à laquelle ils sont attachés.

Pour les futurs conditionnels dont la condition ne doit point arriver, et qui par conséquent ne sont point absolument futurs, Dieu ne les voit que dans la volonté qu'il avait de les faire exister, supposé que la condition à laquelle il les attachait fût arrivée. Ainsi, à leur égard, on peut dire qu'il n'a voulu ni la condition, ni l'effet qui était la suite de la condition : il a seulement voulu lier cette condition avec cet effet, en sorte que l'un devait arriver de l'autre ; et c'est dans sa propre volonté, laquelle liait ces deux événements possibles, qu'il voit la futurition du second. Mais enfin il ne peut rien voir que dans sa propre volonté qui fait l'être, la vérité, et par conséquent l'intelligibilité de tout ce qui existe hors de lui. S'il ne voit les

êtres réels et actuellement existants que dans sa pure volonté en laquelle ils existent, à plus forte raison ne voit-il que dans cette même volonté les êtres conditionnellement futurs, qui par défaut de la condition ne sont point absolument futurs, et qui, par conséquent, n'ont ni existence, ni réalité, ni vérité, ni intelligibilité propre. Que faut-il conclure de tout ceci? que Dieu ne se détermine point à certaines choses plutôt qu'à d'autres, parce qu'il voit ce qui doit résulter de la combinaison des futurs conditionnels? Ce serait attribuer à l'être parfait deux grandes imperfections : l'une, d'être éclairé par son propre ouvrage qui est son objet, au lieu qu'il ne peut rien voir qu'en lui seul, lumière et vérité universelle : l'autre, de dépendre. de son ouvrage, et de s'accommoder à ce qu'il en peut tirer, après l'avoir tourné de toutes les façons pour voir celle qui lui donne plus de facilité. Je comprends donc que, loin de chercher bassement la cause de ses volontés dans la prévision qu'il a eue des futurs conditionnels, dans les divers plans qu'il a formés de son ouvrage, tout au contraire il n'est permis de chercher la cause de toutes ces futuritions conditionnelles, et de la prévision qu'il en a eue, que dans sa volonté seule, qui est l'unique raison de tout.

Non, mon Dieu, vous n'avez point consulté plusieurs plans auxquels vous fussiez, contraint de vous assujettir. Qu'est-ce qui vous pouvait gêner? Vous ne préférez point une chose à une autre à cause que vous prévoyez ce qu'elle doit être ; mais elle ne doit être ce qu'elle sera qu'à cause que vous voulez qu'elle le soit. Votre choix ne suit point servilement ce qui doit arriver; c'est au contraire ce choix souverain, fécond et tout-puissant, qui fait que chaque chose sera ce que vous lui ordonnez d'être. Oh! que vous êtes grand, et éloigné d'avoir besoin de rien! votre volonté ne se mesure sur rien, parce qu'elle fait elle seule la mesure de toutes choses.

Il n'y a rien qui soit ni conditionnellement ni absolument, si votre volonté ne l'appelle, et ne le tire de l'absolu néant. Tout ce que vous voulez qui soit vient aussitôt à l'être; mais au degré précis d'être que vous lui marquez. Vous ne pouvez

trouver aucune convenance dans les choses, puisque c'est vous qui les faites toutes les objets que vous connaissez n'impriment rien en vous; au lieu que ceux que je commence à connaître impriment en moi et y font la perception de quelque vérité particulière qui augmente mon intelligence.

Pour vous, ô infinie vérité, vous trouvez toute vérité en vousmême. Les objets créés, loin de vous donner quelque intelligence, reçoivent de vous toute leur intelligibilité; et comme cette intelligibilité n'est qu'en vous, ce n'est aussi qu'en vous que vous la pouvez voir. Vous ne pouvez les voir en eux-mêmes, puisqu'en eux-mêmes ils ne sont rien, et que le néant n'est point intelligible: ainsi vous ne pouvez les voir qu'en vous, qui êtes leur unique raison d'existence.

A force d'être grand, vous êtes d'une simplicité qui échappe à mes regards successifs et bornés. Quand je supposerais que vous auriez créé cent mille mondes durables pour une suite innombrable de siècles, il faudrait conclure que vous verriez le tout d'une seule vue dans votre volonté, comme vous voyez de la même vue toutes les créatures possibles dans votre puissance, qui est vous-même. C'est un étonnement de mon esprit, que l'habitude de vous contempler ne diminue point. Je ne puis m'accoutumer à vous voir, ô infini simple, au-dessus de toutes les mesures par lesquelles mon faible esprit est toujours tenté de vous mesurer. J'oublie toujours le point essentiel de votre grandeur, et par là je retombe à contre-temps dans l'étroite enceinte des choses finies. Pardonnez ces erreurs, ô bonté qui n'est pas moins infinie que toutes les autres perfections de mon Dieu; pardonnez les bégayements d'une langue qui ne peut s'abstenir de vous louer, et les défaillances d'un esprit que vous n'avez fait que pour admirer votre perfection.

FIN DE L'EXISTENCE DE DIEU.

ENTRETIENS

DE

FÉNELON ET DE M. DE RAMSAI

SUR

LA VÉRITÉ DE LA RELIGION,

Tirés de l'histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon; par M. de Ramsai.

L'an 1710, j'eus l'honneur de voir M. de Cambrai pour la première fois. Je crois devoir raconter les entretiens que j'eus avec lui sur la religion, parce qu'ils feront connaître le caractère de son esprit, et montreront en même temps que sa piété, loin de conduire à un déisme subtil et à l'indépendance de toute autorité visible, comme l'ont quelquefois insinué ses adversaires, fournit au contraire les preuves les plus solides du christianisme et de la catholicité.

Né dans un pays libre, où l'esprit humain se montre dans toutes ses formes sans contrainte, je parcourus la plupart des religions pour y chercher la vérité. Le fanatisme, ou la contradiction, qui règnent dans tous les différents systèmes protestants, me révoltèrent contre toutes les sectes du christianisme.

Comme mon cœur n'était point corrompu par les grandes passions, mon esprit ne put goûter les absurdités de l'athéisme. Croire le néant source de tout ce qui est, le fini éternel, ou l'infini un assemblage de tous les êtres bornés, me parurent des extravagances plus insoutenables que les dogmes les plus insensés d'aucune secte des croyants.

Je voulais alors me réfugier dans le sage déisme, qui se borne au respect de la Divinité, et aux idées immuables de la pure vertu, sans se soucier ni du culte extérieur, ni du sacerdoce, ni des mystères. Je ne pus pas cependant secouer mon respect pour la religion chrétienne, dont la moraie est

si sublime. Mille doutes vinrent souvent accabler mon esprit. Se précipiter tout à fait dans le déisme me paraissait une démarche hardie; s'arrêter dans aucune secte du christianisme me semblait une faiblesse puérile. J'errai çà et là dans les principes vagues d'un tolérantisme outré, sans pouvoir trouver un point fixe. C'est dans ces dispositions que j'arrivai à Cambrai.

M. l'archevêque me reçut avec cette bonté paternelle et insinuante qui gagne d'abord le cœur. J'entrai avec lui, pendant l'espace de six mois, dans un examen fort étendu de la religion. Je ne pourrai pas raconter ici tout ce qu'il me dit sur cette matière ; j'en dirai seulement la substance. Voici à peu près comme je lui développai mes principes :

« Dieu ne demande point d'autre culte que l'amour de sa perfection infinie, d'où découlent toutes les vertus humaines et divines, morales et civiles. Tous les philosophes, tous les sages, toutes les nations ont eu quelques idées de cette religion naturelle; mais ils l'ont mêlée de dogmes plus ou moins vrais, et l'ont exprimée par un culte plus ou moins propre. Toutes sortes de religions sont agréables à l'Étre souverain, lorsqu'on se sert des cérémonies, des opinions et des erreurs mêmes de sa secte, pour nous porter à l'adoration de la Divinité. Il faut un culte extérieur; mais les différentes formes de ce culte sont, comme les différentes formes du gouvernement civil, plus ou moins bonnes, selon l'usage qu'on en fait. Je ne saurais souffrir qu'on borne la vraie religion à une société particulière. J'admire la morale de l'Évangile; mais toutes les opinions spéculatives sont des choses indifférentes, dont la souveraine sagesse fait peu de cas. » Il me répondit ainsi :

« Vous ne sauriez rester dans votre indépendance philosophique, ni dans votre tolérance vague de toutes les sectes, sans regarder le christianisme comme une imposture. Car il n'y a aucun milieu raisonnable entre le déisme et la catholicité. >>

Cette idée me parut un paradoxe. Je le priai de me l'expliquer. Il continua ainsi :

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