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l'homme, puisqu'il ne souffre son égarement qu'en lui donnant tous les secours nécessaires pour ne s'égarer jamais. Si on regarde cette permission par rapport à Dieu même, elle n'a rien qui altère son ordre et sa bonté, puisqu'il ne fait que souffrir ce qu'il ne fait ni ne procure. Il oppose au péché tous les secours de la raison et de la grâce. Il ne reste que sa seule toute-puissance absolue qu'il n'y oppose pas, parce qu'il ne veut point violer le libre arbitre qu'il a laissé à l'homme en faveur du mérite, et ce qui échappe à l'ordre du côté de la bonté et de la récompense y rentre en même temps du côté de la justice et du châtiment. Ainsi l'ordre, qui a deux parties essentielles, subsiste inviolablement par cette alternative de la miséricorde ou de la justice à laquelle chacun doit appartenir.

Que peut-on donc conclure sur les trois questions proposées ?

L'être infiniment parfait nous a créés pour lui; c'est-à-dire afin que nous soyons occupés de son admiration, de sa louange et de son amour. Voilà son culte. Les signes qu'on en donne au dehors sont nécessaires pour annoncer ce culte à ceux qui ne l'ont pas; pour l'affermir et le perfectionner dans ceux qui l'ont déjà imparfaitement; et pour le rendre uniforme en tous, puisque tous doivent être réunis dans cette adoration publique.

L'âme est immortelle, puisqu'elle n'a aucune cause de destruction en soi, que Dieu n'anéantit aucun être jusqu'au moindre atome, et qu'il nous promet la vie éternelle.

Le libre arbitre est incontestable. Ceux qui le nient n'ont pas besoin d'être réfutés, car ils se démentent eux-mêmes. Il faut ou le supposer sans cesse, ou renoncer à la raison, et ne vivre pas en homme. Ce que la nature nous persuade invinciblement nous est encore certifié par l'autorité de Dieu parlant dans les Écritures. Que tardons-nous à croire? D'où vient que l'homme, si crédule pour tout ce qui flatte son orgueil et ses passions, cherche tant de chicanes contre ces vérités, qui devraient le combler de consolation? L'homme

craint de trouver un Dieu infiniment bon, qui veuille son amour, et qui exige de lui une société qui le rend bienheureux. Il craint de trouver que son âme ne mourra point avec son corps, et qu'après cette courte et malheureuse vie Dieu lui prépare une vie céleste sans fin. Il craint de trouver un Dieu qui le laisse maître de son sort pour le rendre heureux par sa vertu, ou malheureux par son vice, et qui veuille être servi par des volontés libres. D'où vient une crainte si dénaturée et une incrédulité si contraire à tous nos plus grands intérêts? C'est que l'amour-propre est un amour fou, un amour extravagant, un amour égaré qui se trahit lui-même. On craint beaucoup plus de gêner un peu ses passions et sa vanité, pendant le petit nombre de jours qui nous sont comptés ici-bas, que de perdre le bien infini, que de renoncer à une vie éternelle, que de se précipiter dans un éternel désespoir. Que doit-on attendre des raisonnements d'un esprit si malade, et si ombrageux contre toute guérison? Voudrait-on écouter sérieusement un homme qui serait, en toute autre matière, dans des préjugés si incurables contre son véritable bien? Il n'y a qu'un seul remède à tant de maux, qui est que l'homme rentre au fond de son cœur, non pour s'y posséder soi-même, mais pour s'y laisser posséder de Dieu; qu'il le prie, qu'il l'écoute, qu'il se défie de soi, qu'il se confie à lui, qu'il condamne son orgueil, qu'il demande du secours dans sa faiblesse pour réprimer toutes ses passions, et qu'il reconnaisse que l'amour-propre étant la plaie de son cœur, il ne peut trouver la santé et la paix que dans l'amour

de Dieu.

LETTRE III.

SUR LE CULTE INTÉRIEUR ET EXTÉRIEUR, ET SUR LA RELIGION

JUIVE.

Comme je sais que vous lisez Abbadie sur la vérité de la religion, je ne puis m'empêcher de vous proposer quelques réflexions sur cette matière. Je vous supplie de les bien peser.

Dieu a fait toutes choses pour lui. Il ne peut jamais rien devoir qu'à lui seul, et il se doit tout. Tous les êtres sans

intelligence ne se meuvent que suivant les règles du mouvement qu'il leur a données. Tous ces êtres sont dans sa main, et obéissent, pour ainsi dire, à sa voix toute-puissante : ils n'ont ni être ni mouvement que par lui seul. Mais il a fait d'autres êtres, qui sont intelligents et qui ont une volonté. Ces êtres, qui connaissent et qui veulent, n'appartiennentils pas autant au Créateur que les autres? lui doivent-ils moins? peut-il moins sur eux? ne les a-t-il pas faits pour lui-même aussi bien que les autres? ne doit-il pas régler selon son bon plaisir toutes leurs pensées et toutes leurs volontés, comme il règle les mouvements des corps ? n'a-t-il pas créé les êtres capables de reconnaissance et d'amour, afin qu'ils connaissent et qu'ils aiment sa vérité et sa bonté infinies? Le rapport de la créature au Créateur est la fin essentielle de la création; car Dieu se doit tout à lui-même, et il n'a pu rien créer que pour lui. Ce rapport est ce que nous appelons sa gloire. Ce rapport est différent suivant les différentes natures,des êtres. Dieu rapporte à soi-même, par sa propre volonté, les êtres qui n'ont pas une volonté propre pour s'y rapporter eux-mêmes librement. Voilà le genre le moins noble des créatures; mais pour le genre supérieur des êtres intelligents, comme ils sont libres et voulants, Dieu les rapporte à soi, en exigeant d'eux qu'ils s'y rapportent euxinêmes volontairement. Le rapport de la matière, c'est d'être souple, et, pour ainsi dire, patiente dans les mains de Dieu, pour toutes les figures et pour tous les mouvements qu'il lui plaît de lui donner; car le rapport d'une créature au Créateur suit toujours la nature de cette créature même. La matière ne peut avoir que des figures et des mouvements; elle ne peut donner à Dieu que ce qui est en elle, c'est-à-dire des mouvements et des figures: encore même ne peut-elle pas les lui donner; elle les lui laisse prendre. C'est lui qui se donne luimême à lui-même tout ce qu'il veut dans ces êtres inanimés; mais pour les êtres intelligents et voulants, qui sont d'un ordre bien supérieur, il ne fait rien en eux qu'il ne leur fasse vouloir avec lui: le vouloir est en eux ce que le mouvoir est dans la

donne

matière. Comme Dieu, cause de tout ce qui est bon, le mouvoir aux êtres mobiles, il donne le vouloir aux êtres voulants: il leur donne un vouloir libre, quoique dépendant de lui. Tout ce qui est donc est essentiellement dépendant; une liberté donnée est donc une liberté essentiellement dépendante. Cette liberté n'a donc rien de commun avec l'indépendance: c'est une liberté subordonnée d'un être qui n'a rien en aucun genre par soi. En cet état, l'être libre et voulant doit se regarder sans cesse comme un demi-néant; comme un don toujours passager, et qui ne dure qu'autant qu'il se renouvelle ; comme un demi-être qui n'est que prêté; comme un je ne sais quoi sans connaissance, qui échappe dès qu'on le veut trouver; comme un être fluide et successif qui ne subsiste jamais tout entier ; dont les parties, pour ainsi dire, ne sont jamais ensemble, non plus que les flots d'une rivière, dont les uns ne sont plus devant moi quand les autres y arrivent. Je ne sais comment pouvoir m'assurer que le moi d'hier est le même que celui d'aujourd'hui. Ils ne sont pas nécessairement liés ensemble: l'un peut être sans l'autre. Peut-être que le moi de demain ne suivra jamais celui d'aujourd'hui: comme mon corps d'hier avait d'autres parties et d'autres dispositions ou arrangements que celui d'aujourd'hui; de même le moi qui pense et qui veut a aujourd'hui d'autres pensées et d'autres volontés que celui d'hier. O Dieu! que suis-je? je n'en sais rien, tant je suis peu de chose. Mais je pense et je veux, et c'est là tout ce que je puis donner à celui qui m'a fait. Il faut que je rapporte uniquement à lui seul tout ce que je suis; car je dois lui rendre tout ce qu'il m'a donné. Il n'a mis en moi rien pour moi: il n'a mis rien en moi que pour lui seul. Tels sont ses droits essentiels, dont il ne peut jamais rien relâcher. Ce qu'il a mis en moi, c'est ia pensée et la volonté. Je lui dois donc tout ce que j'ai de pensée et de volonté. En chaque moment il me donne tout, en chaque moment je lui dois tout sans réserve. Il me donne moi-même à moi-même : je me dois donc à lui; je suis à lui, et non pas à moi. Mon rapport suit mon être; mon être est la

pensée et la volonté; mon rapport est un rapport de pensée et de volonté. Le rapport de pensée est de connaître Dieu, vérité suprême. Le rapport de volonté est d'aimer Dieu, bonté infinie: mais qu'est-ce que l'aimer? c'est vouloir sa volonté. Il n'a besoin ni de moi ni des choses viles que je possède. Dans le temps que je crois les posséder, il les possède seul, et je ne puis les lui donner. Il n'a que faire de mes souhaits pour sa grandeur, car elle est au comble; et il ne peut rien recevoir dans sa plénitude, qui est l'infini. Que puis-je done? ce qu'il me donne de pouvoir. Je puis vouloir tout ce qu'il veut, et préférer sa volonté à tout ce qui s'appelle mes intérêts. Voilà mon rapport essentiel conforme à mon être; voilà la fin de ma création, voilà l'amour de Dieu; voilà le culte en esprit et en vérité qu'il exige de ses créatures; voilà ce que l'on nomme religion. L'encens le plus exquis, les cérémonies les plus majestueuses, les temples les plus augustes, les assemblées les plus solennelles, les hymnes les plus sublimes, la mélodie la plus touchante, les ornements les plus précieux, l'extérieur le plus grave et le plus modeste des ministres de l'autel, ne sont que des signes extérieurs et corporels de ce culte tout intérieur qui est la conformité de notre volonté à celle de Dieu. Voilà tout l'homme; ce n'est qu'un être entièrement relatif à Dieu, il n'est rien que par là; il n'est plus rien dès le moment qu'il déchoit de cet ordre essentiel.

Il est vrai que ce qu'on nomme religion demande des signes extérieurs qui accompagnent le culte intérieur. En voici les raisons. Dieu a fait les hommes pour vivre en société. Il ne faut pas que leur société altère leur culte intérieur; au contraire, il faut que leur société soit une communication réciproque de leur culte; il faut que leur société soit un culte continuel: il faut donc que ce culte ait des signes sensibles qui soient le principal lien de la société humaine. Voilà donc un culte extérieur qui est essentiel, et qui doit réunir les hommes. Dieu a sans doute voulu qu'ils s'aimassent, qu'ils vécussent tous ensemble comme frères dans une même famille, et comme enfants d'un même père.

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