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boulangers: 20 s'il est impossible d'arriver à un résultat avec les tarifs de douane actuels, ceux-ci soient modifiés de façon à empêcher une majoration justifiée du prix du blé français; 3o au besoin des intéressés s'unissent pour réfréner les manœuvres spéculatrices, ayant pour conséquence de fausser les cours: en dernière analyse, si la nécessité du maintien des droits de douane était reconnue, on institue un système de ristourne proportionnel à la production pour les boulangers qui, dans l'intérêt de la paix publique, sont obligés de vendre le kilogramme de pain à un prix inférieur à celui du kilogramme de farine.

M. Mience, le président du Syndicat général de la boulangerie a fait observer que, sous le bon temps de la caisse de la boulangerie, le remboursement ne commençait que lorsque le prix du pain dépassait 0 fr. 50 le kilogramme.

Cependant, ici,on parle des tarifs de douane; l'Union des syndicats de Toulouse a demandé l'entrée en franchise des viandes coloniales et étrangères. Le 16 septembre, à Brest, une délégation d'une ligue économique de défense a demandé la suppression des droits de douane sur les blés, l'importation en franchise du bétail et des viandes.

Sans doute, il y a eu quelques autres manifestations de ce genre, et on trouvera plus loin la mention de la démarche des représentants des syndicats de l'alimentation de Paris auprès des ministres du Commerce et de l'Agriculture : mais presque partout, nous trouvons des gens qui veulent supprimer les effets, tout en gardant précieusement la cause: et tel est le cas du Gouvernement.

Tel est le cas aussi du parti radical et radical-socialiste qui, dans son Congrès de Nîmes, a voté, le 6 octobre, l'ordre du jour suivant :

Le Congrès radical et radical-socialiste de Nîmes, préoccupé du renchérissement des prix des vivres, qui, moins sensible peutêtre en France que dans les autres pays, affecte cependant d'une façon si grave les classes populaires, désireux d'apporter sa collaboration honnête et résolue à la solution de ce grave problème, sans s'associer aux menées démagogiques qui semblent se proposer d'exploiter la misère populaire plutôt que de la soulager, invite le gouvernement, le Parlement, les autorités départementales et municipales, à rechercher denrée par denrée, les mesures administratives propres à amener un abaissement de prix, à lutter contre les accaparements que la loi républicaine et le programme

de notre parti ont toujours condamnés, sans blesser les intérêts du petit commerce, composé lui-même d'humbles et modestes travailleurs. Il signale en particulier les mesures proposées à la commission.

Les accapareurs toujours! Pas un mot des droits de douane au milieu de cette phraséologie touffue. M. Herriot, maire de Lyon, a proposé de n'ouvrir les marchés aux étrangers qu'‹ à l'heure où l'approvisionnement local et l'approvisionnement national ont pu être assurés ». Il a dénoncé les achats faits. par l'Allemagne et par l'Italie et le Congrès a approuvé! Ce professeur de littérature en est encore au siècle de Louis XIV et ses collègues qui se prétendent avancés l'y ont suivi!

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Il y a deux sortes de causes à la cherté des objets d'alimentation 10 des causes naturelles qui justifient ce que dit Galiani de l'agriculteur quand il le représente comme un joueur engagé contre les hasards des saisons; 2o des causes politiques, provenant de l'intervention de la législation et du Gouvernement dans les rapports économiques des producteurs et des consommateurs, des salariants et des salariés.

Parmi ces causes se trouvent les lois sur la réglementation du travail, sur le repos hebdomadaire, sur l'hygiène des ateliers, tout l'ensemble de ce qu'on appelle la législation sociale, l'éloignement des capitaux pour certaines industries rendues aléatoires par les agitations et les menaces de grèves et de sabotages; mais les dominant toutes, la principale cause politique de la cherté, c'est le protectionnisme.

Sous la Restauration, les grands propriétaires avaient le pouvoir: ils établirent des droits de douanes élevés sur les blés et l'échelle mobile. Comme propriétaires de forêts, ils produisaient du fer au bois et ils étaient industriels. Il est vrai qu'ils frappaient l'introduction du coton en masse et de la laine en masse de droits élevés et qu'ils en demandaient même la prohibition pour réserver au lin, au chanvre et à la laine du pays le monopole de la fabrication des tissus. De là des antagonismes entre propriétaires et industriels; mais sous le gouvernement de Louis-Philippe, les 220 000 électeurs censitaires se coalisèrent pour maintenir OCTOBRE 1911

TOME XXXII.

2.

des prohibitions et des tarifs de douane élevés à la fois sur les produits agricoles et les produits industriels.

Napoléon III comprit qu'il devait mettre la politique économique de la France d'accord avec le suffrage universel. Il fit les traités de commerce de 1860, qui supprimèrent les prohibitions existantes et, sauf pour les fers, réduisirent en moyenne les tarifs à 15 p. 100 de la valeur vénale. Il avait supprimé en fait l'échelle mobile. Il la remplaça définitivement, en 1861, par un droit de 0 fr. 60 par quintal de blé. En 1885, le droit fut relevé à 3 francs; en 1887, à 5 francs; en 1894, à 7 francs.

Sous le régime de 1860, le bœuf payait 3 francs par tête: le veau, le mouton, le porc, 0 fr. 25. En 1881, le droit est relevé à 15 francs par tête sur les boeufs; à 8 francs par tête sur les vaches; à 1 fr. 50 sur les veaux, à 2 francs sur les moutons, à 3 francs sur les porcs.

En 1885, les droits sur les porcs furent portés à 6 francs; en 1887, les droits furent portés à 38 francs par tête de bœuf et à 5 francs par tête de mouton.

Le droit par tête poussait à l'introduction d'animaux engraissés, pesant le maximum. En 1892, on décida de remplacer le droit par tête par un droit au poids vif pour tous les animaux de boucherie. Mais on en profita pour le majorer. En prenant comme poids moyen du boeuf le chiffre de 450 kilogrammes et en transformant le droit par tête en droit au quintal, on trouva comme équivalent au droit de 38 francs par tête un droit de 8 francs par 100 kilogrammes. On l'augmenta de 25 p. 100 en le portant à 10 francs. Le même tarif fut applicable aux vaches qui, jusqu'alors, avaient été soumises à un tarif plus faible.

On se livra à la même opération pour les moutons. En prenant une moyenne de 40 kilogrammes par mouton, la parité du droit de 5 francs indiquait une taxe de 12 fr. 50 par quintal au poids vif. Le droit voté fut de 15 fr. 50 correspondant à un droit de 6 fr. 20 par tête 1.

On éleva le droit sur le porc à 8 francs; puis la loi du 5 avril 1898 porta le droit à 12 francs les 100 kilogrammes de poids.

Mais cela ne suffisait pas. Dès le lendemain du vote de

I. V. M. Dijol. Situation économique de la France sous le régime protectionniste de 1892. (Librairie du Recueil Sirey.)

la loi, on prohibait l'introduction du bétail étranger sous prétexte d'hygiène.

Des imprudents fondèrent, quelques années après, une entreprise d'introduction de boeufs du Canada à Saint-Malo. L'affaire était très profitable aux propriétaires de prairies de la région. Les bœufs pouvaient y être préparés pour la boucherie. Il n'y eut qu'un ou deux voyages. Les protectionnistes firent prohiber ces bœufs par mesure hygiénique.

Mais en 1903, les relations politiques étant devenues bonnes entre la France et l'Italie, M. Debussy saisit aussitôt la Chambre des députés d'une proposition de relèvement des droits, en disant avec une franchise cynique: « Maintenant nous serons gênés pour nous servir des prétextes hygiéniques à l'aide desquels nous frappions de prohibition les bœufs italiens. Ils vont nous envahir. Donc il faut relever le droit. Et il obtint la loi du 31 juillet 1903, qui porta les droits sur les bœufs et sur les vaches à 30 francs par quintal au tarif général et à 20 francs au tarif minimum; sur les veaux et les moutons, à 40 francs au tarif général et à 25 francs au tarif minimum; sur les porcs, à 25 francs et à 15 francs.

De 1863 au 3 novembre 1881, l'importation de la viande fraîche était libre; elle est frappée alors d'un droit de 3 francs les 100 kilogrammes. La loi du 11 janvier 1892 porta les droits sur 100 kilogrammes de poids net à 25 francs pour le bœuf, 32 francs pour le mouton, 12 francs pour le porc et le lard; la loi du 5 avril 1898 l'éleva à 18 francs pour le porc; la loi du 31 juillet 1903 à 50 francs au tarif général et à 35 francs au tarif minimum pour le bœuf, le veau et le mouton; à 40 francs et à 25 francs pour le porc.

Pour la viande salée de boeuf et « autres », la loi de 1892 établit un droit de 30 francs au tarif général et de 27 francs au tarif minimum: sur la viande de porc, jambon et lard, le droit moyen était de 25 francs.

La loi de 1903 porta le droit sur les viandes salées de porc, jambon, lard, à 50 francs au tarif général et à 30 francs au tarif minimum; sur les viandes salées de boeuf et « autres », à 50 francs et 30 francs.

La revision de 1910 a étendu aux viandes « conservées par un procédé frigorifique » les droits sur la viande fraîche. Les droits sur la viande salée de bœuf et « autres de porc,

lard el jambon ont été unifiés et portés à 50 francs au tarif général et à 35 francs au tarif minimum 1.

Cette histoire des tarifs peut se résumer de la manière suivante: politique protectionniste en faveur des grands propriétaires, alliés aux grands industriels sous la Restauration et le gouvernement de Louis-Philippe; politique de libéralisme économique de Napoléon III, mise en harmonie avec le régime du suffrage universel et maintenue jusqu'en 1881; depuis cette date, retour à la politique économique oligarchique par des majorités républicaines sous la direction de MM. Jules Ferry et Méline. J'ai montré ailleurs les conséquences ironiques de ce contresens 2.

De 1881 à 1910, l'augmentation des droits a été constante. L'appétit des protectionnistes est insatiable aux dépens de l'alimentation de leurs compatriotes.

Tous ces droits ont eu pour but de relever les prix : est-ce que, par hasard, ils les auraient fait baisser?

M. Méline a dit un jour: « Depuis 1892, nous constatons une baisse de prix de toutes nos denrées de consommation. Ce résultat merveilleux obtenu par le jeu de nos tarifs de douane n'est pas sans déconcerter l'école libre-échangiste »; mais presque immédiatement, il reconnaissait qu'« elle n'a pas embarrassé ses représentants ».

Non, elle ne les a pas embarrassés; ils ont répondu: Si les tarifs de douanes ont obtenu le résultat d'abaissement des prix de toutes les denrées de consommation, ils ont atteint un résultat complètement opposé à celui que poursuivaient M. Méline et ses collaborateurs; et alors ce serait la faillite de leur politique, puisqu'elle n'a eu pour but que de faire la cherté.

Une bonne récolte peut abaisser le prix du blé après une augmentation des tarifs de douane; mais cette diminution ne vient pas du tarif de douane; elle en surprend tellement les auteurs qu'ils cherchent des dérivatifs pour relever les prix. En 1894, nous avons entendu les agrariens crier: Si le blé n'est pas plus cher, en dépit des tarifs de douane, c'est la faute de la contraction monétaire. Nous allons faire des assignats d'argent qui en relèveront le prix.

1. V. Les Nouveaux Tarifs de douane, codifiés par Eugène Pierre (3o édit.). Un vol. in-8. (Librairies-Imprimeries réunies.)

2. V. Yves Guyot. La comédie protectionniste. Un vol. in-18. (Fasquelle, édit.)

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