Imágenes de páginas
PDF
EPUB

j'en retranche ce que je veux. Rien d'obligatoire, rien de commun que la liberté de tout admettre et de tout nier, sans exception, ni limites. Oui, certes, on a complètement changé le principe fondamental de la société. Et qu'est-il résulté de ce changement? L'anarchie des esprits: elle est aujour d'hui notre premier désir, notre premier bien, notre vie. Ainsi la société humaine, composée d'êtres intelligents, reposera sur l'anarchie des intelligences: la division la plus absolue sera le principe d'union, et le chaos le fondement de l'ordre. Voilà ce qu'on établit systématiquement; et l'on ne sauroit trop louer ceux qui parlent avec cette franchise, qui exposent de bonne foi leurs doctrines tout entières, n'en dissimulent aucunes conséquences. Il y a dans cette sincérité, de l'honneur et même de la force, et nous ne connoissons pas de plus sûr moyen de hâter le progrès de la discussion, et le triomphe de la vérité.

Quelques personnes s'étonneront peut-être des maximes étranges qu'on vient de lire, et se persuaderont difficilement qu'elles puissent

former une opinion générale et influente. Il est vrai cependant qu'elles expriment très exactement la pensée implicite de toute cette partie de la population qui a cessé d'être chrétienne, et qui n'a pu cesser de l'être, sans tomber nécessairement, de droit et de fait, dans l'anarchie que l'on représente comme le premier besoin du siècle. A peu d'exceptions près, elle est partout constatée, consacrée par les lois ; et même elle n'est devenue de nos jours une théorie, qu'après avoir été long-temps la doctrine pratique des gouverne

ments.

Enfin toute société spirituelle, c'est-à-dire, toute croyance commune, toute notion de devoir, tout lien moral et intellectuel étant détruit, il s'agit de savoir comment l'on concevra la souveraineté, et sur quelle base on établira la société politique.

I

Le christianisme, en enseignant que le pouvoir est de Dieu et qu'il a pour règle la Loi divine, explique le droit de commander, le devoir d'obéir, et place entre l'un

' Rom., XIII, 1.

et l'autre et au-dessus de tous deux la justice inflexible. Cette doctrine est claire, et le monde l'a conçue. Pendant une longue suite de siècles, il n'en a point connu d'autre. oyons quelle est celle qu'on y substitue.

<< Comme il s'est fait des dieux, l'homme << s'est fait des maîtres. Il a essayé de placer << la souveraineté sur la terre aussi bien que « la Divinité. Il a voulu que sur lui régnât << un pouvoir qui eût à son obéissance un << droit immuable et certain. Il n'a pas mieux « réussi à fixer, sans limite et sans retour, << son obéissance que sa foi. Il a investi de << cette souveraineté originelle et complète, << tantôt un homme, tantôt plusieurs ; ici une << famille, là une caste, ailleurs le peuple << entier. A peine leur étoit-elle attribuée

qu'il s'est vu contraint de la leur contester, « de la leur retirer. Il vouloit un maître << constamment et parfaitement légitime: nul<< le part et en aucun temps il n'a pu le ren<< contrer. Cependant il n'a pas cessé de le << chercher ou de croire qu'enfin il l'avoit « trouvé.

«

« C'est l'histoire des sociétés humaines.....

« En matière de gouvernement, on a vu le << droit divin des rois s'élever sur les ruines « du droit de conquête, la souveraineté du

peuple sur les ruines du droit divin des « rois..... Le souverain, seul légitime éter<< nellement et par sa nature, c'est la raison, << la vérité, la justice; ou pour parler un << langage plus philosophique, c'est l'être im<< muable de qui la raison, la justice et la << vérité sont les lois.....

« Quand on a voulu fonder la souveraineté << des rois, on a dit que les rois sont l'image << de Dieu sur la terre; quand on a voulu << fonder la souveraineté du peuple, on a dit que la voix du peuple est la voix de Dieu: << donc Dieu seul est souverain.

<< Dieu est souverain, parce qu'il est infail« lible, parce que sa volonté, comme sa pen«<sée, est la vérité, rien que la vérité, toute << la vérité.

<< Voici donc l'alternative où sont placés <<< tous les souverains de la terre, quels que << soient leur forme et leur nom. Il faut qu'ils << se disent infaillibles, ou qu'ils cessent de << se prétendre souverains.

[ocr errors]

<< Autrement ils seroient contraints de dire << que la souveraineté, j'entends la souve« raineté de droit, peut appartenir à l'erreur, « au mal, à une volonté qui ignore ou re<< pousse la justice, la vérité, la raison. « C'est ce que nul n'a encore osé.

<<< Comment donc ont-ils osé se prétendre << souverains ?.....

<< On a vu les gouvernements, une fois en << possession de la souveraineté de droit, in<<< terdire aux hommes tout examen, tout << contrôle de leur conduite; et soutenir que << ce pouvoir définitif, indispensable aux so<< ciétés humaines, résidoit dans leur volonté << seule, sans que nul eût le droit d'en con<< tester le mérite, ou d'en discuter les motifs. « Qu'est-ce qu'une telle prétention sinon « celle de l'infaillibilité ?

« Les philosophes ont procédé comme les << gouvernements. A peine avoient-ils déposé quelque part la souveraineté de droit, qu'en<< traînés par une irrésistible pente, ils lui ont << accordé l'infaillibilité, seule capable de << la légitimer. Le Souverain, dit Rousseau, « par cela seul qu'il est, est toujours tout

« AnteriorContinuar »