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ÉPITRE

A VOLTAIRE.

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IMMORTEL

MMORTEL écrivain, dont les brillans ouvrages
Enchantent les héros, les belles et les sages;
Qui sais par le plaisir captiver ton lecteur;
Effroi du sot crédule et du lâche imposteur,

Mais du bon sens, du goût, aimable et sûr arbitre;
Voltaire, en t'adressant ma véridique Épître,

J'aurai soin, pour raison, de ne pas l'envoyer
Devers le Paradis dont Céphas1 est portier;

Lieu saint, mais ennuyeux, où les neuf chœurs des anges,
Au maître du logis entonnant ses louanges,

De prologues sans fin lassent la Trinité,

Et chantent l'opéra durant l'éternité.
Rien n'est plus musical; mais l'Élysée antique,
Malgré Châteaubriand, paraît plus poétique:

1. Céphas est un des surnoms de Saint-Pierre, ainsi qu'il est dit dans l'évangile de saint Jean, chap. I, vers. 42: « Et adduxit « eum ad Jesum. Intuitus autem eum Jesus, dixit: Tu es Simon filius Jona: tu vocaberis Cephas, quod interpretatur Petrus. »

On s'y promène en paix sans flagorner les dieux;

On

y chante un peu moins, mais on y parle mieux; Et c'est là que, du Tems bravant la course agile, Entre Sophocle, Horace, Arioste et Virgile, Tu jouis avec eux des honneurs consacrés Aux talens bienfaiteurs qui nous ont éclairés.

D'un âge éblouissant tu vis la décadence.

Il expirait sans gloire aux jours de ton enfance;
Et Louis n'était plus cet heureux potentat
Qui de l'éclat des Arts empruntait son éclat,
Quand Pascal et Boileau, par une habile étude,
Polissaient le langage, encor timide et rude;
Quand Molière, à grands traits flétrissant l'imposteur,
Créait la comédie, et marquait sa hauteur;
Quand, égal à Sophocle et vainqueur de Corneille,
Racine d'Athalie enfantait la merveille.

Tout avait disparu. L'écho de Port-Royal

Dès long-tems, mais en vain, redemandait Pascal;
Corneille dans la tombe avait suivi Molière;
Racine en courtisan terminait sa carrière;

Et Boileau, sans succès faisant des vers chrétiens,
Reste des grands talens, survivait même aux siens.
Heureux sous Luxembourg, sous Condé, sous Turenne,
Leurs soldats orphelins fuyaient devant Eugène;
Au héros de Marsaille, éloigné par son Roi,
On voyait dans les camps succéder Villeroi,
Favori de Louis plus que de la victoire,

Et grand à l'œil-de-bœuf, mais petit dans l'histoire.
Il est vrai toutefois que, le sabre à la main,
On savait convertir les enfans de Calvin;

Mais des tribus en pleurs qui fuyaient leur patrie
Vingt peuples accueillaient l'hérétique industrie.
Chaque jour la Sorbonne admirait sur ses bancs
D'Ignace et d'Escobar les doctes partisans;
Il faut bien l'avouer: mais la triple alliance
D'un règne ambitieux punissait l'insolence;
Et dans Versailles même, au nom du peuple anglais,
Bolingbrocke à Louis venait dicter la paix.

Un tems moins sérieux vit briller ta jeunesse.
S'amusant à Paris de la commune ivresse,
Plutus ôtait, rendaít, retirait tour à tour,
Ses dons capricieux et sa faveur d'un jour.
Le laquais enrichi, prompt à se méconnaître,
Se carrait dans l'hôtel qu'abandonnait son maître,
Et, de ce même hôtel le lendemain chassé,
Par son laquais d'hier s'y trouvait remplacé.
En soutane écarlate on voyait le scandale
Souiller de Fénélon la mitre épiscopale:
Plus de frein: le plaisir fut le cri de la cour;
De quelque Jansénisme on accusait l'amour 1;

1. L'amour dont parle ici Chénier est le pur et véritable amour mis en opposition avec le libertinage effréné qui régnait à la cour de Philippe. Quant au mot Jansenisme, il est employé ici comme

Et Philippe, entouré de cent beautés piquantes, Semblait le dieu du Gange au milieu des Bacchantes.

Mais, couverts si long-temps du manteau de Louis,
Du moins, après sa mort, les bigots moins hardis
Avaient perdu le droit d'opprimer tout mérite:
A la ville on bernait leur emphase hypocrite;
A la cour de Philippe ils n'avaient point d'accès.
Déja, vers le déclin du vieux sultan français,
Bayle, savant modeste, et raisonneur caustique,
Tenait loin de Paris sa balance sceptique.

A

pas lents quelquefois s'avançait à propos Le normand Fontenelle, amoureux du repos,

Bel esprit un peu fade, et sage un peu timide.
Montesquieu, plus profond, plus fin, plus intrépide,
Amenant parmi nous deux voyageurs persans,
Essaya sous leur nom de venger le bon sens :
D'Usbec et de Rica les mordantes saillies,
Par la raison publique en naissant accueillies,
Couvraient les préjugés d'un ridicule heureux;
Et le Français malin s'aguerrissait contre eux.

synonyme de vertu austère. C'est dans ce même sens que longtemps auparavant Boileau disait à M. de Valincourt, dans sa satire XI, en parlant du règne du bon Saturne :

La vertu n'était pas sujette à l'ostracisme,

Ni ne s'appelait point alors un Jansénisme.

Ninon caractérisait les prudes en les appelant les Jansénistes de l'amour. (Note de l'éditeur.)

Tu parus. A ta voix, maint dévot sycophante
Tressaillit de colère, et surtout d'épouvante,
Soit lorsqu'en vers brillans, par Sophocle inspirés,
Tu déclarais la guerre aux charlatans sacrés;
Soit quand tu célébrais sur la trompette épique
Ce Bourbon, roi loyal, mais douteux catholique.
Hélas! bien jeune encor tu connus les revers;
Et ta muse héroïque a chanté dans les fers!
Sortant du noir château qu'habitait l'esclavage,
Tu courus d'Albion visiter le rivage;

Et, par elle éclairé, tu revins sur nos bords
De sa philosophie apporter les trésors.

Cirey te vit long-tems, sous les

yeux d'Émilie, Te faire un avenir, et préparer ta vie;

De Locke et de Newton sonder les profondeurs;
Soumettre la morale à tes vers enchanteurs;

Ou, prenant tout à coup l'Arioste pour maître,
L'imiter, l'égaler, le surpasser peut-être.
Cet aimable mondain qui vantait les plaisirs
A l'austère Clio dévouait ses loisirs;
Aux mœurs des nations désormais consacrée,
L'histoire n'était plus la gazette parée;
Et de la Vérité le rigoureux flambeau

Des oppresseurs du monde éclairait le tombeau;
Ce n'était point assez d'un ton plus énergique
Ta raison, s'élevant sur la scène tragique,
Du genre humain trompé retraçait les malheurs;
Et l'auditoire ému s'instruisait par des pleurs.

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