Imágenes de páginas
PDF
EPUB

usages. Catulle, dans une autre épigramme, la XXXIX, revient sur ce chapitre; il reproche à ce même Égnatius de toujours rire, quod candidos habet dentes, même dans les circonstances les plus tristes; hunc habet morbum, neque elegantem, ut arbitror, neque urbanum. C'est sa manie qui n'est, à mon sens, ni agréable ni honnête. Le poète dit à ce rieur éternel qu'il a grand tort, Nam risu inepto res ineptior nulla est.

Et il ajoute que, quand bien même il serait né à Rome, à Tibur ou en Étrurie, ou en tout autre lieu dont les habitants se lavent la bouche à l'eau pure,

Si urbanum esses, aut Sabinus, aut Tiburs,

Aut parcus Umber, aut obesus Etruscus,
Aut Lanuvinus ater atque dentatus,

Aut Transpadanus, ut meos quoque attingam,

Aut quilibet, qui puriter lavit dentes,

[ocr errors]

:

il n'en serait pas moins stupide de rire ainsi perpétuellement et sans motif. Remarquons ces détails sur les peuples de Rome et de ses environs l'Ombrien économe, l'obèse Étrusque, le Lanuvien brun et bien endenté, le Transpadin son compatriote (Catulle est né à Vérone). Mais l'individu en question est Celtibérien, de ce pays où l'on fait usage de ce dégoûtant gargarisme :

Nunc Celtiber es: Celtiberia in terra

Quod quisque minxit, hoc solet sibi mane
Dentem, atque russam defricare gengivam;
Ut quo iste vester expolitior dens est,
Hoc te amplius bibisset prædicet loti.

[ocr errors]

On voit que le poète n'oublie aucun détail : les dents et les gencives subissent chaque matin cette lotion immonde, et plus les unes sont blanches et les autres rouges, plus cela indique l'efficacité de ce remède particulier. Si l'on demandait à la médecine populaire de notre temps quelles ressources elle trouve dans l'emploi de ce liquide, elle nous répondrait que les engelures des enfants se guérissent par des lotions de ce genre, que certaines affections du cuir chevelu sont traitées par les nourrices à l'aide de compresses imbibées de l'urine du malade : que sa puissance résolutive, dissolvante se manifeste à l'égard de quelques tumeurs rebelles, etc. Mais, pardon de ces détails de garde-robe si peu en harmonie avec le caractère connu du poète; tâchons de le réhabiliter dans l'esprit de ceux qui se le figurent couronné de roses, enivré de parfums et d'amour.

Catulle, comme ses contemporains, ne connaissait pas ce sentiment si pur, dégagé des atteintes matérielles, et dont le siége est l'ame intelligente; il ignorait encore plus la pudeur, cette vertu qui est l'indice de la moralité de nos actes, et cependant, je trouve au milieu d'une épigramme (no xvi) qu'il est impossible de citer, quelques vers qui prouvent que Catulle comprenait jusqu'à un certain point ces délicatesses dont il sait si bien s'abstenir :

Nam castum esse decet pium poetam

Ipsum: versiculos nihil necesse est.

Singulière distinction! Le poète doit vivre chastement, il n'est pas nécessaire que ses vers soient chastes; et la raison qu'il en

donne c'est que, quand ils sont piquants et enjoués,

Qui tum denique habent salem ac leporem,

Si sunt molliculi ac parum pudici,

Et quod pruriat, incitare possunt,
Non dico pueris, sed his pilosis,

Qui duros nequeunt movere lumbos.

Remarquez le mot salem, qui rappelle les observations précédentes sur cette expression. On en trouve un exemple charmant dans le Carmen XCVII, où Catulle, comparant Quintia à sa Lesbie, dit que la première n'a pas mica salis, ce grain de sel, ce je ne sais quoi :

Nulla in tam magno est corpore mica salis.

Ces choses, qui paraissent si peu importantes, sont le désespoir des traducteurs; mais poursuivons. Catulle dit: Mes vers sont piquants et enjoués, ils excitent le désir, non chez les enfants, mais chez ces vieillards velus qui ont les reins engourdis. C'est un aveu précieux; la poésie se constituait à l'état de remède aphrodisiaque, et je ne connais aucun autre passage qui exprime aussi ingénument une vérité moins honorable. Au surplus, on trouve dans d'autres ouvrages cette prétention de vivre honorablement, tout en écrivant des ouvrages licencieux. Ovide a dit dans ses Tristes:

Crede mihi, mores distant a carmine nostri :

Vita verecunda est, Musa jocosa mihi.

Et Martial, ne l'entendrons-nous pas se rendre pareille justice en écrivant ce vers Mes pages sont lascives, j'en conviens, mais ma vie est honnête,

Lasciva est nobis pagina, vita proba est.

En vérité, je trouve assez difficile de faire concorder ces choses qui s'excluent; mais la logique n'est pas inflexible, ni le bon sens non plus.

Nous avons indiqué, à plusieurs reprises, dans les chapitres précédents, ces punitions infligées aux libertins, ces émasculations vengeresses de l'adultère; Catulle, bien que garçon, et cependant jaloux d'un objet dont il fait ses délices, menace un rival d'une punition cruelle dont on pourrait justement lui contester le droit. Il dit à Aurélius, dont il craint les poursuites:

Quod si te mala mens, furorque vecors
In tantam impulerit, sceleste, culpam,
Ut nostrum insidiis caput lacessas ;
Ah! tum te miserum, malique fati,
Quem attractis pedibus, patente porta,
Percurrent raphanique, mugilesque.

Si tes mauvais penchants, ta fureur lubrique allaient, scélérat, jusqu'à menacer la tête de ton ami, alors, malheur à toi! Puissestu, les pieds liés..... être exposé au supplice que le raifort et les mulets font souffrir aux adultères ! - L'introduction de vive force, dans le rectum, d'une racine de raifort ou d'un mugil (poisson aux rudes écailles), était une de ces grossières plaisanteries que l'on se permettait à l'égard des esclaves ou des gens de condition inférieure. Le pal des Turcs est le superlatif du genre.

Je l'ai déjà dit et je le répète, Catulle, si charmant dans ses tendresses, est impitoyable dans ses haines; il pousse l'invective jusqu'à ses limites extrêmes, il demande à son latin si pur, si élégant, des violences effroyables et qui prouvent combien cette langue avait de souplesse et d'éclat. Je ne puis citer en entier une épigramme (n° XCVII) dirigée contre Émilius, dans laquelle le poète nous dit tranquillement :

Non, ita me Dii ament, quidquam referre putavi,
Utrum ne os an culum olfacerem Æmilio.

Il ne saurait dire lequel des deux il aimerait le mieux sentir, et cependant il ajoute, culus mundior et melior, nam sine dentibus est et les dents qui lui restent, sesquipedales, sont enchâssées dans des gencives en forme veteris ploxemi, de vieux bahut. Mais la bouche lui fournit une comparaison des plus singulières :

Præterea rictum, qualem diffissus in æstu

Meientis mulæ cunnus habere solet.

La vulve épanouie d'une mule qui urine pendant les chaleurs de l'été, ressemble à cette bouche fendue jusqu'aux oreilles. — Catulle en veut aux grandes bouches, et celle de Vectius (11o xcvii), dont la langue est bonne à tous les vils usages, lingere culos et crepidas carbatinas, à lécher des semelles de cuir vert, n'a qu'à s'ouvrir pour empoisonner tous les assistants:

Si nos omnino vis omnes perdere, Vesti,

Hiscas: omnino, quod cupis, efficies.

Le tour des yeux arrive souvent dans ces épigrammes sanglantes, celui des nez aussi, et, par exemple, Catulle, en parlant d'une femme trop exigeante, se moque de son nez, ista turpiculo puella naso, et il la suppose malade. Il s'écrie :

Propinqui, quibus est puellæ cura,

Amicos medicosque convocate,
Non est sana puella.

Elle est folle; hâtez-vous d'appeler les médecins et les amis, vous ses parents, que ce soin regarde! Et toujours les gens de l'art convoqués en ces circonstances, toujours la médecine intervenant dans ces questions délicates, même à une époque où la science commençait à peine à prendre une position officielle dans une société si fort en retard sous certains rapports.

Notre poète aimait la vie des champs, il adresse une pièce charmante, ad fundum, à sa campagne, située aux environs de Rome, Sabine ou Tiburtaine, on ne sait trop lequel des deux, mais qu'importe !

Sed seu Sabine, sive verius Tiburs

Fui libenter in tua suburbana

Villa, malamque pectore expuli tussim.

Il s'est débarrassé dans ce séjour si calme, d'une mauvaise toux qui lui brisait la poitrine, et il avoue que cette maladie est le résultat de son intempérance :

Non immerenti quam mihi meus venter,

Dum sumptuosas appeto, dedit, cœnas.

Cette cause ne nous paraît pas d'une efficacité bien certaine, mais en voici une autre non moins douteuse et plus plaisante, trait de

satire qu'on rencontre fréquemment dans l'œuvre poétique de Catulle :

Nam, Sextianus dum volo esse conviva,
Orationem in Antium petitorem

Plenam veneni et pestilentiæ legit.

Sextianus, abusant de son convive, m'a lu son plaidoyer contre Antius, lecture pleine de venin et pestilentielle. L'infortuné! que lui est-il donc arrivé pour prix de cette patience exemplaire?

Hic me gravedo frigida et frequens tussis

Quassavit, usquedum in tuum sinum fugi,
Et me recuravi otioque et urtica.

Le frisson, la fièvre, la toux, une courbature affreuse, voilà mon lot, et je n'ai pu m'en débarrasser qu'en me réfugiant ici, où le repos et l'ortie m'ont guéri tout-à-fait. Notons ce dernier remède la décoction de l'urtica urons employée comme béchique, n'a pas disparu de nos pharmacopées populaires, on l'a vantée contre l'hémoptysie; mais que n'a-t-on pas préconisé contre les affections incurables!

On rencontre dans Catulle bon nombre d'expressions singulières qui nous intéressent à certains égards, par exemple cette comparaison :

Ut mi ex ambrosio mutatum jam foret illud

Suaviolum tristi tristius helleboro.

Tu as changé pour moi en un poison plus amer que l'ellébore, la douce ambroisie de ce baiser. On a beaucoup critiqué, dans la Nouvelle Héloïse, les baisers âcres que Saint-Preux reprochait à Julie, mais à tort selon nous, car il y a là une affaire de goût et de gustibus non est disputandum.

Il y a dans l'œuvre de notre poète deux épigrammes, no xcix et n° C, et une pièce plus étendue, le n° LXVI, intitulé: de Coma Berenices, qui rappellent des faits prodigieux, quelque chose de monstrueux, et que nous laisserions volontiers de côté si la science n'avait pas à s'en occuper. Les unions entre gens de la même famille ont une importance considérable aux yeux du médecin hygiéniste. Nous avons démontré que ces mariages entre consanguins étaient une cause puissante de l'abâtardissement des races, de la destruction de l'espèce, et voici que Catulle nous fournit des exemples de ces unions contraires au vœu de la nature. Ptolémée

« AnteriorContinuar »