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cun de ses enfants ou petits-enfants qui fait une mauvaise action; mais, avant que de le punir, il prend les avis du reste de la famille. Ces punitions n'arrivent presque jamais; car l'innocence des mœurs, la bonne foi, l'obéissance, et l'horreur du vice, habitent dans cette heureuse terre. Il semble qu'As

enfants; elles font des tentes, dont les unes sont de peaux cirées et les autres d'écorces d'arbres; elles font et lavent tous les habits de la famille, et tiennent les maisons dans un ordre et une propreté admirables. Leurs habits sont aisés à faire; car, en ce doux climat, on ne porte qu'une pièce d'étoffe fine et légère, qui n'est point taillée, et que cha-trée, qu'on dit qui est retirée dans le ciel, est encun met à long plis autour de són corps pour la modestie, lui donnant la forme qu'il veut.

Les hommes n'ont d'autres arts à exercer, outre la culture des terres et la conduite des troupeaux, que l'art de mettre le bois et le fer en œuvre ; encore même ne se servent-ils guère du fer, excepté pour les instruments nécessaires au labourage. Tous les arts qui regardent l'architecture leur sont inutiles; car ils ne bâtissent jamais de maison. C'est, disent-ils, s'attacher trop à la terre, que de s'y faire une demeure qui dure beaucoup plus que nous; il suffit de se défendre des injures de l'air. Pour tous les autres arts estimés chez les Grecs, chez les Égyptiens, et chez tous les autres peuples bien policés, ils les détestent, comme des inventions de la vanité et de la mollesse.

Quand on leur parle des peuples qui ont l'art de faire des bâtiments superbes, des meubles d'or et d'argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l'harmonie charme, ils répondent en ces termes : Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent: il tente ceux qui en sont privés, de vouloir l'acquérir par l'injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous? vivent-ils plus long-temps ? sont-ils plus unis entre eux? mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l'ambition, par la crainte, par l'avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu'ils sont esclaves de tant de fausses né cessités dont ils font dépendre tout leur bonheur.

core ici-bas cachée parmi ces hommes. Il ne faut point de juges parmi eux, car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs : les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux, sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et si modérés n'ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante dans ce beau pays, transporte ses tentes d'un lieu en un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé les pâturages de l'endroit où elle s'étoit mise. Ainsi, ils n'ont point d'intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s'aiment tous d'une amour fraternelle que rien ne trouble. C'est le retranchement des vaines richesses et des plaisirs trompeurs, qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Ils sont tous libres et tous égaux. On ne voit parmi eux aucune distinction, que celle qui vient de l'expérience des sages vieillards, ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès, les guerres ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée, dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n'a rougi cette terre; à peine y voit-on couler celui des agneaux. Quand on parle à ces peuples des batailles sanglantes, des rapides conquêtes, des renversements d'états qu'on voit dans les autres nations, ils ne peuvent assez s'étonner. Quoi ! disent-ils, les hommes ne sont-ils pas assez mortels, sans se donner encore les uns aux autres une mort précipitée? La vie est si courte ! et il semble qu'elle leur paroisse trop longue! Sont-ils sur la terre pour se déchirer les uns les autres, et pour se rendre mutuellement malheureux ?

Au reste, ces peuples de la Bétique ne peuvent comprendre qu'on admire tant les conquérants qui subjuguent les grands empires. Quelle folie, C'est ainsi, continuoit Adoam, que parlent ces disent-ils, de mettre son bonheur à gouverner les hommes sages, qui n'ont appris la sagesse qu'en autres hommes, dont le gouvernement donne tant étudiant la simple nature. Ils ont horreur de notre de peine, si on veut les gouverner avec raison, et politesse, et il faut avouer que la leur est grande suivant la justice! Mais pourquoi prendre plaisir dans leur aimable simplicité. Ils vivent tous en- à les gouverner malgré eux ? C'est tout ce qu'un semble sans partager les terres; chaque famille homme sage peut faire, que de vouloir s'assujétir est gouvernée par son chef, qui en est le véritable à gouverner un peuple docile dont les dieux l'ont roi. Le père de famille est en droit de punir cha-chargé, ou un peuple qui le prie d'être comme son

père et son pasteur. Mais gouverner les peuples | hors la femme se renferme dans son ménage; contre leur volonté, c'est se rendre très misérable, elle soulage son mari; elle paroît n'être faite que pour avoir le faux honneur de les tenir dans l'es- pour lui plaire; elle gagne sa confiance, et le clavage. Un conquérant est un homme que les charme moins par sa beauté que par sa vertu. Ce dieux, irrités contre le genre humain, ont donné à vrai charme de leur société dure autant que leur la terre dans leur colère, pour ravager les royau- vie. La sobriété, la modération et les mœurs pures mes, pour répandre partout l'effroi, la misère, le de ce peuple lui donnent une vie longue et désespoir, et pour faire autant d'esclaves qu'il y a exempte de maladies. On y voit des vieillards de d'hommes libres. Un homme qui cherche la gloire cent et de six vingts ans, qui ont encore de la ne la trouve-t-il pas assez en conduisant avec sa- gaîté et de la vigueur. gesse ce que les dieux ont mis dans ses mains? Croit-il ne pouvoir mériter des louanges, qu'en devenant violent, injuste, hautain, usurpateur, et tyrannique sur tous ses voisins? Il ne faut jamais songer à la guerre, que pour défendre sa liberté. Heureux celui qui, n'étant point esclave d'autrui, n'a point la folle ambition de faire d'autrui son esclave ! Ces grands conquérants, qu'on nous dépeint avec tant de gloire, ressemblent à ces fleuves débordés qui paroissent majestueux, mais qui ravagent toutes les fertiles campagnes qu'ils devroient seulement arroser.

Il me reste, ajoutoit Télémaque, à savoir comment ils font pour éviter la guerre avec les autres peuples voisins. La nature, dit Adoam, les a séparés des autres peuples d'un côté par la mer, et de l'autre par de hautes montagnes du côté du nord. D'ailleurs, les peuples voisins les respectent à cause de leur vertu. Souvent les autres peuples, ne pouvant s'accorder entre eux, les ont pris pour juges de leurs différends, et leur ont confié les terres et les villes qu'ils disputoient entre eux. Comme cette sage nation n'a jamais fait aucune violence, personne ne se défie d'elle. Ils rient quand Après qu'Adoam eut fait cette peinture de la on leur parle des rois qui ne peuvent régler entre Bétique, Télémaque, charmé, lui fit diverses ques- eux les frontières de leurs états. Peut-on craindre, tions curieuses. Ces peuples, lui dit-il, boivent-ils disent-ils, que la terre manque aux hommes? il y du vin? Ils n'ont garde d'en boire, reprit Adoam, en aura toujours plus qu'ils n'en pourront cultiver. car ils n'ont jamais voulu en faire. Ce n'est pas Tandis qu'il restera des terres libres et incultes, qu'ils manquent de raisins; aucune terre n'en nous ne voudrions pas même défendre les nôtres porte de plus délicieux; mais ils se contentent de contre des voisins qui viendroient s'en saisir. On manger le raisin comme les autres fruits, et ils ne trouve, dans tous les habitants de la Bétique, craignent le vin comme le corrupteur des hommes. ni orgueil, ni hauteur, ni mauvaise foi, ni envie C'est une espèce de poison, disent-ils, qui met en d'étendre leur domination. Ainsi leurs voisins fureur; il ne fait pas mourir l'homme, mais il le n'ont jamais rien à craindre d'un tel peuple, et ils rend bête. Les hommes peuvent conserver leur santé ne peuvent espérer de s'en faire craindre; c'est et leur force sans vin; avec le vin, ils courent ris-pourquoi ils les laissent en repos. Ce peuple abanque de ruiner leur santé, et de perdre les bonnes

mœurs.

Télémaque disoit ensuite : Je voudrois bien savoir quelles lois règlent les mariages dans cette nation. Chaque homme, répondoit Adoam, ne peut avoir qu'une femme, et il faut qu'il la garde tant qu'elle vit. L'honneur des hommes, en ce pays, dépend autant de leur fidélité à l'égard de leurs femmes, que l'honneur des femmes dépend, chez les autres peuples, de leur fidélité pour leurs maris. Jamais peuple ne fut si honnête, ni si jaloux de la pureté. Les femmes y sont belles et agréables, mais simples, modestes et laborieuses. Les mariages y sont paisibles, féconds, sans tache. Le mari et la femme semblent n'être plus qu'une seule personne en deux corps différents. Le mari et la femme partagent ensemble tous les soins domestiques; le mari règle toutes les affaires du de

donneroit son pays, ou se livreroit à la mort, plutôt que d'accepter la servitude: ainsi il est autant difficile à subjuguer, qu'il est incapable de vouloir subjuguer les autres. C'est ce qui fait une paix profonde entre eux et leurs voisins.

Adoam finit ce discours en racontant de quelle manière les Phéniciens faisoient leur commerce dans la Bétique. Ces peuples, disoit-il, furent étonnés quand ils virent venir, au travers des ondes de la mer, des hommes étrangers qui venoient de si loin. Ils nous laissèrent fonder une ville dans l'île de Gadès; ils nous reçurent même chez eux avec bonté, et nous firent part de tout ce qu'ils avoient, sans vouloir de nous aucun paiement. De plus, ils nous offrirent de nous donner libéralement tout ce qu'il leur resteroit de leurs laines, après qu'ils en auroient fait leur provision pour leur usage et en effet, ils nous en envoyè

rent un riche présent. C'est un plaisir pour eux, que de donner aux étrangers leur superflu.

Pour leurs mines, ils n'eurent aucune peine à nous les abandonner; elles leur étoient inutiles. Il leur paroissoit que les hommes n'étoient guère sages d'aller chercher par tant de travaux, dans les entrailles de la terre, ce qui ne peut les rendre heureux, ni satisfaire à aucun vrai besoin. Ne creusez point, nous disoient-ils, si avant dans la terre contentez-vous de la labourer; elle vous donnera de véritables biens qui vous nourriront; vous en tirerez des fruits qui valent mieux que l'or et que l'argent, puisque les hommes ne veulent de l'or et de l'argent, que pour en acheter les aliments qui soutiennent leur vie.

LIVRE VIII.

Vénus, toujours irritée contre Télémaque, demande sa perte à Jupiter; mais les destins ne permettant pas qu'il périsse, la déesse va solliciter de Neptune les moyens de l'éloigner d'1thaque, où le conduisoit Adoam. Aussitôt Neptune envoie an pilote Achamas une divinité trompeuse, qui lui enchante les sens et le fait entrer à pleines voiles dans le port de Salente. au moment où il croyoit arriver à Ithaque. Idoménée, roi de Salente, fait à Télémaque et à Mentor l'accueil le plus affectueux: il se rend avec eux au temple de Jupiter, où il avoit ordonné un sacrifice pour le succès d'une guerre contre les Manduriens. Le sacrificateur, consultant les entrailles des victimes, fait tout espérer à Idoménée, et l'assure qu'il devra son bonheur à ses deux nouveaux hôtes.

Pendant que Télémaque et Adoam s'entretenoient de la sorte, oubliant le sommeil, et n'apercevant pas que la nuit étoit déja au milieu de sa course, une divinité ennemie et trompeuse les éloignoit d'Ithaque, que leur pilote Achamas cherchoit en vain. Neptune, quoique favorable aux Phéniciens, ne pouvoit supporter plus long-temps que Télémaque eût échappé à la tempête qui l'avoit jeté contre les rochers de l'île de Calypso. Vénus étoit encore plus irritée de voir ce jeune homme qui triomphoit, ayant vaincu l'Amour et tous ses charmes. Dans le transport de sa douleur, elle quitta Cythère, Paphos, Idalie, et tous les honneurs qu'on lui rend dans l'île de Chypre elle ne pouvoit plus demeurer dans ces lieux où Té

Nous avons souvent voulu leur apprendre la navigation, et mener les jeunes hommes de leur pays dans la Phénicie; mais ils n'ont jamais voulu que leurs enfants apprissent à vivre comme nous. Ils apprendroient, nous disoient-ils, à avoir besoin de toutes les choses qui vous sont devenues nécessaires : ils voudroient les avoir; ils abandonneroient la vertu pour les obtenir par de mauvaises industries. Ils deviendroient comme un homme qui a de bonnes jambes, et qui, perdant l'habitude de marcher, s'accoutume enfin au besoin d'être toujours porté comme un malade. Pour la navigation, ils l'admirent à cause de l'in-lémaque avoit méprisé son empire. Elle monte dustrie de cet art; mais ils croient que c'est un art pernicieux. Si ces gens-là, disent-ils, ont suffisamment en leur pays ce qui est nécessaire à la vie, que vont-ils chercher en un autre? Ce qui suffit aux besoins de la nature ne leur suffit-il pas? Ils mériteroient de faire naufrage, puisqu'ils cherchent la mort au milieu des tempêtes, pour assouvir l'avarice des marchands, et pour flatter les passions des autres hommes.

Télémaque étoit ravi d'entendre ces discours d'Adoam, et il se réjouissoit qu'il y eût encore au monde un peuple, qui, suivant la droite nature, fût si sage et si heureux tout ensemble. Oh! combien ces mœurs, disoit-il, sont-elles éloignées des mœurs vaines et ambitieuses des peuples qu'on croit les plus sages! Nous sommes tellement gâtés, qu'à peine pouvons-nous croire que cette simplicité si naturelle puisse être véritable. Nous regardons les mœurs de ce peuple comme une belle fable, et il doit regarder les nôtres comme un Songe monstrueux.

vers l'éclatant Olympe, où les dieux étoient assemblés auprès du trône de Jupiter. De ce lieu, ils aperçoivent les astres qui roulent sous leurs pieds; ils voient le globe de la terre comme un petit amas de boue; les mers immenses ne leur paroissent que comme des gouttes d'eau dont ce morceau de boue est un peu détrempé : les plus grands royaumes ne sont à leurs yeux qu'un peu de sable qui couvre la surface de cette boue; les peuples innombrables et les plus puissantes armées ne sont que comme des fourmis qui se disputent les unes aux autres un brin d'herbe sur ce morceau de boue. Les immortels rient des affaires les plus sé rieuses qui agitent les foibles mortels, et elles leur paroissent des jeux d'enfants. Ce que les hommes appellent grandeur, gloire, puissance, profond politique, ne paroît à ces suprêmes divinités que misère et foiblesse.

C'est dans cette demeure, si élevée au-dessu de la terre, que Jupiter a posé son trône immo bile ses yeux percent jusque dans l'abîme, e éclairent jusque dans les derniers replis des cœurs ses regards doux et sereins répandent le calme e la joie dans tout l'univers. Au contraire, quan il secoue sa chevelure, il ébranle le ciel et la terre

Les dieux mêmes, éblouis des rayons de gloire | même, que j'avois envoyé dans cette ile pour atqui l'environnent, ne s'en approchent qu'avec tremblement.

Toutes les divinités célestes étoient dans ce moment auprès de lui. Vénus se présenta avec tous les charmes qui naissent dans son sein; sa robe flottante avoit plus d'éclat que toutes les couleurs dont Iris se pare au milieu des sombres nuages, quand elle vient promettre aux mortels effrayés la fin des tempêtes, et leur annoncer le retour du beau temps. Sa robe étoit nouée par cette fameuse ceinture sur laquelle paroissent les graces; les cheveux de la déesse étoient attachés par derrière négligemment avec une tresse d'or. Tous les dieux furent surpris de sa beauté, comme s'ils ne l'eussent jamais vue; et leurs yeux en furent éblouis, comme ceux des mortels le sont, quand Phébus, après une longue nuit, vient les éclairer par ses rayons. Ils se regardoient les uns les autres avec étonnement, et leurs yeux revenoient toujours sur Vénus; mais ils aperçurent que les yeux de cette déesse étoient baignés de larmes, et qu'une douleur amère étoit peinte sur son visage.

Cependant elle s'avançoit vers le trône de Jupiter, d'une démarche douce et légère, comme le vol rapide d'un oiseau qui fend l'espace immense des airs. Il la regarda avec complaisance; il lui fit un doux souris; et, se levant, il l'embrassa. Ma chère fille, lui dit-il, quelle est votre peine? Je ne puis voir vos larmes sans en être touché : ne craignez point de m'ouvrir votre cœur; vous connoissez ma tendresse et ma complaisance.

Vénus lui répondit d'une voix douce, mais entrecoupée de profonds soupirs: O père des dieux et des hommes, vous qui voyez tout, pouvez-vous ignorer ce qui fait ma peine? Minerve ne s'est pas contentée d'avoir renversé jusqu'aux fondements la superbe ville de Troie, que je défendois, et de s'être vengée de Pâris, qui avoit préféré ma beauté à la sienne; elle conduit par toutes les terres et par toutes les mers le fils d'Ulysse, ce cruel destructeur de Troie. Télémaque est accompagné par Minerve; c'est ce qui empêche qu'elle ne paroisse ici en son rang avec les autres divinités. Elle a conduit ce jeune téméraire dans l'île de Chypre pour m'outrager. Il a méprisé ma puissance; il n'a pas daigné seulement brûler de l'encens sur mes autels : il a témoigné avoir horreur des fêtes que l'on célèbre en mon honneur; il a fermé son cœur à tous mes plaisirs. En vain Neptune, pour le punir, à ma prière, a irrité les vents et les flots contre lui : Télémaque, jeté par un naufrage horrible dans l'ile de Calypso, a triomphé de l'Amour

tendrir le cœur de ce jeune Grec. Ni sa jeunesse, niles charmes de Calypso et de ses nymphes, ni les traits enflammés de l'Amour, n'ont pu surmonter les artifices de Minerve. Elle l'a arraché de cette île me voilà confondue; un enfant triomphe de moi!

Jupiter, pour consoler Vénus, lul dit: Il est vrai, ma fille, que Minerve défend le cœur de ce jeune Grec contre toutes les flèches de votre fils, et qu'elle lui prépare une gloire que jamais jeune homme n'a méritée. Je suis fâché qu'il ait méprisé vos autels; mais je ne puis le soumettre à votre puissance. Je consens, pour l'amour de vous, qu'il soit encore errant par mer et par terre, qu'il vive loin de sa patrie, exposé à toutes sortes de maux et de dangers; mais les destins ne permettent, ni qu'il périsse, ni que sa vertu succombe dans les plaisirs dont vous flattez les hommes. Consolezvous done, ma fille; soyez contente de tenir dans votre empire tant d'autres héros et tant d'immortels.

En disant ces paroles, il fit à Vénus un souris plein de grace et de majesté. Un éclat de lumière, semblable aux plus perçants éclairs, sortit de ses yeux. En baisant Vénus avec tendresse, il répandit une odeur d'ambroisie dont tout l'Olympe fut parfumé. La déesse ne put s'empêcher d'être sensible à cette caresse du plus grand des dieux : malgré ses larmes et sa douleur, on vit la joie se répandre sur son visage; elle baissa son voile pour cacher la rougeur de ses joues, et l'embarras où elle se trouvoit. Toute l'assemblée des dieux applaudit aux paroles de Jupiter; et Vénus, sans perdre un moment, alla trouver Neptune pour concerter avec lui les moyens de se venger de Télémaque.

Elle raconta à Neptune ce que Jupiter lui avoit dit. Je savois déja, répondit Neptune, l'ordre immuable des destins : mais si nous ne pouvons abîmer Télémaque dans les flots de la mer, du moins n'oublions rien pour le rendre malheureux, et pour retarder son retour à Ithaque. Je ne puis consentir à faire périr le vaisseau phénicien dans lequel il est embarqué. J'aime les Phéniciens, c'est mon peuple; nulle autre nation de l'univers ne cultive comme eux mon empire. C'est par eux que la mer est devenue le lien de la société de tous les peuples de la terre. Ils m'honorent par de continuels sacrifices sur mes autels; ils sont justes, sages, et laborieux dans le commerce; ils répandent partout la commodité et l'abondance. Non, déesse, je ne puis souffrir qu'un de leurs vaisseaux fasse naufrage; mais je ferai que le pilote perdra sa

route, et qu'il s'éloignera d'Ithaque où il veut aller. | bientôt sur le rivage que Neptune avoit marqué.

Vénus, contente de cette promesse, rit avec malignité, et retourna, dans son char volant, sur les prés fleuris d'Idalie, où les Grâces, les Jeux et les Ris, témoignèrent leur joie de la revoir, dansant autour d'elle sur les fleurs qui parfument ce charmant séjour.

Neptune envoya aussitôt une divinité trompeuse, semblable aux songes, excepté que les songes ne trompent que pendant le sommeil, au lieu que cette divinité enchante les sens des hommes qui veillent. Ce dieu malfaisant, environné d'une foule innombrable de Mensonges ailés qui voltigent autour de lui, vint répandre une liqueur subtile et enchantée sur les yeux du pilote Achamas, qui considéroit attentivement à la clarté de la lune le cours des étoiles, et le rivage d'Ithaque, dont il découvroit déja assez près de lui les rochers escarpés. Dans ce même moment, les yeux du pilote ne lui montrèrent plus rien de véritable. Un faux ciel et une terre feinte se présentèrent à lui. Les étoiles parurent comme si elles avoient changé leur course, et qu'elles fussent revenues sur leurs pas; tout l'Olympe sembloit se mouvoir par des lois nouvelles. La terre même étoit changée : une fausse Ithaque se présentoit toujours au pilote pour l'amuser, tandis qu'il s'éloignoit de la véritable. Plus il s'avançoit vers cette image trompeuse du rivage de l'île, plus cette image reculoit; elle fuyoit toujours devant lui, et il ne savoit que croire de cette fuite. Quelquefois il s'imaginoit entendre déja le bruit qu'on fait dans un port. Déja il se préparoit, selon l'ordre qu'il en avoit reçu, à aller aborder secrètement dans une petite île qui est auprès de la grande, pour dérober aux amants de Pénélope, conjurés contre Télemaque, le retour de celui-ci. Quelquefois il craignoit les écueils dont cette côte de la mer est bordée; et il lui sembloit entendre l'horrible mugissement des vagues qui vont se briser contre ces écueils: puis tout-à-coup il remarquoit que la terre paroissoit encore éloignée. Les montagnes n'étoient à ses yeux, dans cet éloignement, que comme de petits nuages qui obscurcissent quelquefois l'horizon pendant que le soleil se couche. Ainsi Achamas étoit étonné; et l'impression de la divinité trompeuse, qui charmoit ses yeux, lui faisoit éprouver un certain saisissement qui lui avoit été jusqu'alors inconnu. Il étoit même tenté de croire qu'il ne veilloit pas, et qu'il étoit dans l'illusion d'un songe. Cependant Neptune commanda au vent d'orient de souffler pour jeter le navire sur les côtes de l'Hespérie. Le vent obéit avec tant de violence, que le navire arriva

Déja l'aurore annonçoit le jour; déja les étoiles, qui craignent les rayons du soleil, et qui en sont jalouses, alloient cacher dans l'Océan leurs sombres feux, quand le pilote s'écria: Enfin, je n'en puis plus douter, nous touchons presque à l'île d'Ithaque Télémaque, réjouissez-vous; dans une heure vous pourrez revoir Pénélope, et peut-être trouver Ulysse remonté sur son trône! A ce cri, Télémaque, qui étoit immobile dans les bras du sommeil, s'éveille, se lève, monte au gouvernail, embrasse le pilote, et de ses yeux encore à peine ouverts regarde fixement la côte voisine. Il gémit, ne reconnoissant point les rivages de sa patrie. Hélas! où sommes-nous? dit-il; ce n'est point là ma chère Ithaque! vous vous êtes trompé, Achamas; vous connoissez mal cette côte, si éloignée de votre pays. Non, non, répondit Achamas; je ne puis me tromper en considérant les bords de cette île. Combien de fois suis-je entré dans votre port! j'en connois jusques aux moindres rochers; le rivage de Tyr n'est guère mieux dans ma mémoire. Reconnoissez cette montagne qui avance; voyez ce rocher qui s'élève comme une tour; n'entendezvous pas la vague qui se rompt contre ces autres rochers, lorsqu'ils semblent menacer la mer par leur chute? Mais ne remarquez-vous pas le temple de Minerve qui fend la nue? Voilà la forteresse, et la maison d'Ulysse votre père.

Vous vous trompez, ô Achamas, répondit Télémaque; je vois au contraire une côte assez relevée, mais unie; j'aperçois une ville qui n'est point Ithaque. O dieux! est-ce ainsi que vous vous jouez des hommes?

Pendant qu'il disoit ces paroles, tout-à-coup les yeux d'Achamas furent changés. Le charme se rompit; il vit le rivage tel qu'il étoit véritablement et reconnut son erreur. Je l'avoue, ô Télémaque, s'écria-t-il quelque divinité ennemie avoit enchanté mes yeux; je croyois voir Ithaque, et son image tout entière se présentoit à moi; mais dans ce moment elle disparoît comme un songe. Je vois une autre ville; c'est sans doute Salente, qu'Idoménée, fugitif de Crète, vient de fonder dans l'Hespérie j'aperçois des murs qui s'élèvent, et qui ne sont pas encore achevés; je vois un port qui n'est pas encore entièrement fortifié.

Pendant qu'Achamas remarquoit les divers ouvrages nouvellement faits dans cette ville naissante, et que Télémaque déploroit son malheur, le vent que Neptune faisoit souffler les fit entrer à pleines voiles dans une rade où ils se trouvèrent à l'abri, et tout auprès du port.

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