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Tant d'objets importans exigent, m'a-t-on dit,
Du savoir, de l'étude, et même un peu d'esprit.

A.

De l'esprit! Du savoir! O la tête insensée!
C'est très bon quand on veut, professant au lycée,
Pour mille écus tournois harangueur éternel,
Endoctriner les murs, et juger sans appel.

Mais Damon, dont je suis aujourd'hui le confrère,
Est doué d'un esprit au moins très ordinaire:
Son style n'est pas beau; tout cela n'y fait rien:
On peut fort mal écrire et gouverner fort bien.
Lisez moins, voyez mieux; laissez là vos chimères.
Le savoir est pédant; l'esprit nuit en affaires;
Et voilà, Dieu merci! le principe assuré
Dont le gouvernement s'est toujours pénétré.
Le sens commun suffit: le reste est du grimoire.
Et comment! désormais, si l'on veut vous en croire,
Depuis qu'il est vanté par tant d'honnêtes gens
Que les cafés, pour lui devenus indulgens,
Exaltent son esprit et sa rare éloquence,

Caron de Beaumarchais peut gouverner la France!

B.

Mais vraiment, comme un autre; et je vous suis garant
Qu'il vaudrait beaucoup mieux qu'un ministre ignorant.
Eh quoi! Ces favoris des Nymphes de mémoire
Qui de tous leurs momens rendent compte à la gloire,
Incapables des soins qui font l'homme d'État,
Pour de si grands travaux n'ont qu'un génie ingrat!

Français il en est temps; de vos aïeux gothiques
Abjurez désormais les préjugés antiques:

La science excitait leur stupide mépris!

Hélas! il est encor bien des Goths dans Paris.
Aux lettres, aux beaux-arts, la Seine doit son lustre :
Le génie est amant de cette nymphe illustre;
Elle est souvent ingrate; et, tandis qu'à Berlin
D'un peuple généreux le digne souverain
Respecte les neuf Sœurs au noble et doux langage,
Et même avec succès leur offrit son hommage,
Trouvez-moi dans Paris un Fermier-général
Qui reconnût Pindare ou Le Brun pour égal 1.
Devant le grand Corneille, aux jeux de notre scène,
La France a vu debout l'émule de Turenne!
Les palmes qui ceignaient ce front victorieux
S'inclinaient à l'aspect du favori des Dieux!
Un faquin, décoré du titre d'homme en place,
Eût d'un regard pesant nargué l'auteur d'Horace,
Ou, pour comble d'insulte, osant le protéger,
D'un salut gauche et plat daigné l'encourager.

A.

Un semblable discours a droit de me confondre. Grand Dieu! sur tous les points je voudrais vous répondre; Mais par où commencer?

1. M. Lebrun, celui de nos poètes lyriques qui a le plus appróché de Pindare. Voyez, pour vous en convaincre, sa belle ode à M. de Buffon. (Note de Chénier.)

B.

Savez-vous qu'Addison

Fut, quoique bel esprit, un ministre assez bon,
Du moins en Angleterre, où l'on est difficile?
Et pourtant les Anglais font grand cas de son style.

Addison fut ministre!

A.

B.

Oui; mais, ce qui vaut mieux :

Addison fit parler en vers harmonieux

Caton, là... vous savez... un citoyen de Rome...

Qui fut ministre?

A.

B.

Non, mais qui fut un grand homme.

Observez cependant que, parmi ses héros,

Le Tibre, en ce tems-là, ne comptait point de sots:
Ce Caton fit honneur aux leçons du portique;
L'éloquent Cicéron sauva sa république;

Des Romains asservis le brillant dictateur,
César, vous l'ignorez, fut poète, orateur;

Et même, en tems de paix, le vainqueur de Numance,
Scipion, composa plus d'un vers de Térence.

A.

Scipion!

B.

C'est un fait, autant que je puis voir,

Qui ne vous paraît pas facile à concevoir.

A.

Les fous! Quel tems perdu! Quant à moi, je suis sage,
Et veux de mes loisirs faire un plus digne usage;
Mais je protégerai les faiseurs d'opéras,

Les journaux éloquens et les bons almanachs.
Alors qu'on est ministre, il faut que l'on protége:
De nous autres Puissans tel est le privilége;
Et, pour vous étonner, je m'engage aujourd'hui,
Malgré tous vos défauts, à vous protéger... oui,
Fût-ce en dépit de vous!

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Je prétends qu'on nous voie un soir chez les Quarante,
Au fauteuil immortel côte à côte installés,
D'un légitime éloge amplement régalés.

Lemière est directeur, et sa douce éloquence
Nous fera poliment les honneurs de la France;
A Colbert, à Sully, je serai préféré ;
A quelque bon auteur vous serez comparé;
Et la postérité, personne qui sait vivre,
Signe tous les brevets qu'un directeur délivre.

LE

DOCTEUR PANCRACE.

ADRIEN1.

PANCRACE, mon cher maître! ô vous, à qui je doi
Ce ton lourd et guindé que vous vantez en moi;
Vous, devenu modèle en cet art, que j'admire,
D'écrire sans penser, de parler sans rien dire;
Régent dans vos discours, régent dans vos écrits,
Vous nous enseignez tout sans avoir rien appris!
Mascarille eut ce don; mais, ô divin Pancrace,
De Trissotin premier si recherchant la trace
Sur les pas du second ma généreuse ardeur
Des sources du Bathos sonda la profondeur,
Prêtez à votre élève une oreille facile,

Et n'intimidez point ma jeunesse docile.
On me siffle partout quand vous me protégez.
Sur les sifflets, mon cher, j'ai de grands préjugés.
L'esprit fort a parfois ses moments de scrupule;
Et, malgré l'habitude, on craint le ridicule.

LE DOCTEUR PANCRACE 2.

Ah! mon pauvre Adrien, l'ai-je bien entendu?
Tu parles de sifflets: ton courage est perdu.

1. Adrien Lézai, auteur de plusieurs écrits.
2. Roederer, éditeur du journal d'Économie politique.

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