Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

ignore le nom. Cette fcene affreufe, fi digne de pareilles traditions, commence à s'adoucir un peu, en fe mêlant avec un autre vallon, dont les collines font auffi des rochers, mais couronnés d'un très beau bois: près du lieu où fe forme cette réunion, on voit couler, du fond d'un rocher, un grand ruiffeau d'eau claire & brillante, groffi fucceffivement par quantité de petits courans & embelli par une infinité de petites cascades écumantes, qui fe fuccedent quelquefois affez longtems dans la même direction. Quelquefois le ruiffeau ne fait que ferpenter, & forme une cafcade à chaque détour, ou fe promene parmi des touffes de gazon fur une pente affez fenfible, fans être trop précipitée. Lorsqu'il eft le plus tranquille, mille petits enfoncemens marquent toujours fon mouvement, qui eft par-tout très - vif, quelquefois très-rapide, rarement lent, jamais furieux ni terrible. Les premieres impreffions qu'il fait naître, font celles du plaifir & de la gaieté, très-différentes de celles que jette dans l'ame la fcene affreufe qui l'environne. Mais comme il fe trouve placé entre deux perfpectives fi différentes, il les rapproche, & l'on ne peut le défendre d'une réflexion affez trifte, c'eft qu'un objet auffi charmant

& aufli animé aille fe perdre dans un défert qui, loin d'en être embelli, n'en paroît que plusaffreux.

Si une semblable perfpective fe rencontroit dans l'enceinte d'un parc ou d'un jardin, il ne faudroit rien épargner pour améliorer le terrein dans tous les endroits fufceptibles de culture. Des rochers fans plantes ne font que des objets de curiofité ou d'admiration paffagere. C'eft la verdure feule qui peut en diminuer l'horreur; des arbriffeaux ou même des buiffons fuffiront pour cet effet. Des bouquets de bois pourront être allongés par des plantes rampantes, telles que le pyracatha (1), la vigne & le lierre, qui rempliront les côtés & garnitont le fommet des rochers. Il faut encore jetter parmi les bois quelques habitations, mais de loin en loin & en très-petit nombre, leur principal ufage étant d'égayer & non de faire difparoître une folitude. On choifira donc de préférence celles qu'on trouve quelquefois dans des lieux écartés: une cabane a l'air très-folitaire, mais il ne faut pas qu'elle paroiffe ici ruinée ni négligée : elle doit être propre, bien close, & de plus

(1) C'eft le Mefpitus aculeata pyri folio, de Tournefort, c'est-à-dire, Néflier épineux à feuille de poirier.

accompagnée de toutes les petites commodités de premiere néceffité, à quoi fa fituation dans une retraite profonde peut beaucoup contribuer. Une cavité dans le roc, dont on aura rendu l'accès facile & la forme plus commode, & qui fera bien entretenue, peut réveiller les mêmes idées: elle offre un abri commode contre les injures de l'air, & même un lieu de rafraîchiffement & de repos. Mais hafardons d'aller plus loin; un moulin est fouvent conftruit à quelque distance de la ville qui en tire sa subsistance: s'il étoit placé dans la folitude dont nous parlons, l'eau deviendroit un objet d'utilité publique, & fon mouvement feroit prodigieufement accéléré. Le vallon peut encore fervir de retraite à certaines efpeces d'animaux, tels que les chevres, qui font quelquefois fauvages & quelquefois domeftiques. En paroiffant tout à coup devant nos yeux, ils feront une agréable diversion à la mélancolie qu'infpire une telle folitude, & qui ceffe de plaire dès qu'elle dure trop long-tems. C'eft par de femblables moyens qu'on peut animer la fcene la plus fauvage, & changer ce qu'un lieu d'exil a de plus affreux, en une retraite paifible, où l'on vient fe dérober quelquefois au tourbillon de la fociété.

Cependant

& trop

Cependant quand on attaque la nature par des contrastes trop forts,on manque toujours de succès: un fentier tortueux qui paroît avoir été fait naturellement par les passans, a plus d'effet qu'un grand chemin artificiel, bien uni & bien aligné, qui est trop foible pour détruire le caractere de la fcene, fort pour lui être analogue. Il ne faut introduire que des objets qui tiennent le milieu entre l'air trop animé d'une campagne bien peuplée, & l'horreur d'un défert; & l'on fe décidera fur le choix de ceux qui approchent davantage de l'un de ces deux extrêmes, felon que la scene eft plus ou moins fauvage quelquefois elle l'eft fi exceffivement, qu'elle exige beaucoup d'adouciffemens : quelquefois elle ne l'eft pas affez: mais dans tous les cas, il faut que chaque objet rentre dans le principal caractere,& tende à le conferver. Les rochers forment toujours le caractere dominant qui influe fur tout le refte, & que tout doit faire valoir les irrégularités les plus bifarres, d'un bois & d'un terrein, les replis les plus extraordinaires d'un ruiffeau, qui ne seroient pas fupportables dans une campagne cultivée, perfectionnent & embelliffent des tableaux auffi pittorefques. Les bâtimens même, tant par leur forme finguliere, que par leur pofition étrange, difficile ou dangereufe, fervent à défigner les endroits

I

les plus extraordinaires de la scene, & à leur donner du relief; c'est au choix & à l'application de ces embellissemens, que fe borne notre pouvoir fur les rochers. Ils font trop vaftes & trop intraitables

pour

fe foumettre à nos fantaisies; mais en ajoutant fimplement, ou en retranchant quelques ornemens, nous pouvons découvrir ou voiler certaines parties, affoiblir ou renforcer leur caractere, & par conféquent les impreffions qui en dérivent. Si dans une scene où les rochers dominent, l'art favoit donner à chaque objet l'ornement qui lui est analogue, il auroit atteint la perfection (1). Les caracteres principaux des rochers font le majestueux, le terrible, & le merveilleux. Le Sauvage en eft l'expreffion générale; & quelquefois ils ne font que fauvages, fans qu'on puiffe leur affigner d'au tre caractere particulier.

X X X V I.

Des rochers caractérisés par la majesté. Defcription de Madlock-Bath.

Tout ce qui fait naître l'idée du grand, qui est bien différent du terrible dans une fcene de ro

(1) C'est une maxime qui n'eft pas feulement applicable aux rochers, mais à tous les arts.

« AnteriorContinuar »