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ner, ce me femble, qui préfente plus de grandeur & de fimplicité, puifqu'elle nous charme par les feules beautés de la nature, & que tout l'art confifte à favoir les imiter ou les employer avec choix.

Peu de gens, je le fais, font difpofés à porter fur les jardins Anglois un jugement auffi favorable. Voilà, difent-ils, l'effet de cette ridicule anglomanie qui fait tant de progrès en France. On voudra bientôt nous perfuader que rien n'eft parfait que ce qui vient d'Angleterre: Congrève fera fupérieur à Moliere; les peintures de Tornhill l'emporteront fur celles de le Brun; & Montefquieu ne fera qu'un foible génie en comparaifon de Hobbes. Que ne nous fera-t-on donc pas croire fur les jardins Anglois ?

J'avoue qu'il eft difficile de juger une nation, & fur-tout une nation rivale d'après les récits des voyageurs, qui font prefque toujours extrêmes dans l'admiration ou dans le mépris. L'expérience m'a prouvé que, pour se guérir d'une infinité de préjugés pour & contre les Anglois, il faut les voir chez eux. Sans prétendre que leurs jardins foient exempts de dé

fauts, je crois que tous ceux qui les ont vus, & qui fentent combien la noble fimplicité de la nature eft fupérieure à tous les rafinemens fymmétriques de l'art, leur donneront la préférence fur les nôtres.

Si les jardins Anglois ont paru ridicules à quelques-uns de ceux même qui ont voyagé en Angleterre, c'eft parce qu'ils ont été accoutumés à regarder les principes reçus comme des regles infaillibles, & que les hommes remontent difficile ment à la fource de leurs jugemens.

Le Nôtre fut un homme fi fupérieur dans fon genre, les circonftances où il fe trouva [furent fi heureuses pour donner de la célébrité à fes talens, & fes deffeins parurent d'un goût fi neuf, que toute l'Europe les adopta univerfellement, & les appliqua à toutes fortes de fujets indifféremment. Il n'avoit cependant fait que varier cette régularité qu'il trouva établie: fes bofquets furent mieux diftribués, fes parterres mieux deffinés; mais il ne s'écarta jamais de la fymmétrie. On s'accoutuma à croire qu'elle étoit effentielle aux jardins; & il eft arrivé en ce genre une chose affez ordinaire aux arts en général,

c'eft que la réputation extraordinaire d'un homme de génie en a retardé les progrès, par le préjugé où l'on eft qu'il a atteint la perfection.

Auffi le traité fameux de M. le Blond, & tous les autres qui ont été publiés fur la théorie du jardinage, font-ils fondés fur les principes de le Notre? Ils ne préfentent jamais que des lignes droites, des figures régulieres, des plans de niveau. L'on le doutoit fi peu qu'il pût exifter quelqu'autre maniere de compofer des jardins agréables, que des auteurs eftimés ont dit, en parlant de la maniere Chinoise, qu'il n'eft guere poffible qu'elle soit jamais adoptée en Europe (1).

Ce n'eft effectivement que long-tems après, que les Anglois ont abandonné la fymmétrie qui étoit devenue la regle univerfelle, pour ne fuivre que la nature. Le theatre de la Grande-Bretagne, imprimé

(1) Les Chinois (dit le chevalier Temple dans fon traité des jardins) ont un goût diamétralement oppofé au nôtre. Je ne confeille à perfonne de l'imiter. Ce font de trop grands chef d'œuvres de l'art que d'y réuffir. Tenons-nous-en aux figures régulieres.

en deux volumes infolio,d'abord en i708, enfuite en 1716, prouve qu'au commencement de ce fiecle, les jardins d'Angleterre étoient entiérement femblables à ceux du refte de l'Europe. Kent, artifte plein de goût, connu de fon tems par fes talens dans l'architecture & la peinture, mais dont le nom n'eft aujourd'hui célebre que par les changemens qu'il a introduits dans l'art des jardins; Kent, dis-je, eft le premier en Angleterre qui ait ofé s'écarter vers l'année 1720, des regles de le Nôtre, dans la compofition des bofquets d'Esher, maifon de campagne du premier miniftre Pelham (1). Les Anglois qui font très-fenfibles aux beautés naturelles, qui aiment paffionnément la campagne, où il paffent une partie de leur vie (2), & qui ne négligent rien pour

(1) On en trouvera la defcription au chapitre XXI de cet ouvrage.

(2) Thompson, (dit M. de S. Lambert dans le beau dif cours qui précede fon poëme ), Thempfon chantoit la nature chez un peuple qui la connoît & qui l'aime. Il parle à des amans de leur maitreffe, & il cft für de leur

plaire.

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l'embellir, reçurent avec tranfport un genre fi analogue à leur caractere ennemi de l'uniformité. Les progrès du nouvel art furent très-rapides, & fes productions ont été depuis très-perfectionnées & trèsvariées dans toutes les provinces de la Grande-Bretagne. Tout Anglois qui poffede une maison de campagne, quels que foient fon rang & fa fortune, eft jaloux de fe procurer un beau jardin, & de 'le rendre remarquable par quelque fingularité qui ne s'éloigne pas de la nature.

Kent a eu la gloire d'introduire dans fa patrie la méthode la plus naturelle de compofer des jardins, mais il n'en eft pas l'inventeur; car, outre qu'elle a été connuc en Afie de tous les tems, il avoit été prévenu en France par le célebre Dufresny, à-peu-près contemporain de le Nôtre, génie fingulier, & qui fembloit né pour la perfection des arts d'agrément. « Dufreny (dit l'auteur de fa vie (1)) avoit > un goût dominant pour l'art des jardins; » mais les idées qu'il s'étoit faites fur cet >> art, n'avoient rien de commun avec

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(1) A la tête de fes œuvres.

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