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ANECDOTES.

Détails sur le nom de Ramus, sur sa famille et sur ses premières années.

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- Ses maîtres Jean Péna, Jean Hennuyer. - Revue de ses principaux adversaires; tentatives de réconciliation. Ses amis et ses relations à la cour, dans le parlement et dans l'université: Sylvius, Lambin, etc. - Intérieur de Ramus ses revenus, ses dépenses, sa vie journalière et ses habitudes. Circonstances diverses de sa mort. Portrait et caractère de Ramus. Son testament.

Ma tâche de biographe n'est point achevée. Après avoir retracé le rôle de Ramus dans son pays et dans son temps, après avoir assisté avec lui à des événements plus ou moins considérables, qui souvent appartiennent à l'histoire autant qu'à la biographie, et par lesquels on peut prendre du personnage qui y figure une connaissance pour ainsi dire officielle, il me reste à l'étudier de plus près et d'une manière plus intime, à l'aide de ces traits plus cachés, plus familiers et en apparence moins dignes d'intérêt, mais sans lesquels on ne comprend guère l'époque ou l'homme qu'il s'agit de peindre. Les détails de ce genre abondent sur Ramus: obligé de choisir dans le nombre et de sacrifier une bonne partie de mes recueils, je crains encore de paraître manquer de mesure,

DU NOM DE RAMUS.

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sans parler de l'ordre, si difficile à garder en de pareilles matières.

Un savant disciple de Ramus, que nous avons cité souvent, Jean Thomas Freigius, le même dont Voltaire (qui ne l'avait jamais lu) a dit en plaisantant que c'est un «< auteur qui peut être utile aux curieux, quoi qu'en dise Banosius; » Freigius, cherchant une méthode ingénieuse et commode pour classer de nombreux documents, n'a rien trouvé de mieux que de distribuer suivant les quatre vertus cardinales (prudence, courage, tempérance et justice) tout ce qu'il avait à dire de son maître. Cette division, appliquée ici, paraîtrait sans doute bien rigoureuse et même pédantesque aux lecteurs de nos jours. Aussi ne leur proposerai-je pas de la suivre; mais je leur présenterai tout simplement mes anecdotes à la file, dans l'ordre chronologique, s'il est possible, de manière à relever en passant un certain nombre d'erreurs et à jeter quelque lumière sur des faits auxquels on ne pouvait s'arrêter dans une narration suivie.

Le nom latin que prit Ramus en entrant au collège, et sous lequel il devint célèbre, était une traduction un peu inexacte de son véritable nom (Pierre de la Ramée), qui, régulièrement mis en latin, aurait été Rameus ou a Ramo. Nancel, qui propose ces traductions, croit que ce fut l'amour de la gloire qui fit préférer à son maître un nom qui lui semblait d'heureux présage (p. 7, 10). Une remarque plus curieuse à faire sur ce sujet, c'est que ce mot Ramus a été traduit à son tour en français de diverses manières chez Rabelais, Joachim du Bellay, Estienne Jodelle, etc., Ramus est appelé Rameau; ailleurs, c'est la Ramec ou de la Ramée; mais, dans

l'Histoire de la Ville de Paris, par Félibien (t. II, p. 987), il devient Pierre de la Verdure. On pense que les jeux de mots ne firent pas défaut sur le rameau d'or ou de fer, suivant que c'était un ami ou un adversaire qui parlait. Enfin, Nancel, suivant une mode du temps, a fait l'anagramme de ce même nom, et dans Petrus Ramus il a trouvé merus partus.

Je n'insisterai pas sur l'orthographe du village où naquit Ramus, quoiqu'elle offre encore plus de variété'. Les cartes et les annuaires les plus récents désignent, sous le nom de Cuts, un bourg très ancien, situé sur la limite orientale du département de l'Oise, et à peu de distance de Noyon, la patrie de Calvin. Nancel, qui compare volontiers Ramus à' Cicéron, prétend que Cuts ne sera pas moins célèbre dans l'histoire, pour avoir donné le jour à notre philosophe, qu'Arpinum pour avoir été la patrie du grand orateur romain.

Le même auteur a pris soin de nous donner des détails intéressants sur la famille de Ramus. Il les tenait de bonne source: car il connaissait la mère et la sœur de notre philosophe, et il leur avait adressé toutes les questions que lui suggérait sa curiosité. L'aïeul paternel de Ramus était, comme on l'a vu, un gentilhomme liégeois'. Quand il fut contraint de s'expatrier en 1468, il se réfugia en Picardie avec sa famille, qui, à ce qu'il paraît, ne se composait que de deux personnes, sa femme et son

1 Cuhuca, Cultia, Cusia, Cus, Cuz, Cuts, Cutz, Culz, Cust, Cut, Cuth, Cuthe et même Quut.

2 Ant. Teissier (El. des h. savants) et avant lui Boissard (Bibl. calcogr.), au lieu du mot Eburones, qui désigne les Liégeois, ont lu: Eburovices, et ont fait venir d'Evreux la famille de Ramus. Bayle a relevé cette erreur dans son art. Ramus, note A.

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fils Jacques. Il s'établit dans le pays de Cuts, qui, à cette époque, était environné de bois et très peu cultivé. Ce fut sans doute cette circonstance qui l'engagea à faire un commerce de charbon. Jacques de la Ramée, son fils, quitta ce métier pour celui de laboureur : il avait acheté à bas prix quelques arpents de terre qu'il défrichait à grand' peine. Il avait épousé une femme du pays, nommée Jeanne Charpentier; il la laissa veuve de très bonne heure avec deux jeunes enfants, dont l'un était Pierre de la Ramée, et l'autre une fille nommée Françoise.

L'abbé Joly, Goujet et d'autres encore font naître Ramus en 1502. L'unique témoignage en leur faveur est une note de la Navarride, poëme de Palma Cayet, ancien élève de Ramus, mais qui l'avait quitté en 1560, et qui écrivait en 1604, c'est-à-dire trente-deux ans après la mort de son maître. Cette note est ainsi conçue: « Un (on) tient que Ramus est mort vierge, à soixantedix ans. » Le même auteur, qui, on le voit, ne parle que par ouï-dire, appelle Ramus chef d'université : « D'autant, ajoute-t-il dans une autre note, qu'il estoit très sçavant et chancelier de l'université. » L'autorité d'un auteur si mal informé ne saurait balancer les témoignages allégués plus haut (chap. I, p. 18, 19), et qui placent en 1515 la naissance de Ramus. Je n'insiste pas, davantage sur ce point, me bornant à remarquer, pour plus de précision, qu'il mourut le 26 août 1572,

n'ayant pas encore accompli sa cinquante-septième année1, » et que par conséquent il avait dû naître dans le dernier tiers de l'année 1515.

La mère de Ramus l'éleva avec une grande sollicitude

1 Freigius, p. 6: « nondum exacto anno ætatis suæ 57..>>

et l'envoya à l'école de son village. J'ai dit plus haut (chap. I, p. 19) tout ce que j'ai pu découvrir dans Ramus lui-même sur cette première éducation. Voici cependant une petite aventure qui lui arriva à cette époque, et qui ne fut pas sans influence sur les habitudes de toute sa vie. Au lieu de traduire Freigius (Vie de Ramus, p. 35) ou Zuinger (Th. h. vitæ, vol. II, 1. V, p. 408, b), j'aime mieux emprunter les termes à peu près équivalents et plus agréables d'un écrivain français qui vivait peu de temps après « Pierre de la Ramée de Vermandois,... en ses jeunes ans, occupoit son esprit gentil et propre aux sciences à mille petites inventions, pour se donner du plaisir et en faire prendre à ses compagnons. Arriva un jour, qu'après avoir trop bu, il tomba dedans une cave où il croupit un assez long espace de temps, jusqu'à ce que l'ivresse lui eut passé. Revenu qu'il fut à soi, il eut un si extrême déplaisir de cet accident, et tant de honte de la risée qu'on fit de lui, que dehors il jura que jamais plus il ne boiroit de vin, et quittant ses fripponneries, s'adonneroit à bon escient à l'estude des lettres. Il accomplit son serment, et profita si heureusement ès sciences, qu'il passa pour un des plus subtils philosophes de son siècle... Ce malheur fut très favorable à la Ramée, comme avoit été jadis l'ivresse à Polémon, etc. 1. »

Ce fut en 1527 que Ramus prêta serment à l'université de Paris, non pas comme maître ès-arts, ainsi que

1 Fr. Dinet, Theâtre de la nobl. franç., t. II, 1. III, chap. 9, p. 148. Voir dans les Scholæ dial., 1. VII, c. 1, un souvenir de voyage en Auvergne, qui se rapporte à l'enfance de Ramus, et dont l'explication se trouve plus haut, chap. I, p. 20.

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