Imágenes de páginas
PDF
EPUB

THÈSE CONTRE ARISTOTE.

29

dre: « Le maître l'a dit, » puisqu'ils avaient affaire à un homme qui s'engageait à soutenir le contre-pied du maître sur tout ce qu'on voudrait lui objecter. En vain tous les péripatéticiens de la faculté des arts réunirent leurs efforts pour accabler Ramus. Pendant un jour entier ils combattirent sa thèse sans obtenir l'avantage. Le jeune candidat mettait tant d'esprit et de vivacité dans ses répliques, il se tirait de toutes les objections avec tant de subtilité et d'adresse, qu'à la fin de la séance il fut proclamé maître ès arts avec applaudissements.

Le succès de Ramus fut un assez rude échec à la philosophie dominante. Son paradoxe eut un retentissement extraordinaire dans toutes les universités de France. Le bruit s'en répandit jusqu'en Italie, et le poëte Alessandro Tassoni, dans un passage où d'ailleurs il maltraite Ramus, a décrit la confusion et la stupeur causées par une attasi audacieuse. En France, on le traitait d'ingrat, parce que, disait-on, il devait à Aristote cette logique dont il faisait maintenant usage contre lui. A ce reproche Ramus répondait par l'exemple d'Aristote lui-même préférant la vérité à son maître Platon, et il ajoutait avec énergie: << Quand ce serait mon propre père qui m'aurait enseigné ces erreurs, je ne les combattrais pas avec

que

1 Freigius, Rami Vita, p. 9, 10; Theod. Zuinger, Theatrum humanæ vitæ, vol. IV, liv. IV, p. 1177, col. b, etc. Alessandro Tassoni, Pensieri diversi, 1. X, c. 3 : « Più andace fu la prova di Pietro Ramo autore per altro poco degno d'essere nominato. Questi dovendo secondo l'uso di Parigi sostener conclusione prima che fosse creato maestro, per bizarria d'ingegno, propose questa sola a qualunque volesse argomentare, dando libero campo a tutti: Quæcumque ab Arist. dicta essent commentitia esse. Laquale havendo eccitati contra di lui tutti l'ingegni... Egli nondimeno con tanta prontezza e sottigliezza di riposte la difese, che f a rimaner confusa e stupita la città di Parigi. »

moins de force et de persévérance; la vérité me serait plus précieuse et plus chère que mon père lui-même, et je me croirais coupable de mettre mon affection pour un seul au-dessus du bien de tous. (Arist. Animadv., fol. 73, 74, 75.)

מ

(1536-1544)

Ramus enseigne d'abord au collège du Mans, puis au collège de l'Ave Maria. - Son association avec Omer Talon et Barthélemy Alexandre. — Il fait paraître deux livres en 1543. — Fureur des péripatéticiens : Pierre Galland, Joachim de Périon, Antoine de Govéa. Le roi intervient dans le procès. Nomination de cinq commissaires. - Ramus - Sentence de François Ier. Transports de joie de Comment Ramus échappe aux galères.

est condamné. l'université.

-

Ramus, pour obtenir la maîtrise, avait fait un effort suprême et épuisé ses dernières ressources. Son oncle l'avait aidé de son mieux à supporter les frais toujours trop considérables attachés de tout temps à ce genre d'épreuves. Sa mère, de son côté, avait vendu un coin de terre qui lui restait. La pauvre veuve n'avait pas eu tort de mettre tout son espoir dans les succès d'un fils qui la chérissait tendrement, et qui fut bientôt en état de lui prouver sa reconnaissance'. En effet, grâce à tous ces sacrifices, un grand changement ne tarda pas à s'opérer dans la condition du jeune docteur. Le grade qu'il venait de conquérir d'une manière si brillante lui rendait du même coup sa liberté et lui assurait une exis

1 Nancel, Rami Vita, p. 12.

tence honorable, en lui conférant le droit d'enseigner les arts libéraux.

Ramus donna ses premières leçons dans le collége du Mans'. Un de ses biographes commet à ce propos une étrange méprise il s'imagine qu'il s'agit d'une école que Ramus aurait fondée au Mans, et il ne peut s'empêcher de remarquer que c'était «< un endroit bien borné pour un homme de ce mérite.» Cet auteur ignorait sans doute que la plupart des colléges de l'université de Paris portaient les noms de divers diocèses, villes ou provinces du royaume, témoins les colléges de Navarre, de Bourgogne, de Laon, de Reims, de Bayeux, de Beauvais et du Mans. Ce dernier établissement, dont on voit encore une partie au coin de la place et de la rue de la Sorbonne, eut à différentes époques des professeurs célèbres, le grand Arnauld entre autres, qui, en 1641, y fit soutenir des thèses par un de ses élèves. C'est là que Ramus débuta dans l'enseignement, et il est permis de supposer que ce fut sous les auspices de Jean Hennuyer car ce dernier est mentionné dans l'Histoire de l'université comme professeur de philosophie au collége de Navarre « et au collége du Mans3. » Peut-être Ramus était-il le suppléant ou le successeur de son ancien maître? Quoi qu'il en soit, il n'y demeura pas longtemps. Il forma bientôt une association étroite avec deux régents de l'université, qu'il avait amenés à partager ses vues et ses idées de réforme. L'un était Omer Talon de Beau

1 Nancel, Rami Vita, p. 12. Sur ce collège voir Félibien, Hist. de la ville de Paris, t. II, p. 974.

* Ant. Savérien, Vies des philosophes modernes (1773, in-12), t. I, p. 8. Du Boulay, t. VI, Catal., p. 952.

SON PREMIER ENSEIGNEMENT.

33

vais, grand - oncle du célèbre avocat général de ce nom c'était un habile professeur de rhétorique, qui avait adopté avec une sorte d'enthousiasme le dessein de réformer l'enseignement et d'en chasser la barbarie. L'autre était un helléniste distingué, nommé Barthélemy Alexandre de Champagne, et qui avait à cœur de faire connaître dans leur langue les philosophes et les écrivains de la Grèce. Les trois professeurs, liés par une amitié fraternelle, vivaient ensemble, faisant bourse commune et se partageant la tâche, aussi bien que le prix des leçons qu'ils donnaient'. Ils allèrent tous les trois s'établir dans le petit collége de l'Ave Maria, où ils ouvrirent des cours publics, sous la direction de Ramus, qui, plus heureusement doué de la nature que ses deux confrères, avait pris sur eux tout d'abord un ascendant marqué. Là, pour la première fois dans l'université de Paris, on lisait dans une même classe les auteurs grecs et les auteurs latins. Pour la première fois aussi, l'étude de l'éloquence était jointe à celle de la philosophie, et l'on expliquait à la fois les poëtes et les orateurs. Un enseignement si varié et si nouveau ne pouvait manquer d'avoir un grand succès; les auditeurs vinrent en foule, désireux surtout d'entendre Ramus, dont la réputation comme orateur fut établie dès le premier jour3.

Ces premiers succès étaient la juste récompense de ses travaux; mais il voulut s'en rendre plus digne encore,

1 Nancel, 1. c., p. 12, 13.

2 Marianum gymnasium, ainsi nommé à cause de l'inscription: Ave Maria, qui se lisait sur la porte. Voir Félibien, t. I, p. 593, et Du Boulay, t. IV, p. 261.

3 Nancel, ibid., p. 13.

« AnteriorContinuar »