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Ainsi, par la force des choses, ce qu'il y avait de défectueux dans la fondation de Ramus se trouvait corrigé, et les professeurs qui obtenaient sa chaire par un premier succès, la conservaient jusqu'à la fin de leur carrière. Après de longues années d'interruption, que Goujet et Crevier attribuent au dépérissement des fonds, cette chaire fut de nouveau remplie, vers 1765, par un habile géomètre nommé Mauduit, dont l'enseignement a obtenu les éloges de son confrère Montucla, dans son Histoire des mathématiques (part. III, 1. III).

La révolution française emporta la chaire de Ramus avec le collége royal lui-même; mais pendant deux siècles cette chaire avait donné à l'université de Paris des professeurs éminents de mathématiques, entre lesquels Roberval brille au premier rang: les deux chaires royales, recrutées par le gouvernement et non par le concours, sont loin d'offrir une succession d'hommes aussi remarquables. Nous pouvons donc conclure avec Gaillard :

« Le nom de Ramus se mêlera toujours à celui des rois bienfaiteurs des lettres. Tant que le collége royal subsistera, tant qu'on verra dans la galerie de Fontainebleau ce monument que Primatice et maître Roux élevèrent au généreux amour de François Ier pour les lettres et les sciences, on se souviendra du simple citoyen qui, ajoutant aux libéralités de ses souverains, fit plus encore, en leur indiquant le moyen de s'assurer du mérite et de ne jamais prostituer leurs bienfaits. Ainsi le seul savant méconnu par François Ier est le seul qui ait été digne de l'imiter et de perfectionner son ouvrage. »

DEUXIÈME PARTIE

DU RAMISME

I

EXPOSÉ DU SYSTÈME.

Ce que c'est que le ramisme. — Principes d'après lesquels Ramus entre

prit la réforme des lettres et des sciences. - Revue de ses opinions en grammaire et en littérature, en mathématiques et en physique, en morale, en métaphysique, en théologie, etc. — Rôle de la dialectique dans le ramisme. - Importance générale de ce système.

Nous venons de voir quelle impulsion donna Ramus aux études mathématiques. Il est temps d'élargir notre cadre et d'étendre nos vues, afin d'embrasser dans leur ensemble les efforts de ce hardi penseur pour l'avancement intellectuel de la France et de l'Europe.

Les esprits indépendants sont presque aussi rares en philosophie que partout ailleurs. Le plus grand nombre de ceux qui s'adonnent à cette étude s'attachent servilement aux opinions d'un homme ou d'une secte; bien peu ont le courage de chercher la vérité à leurs risques

et périls, en quittant, s'il le faut, les sentiers battus. Lorsque, parmi ces derniers, un homme a été assez heureux pour faire d'utiles découvertes, ou pour rencontrer une méthode qui y conduit, c'est à lui que va la foule des esprits cultivés : il fait école, et la pensée humaine compte un système de plus.

Ramus est du petit nombre de ceux qui ont eu le périlleux honneur d'ouvrir des voies nouvelles, parce qu'en même temps qu'il s'élevait au-dessus de la routine et de la barbarie du moyen âge, il sut éviter l'écueil où échouérent les plus grands hommes de la renaissance, c'est-àdire l'adoration superstitieuse des anciens. On trouverait difficilement au XVIe siècle un esprit aussi libre et aussi affranchi du joug de l'antiquité. Brucker a dit qu'avant Descartes, Ramus fut le seul en France qui étudia la philosophie en philosophe '. Peut-être n'est-ce pas encore assez dire peut-être doit-on affirmer qu'il fut le seul philosophe de la renaissance. Au moins est-il le seul dont les opinions, réunies en système, aient joué un rôle en Europe et marqué dans l'histoire de l'esprit humain avant la venue de Descartes.

Socrate et Platon avaient été les premiers maîtres de Ramus; il s'était appuyé sur eux pour sortir de la scholastique, qui, suivant son expression, était une véritable enfance; il fut heureux de les prendre quelque temps pour patrons dans sa guerre contre les aveugles partisans d'Aristote. Mais cette tactique, qui pouvait tromper ses contemporains, ne doit point nous faire illusion. Voici en effet comment Ramus s'exprimait, en 1569,

1 Hist. crit. philos., Period. III, part. II, 1. II, c. 1.

2 Collect. præfat., epist., orat. (1577), p. 60.

PRINCIPES GÉNÉRAUX.

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dans la Préface de ses Scholæ in liberales artes : « Quelqu'un a écrit dernièrement que Ramus enseignait la méthode de Platon, et qu'il condamnait celle d'Aristote. Cet auteur, qui d'ailleurs est instruit et bienveillant, n'a jamais lu la logique de Ramus; car il y aurait vu que, suivant lui, il n'y a qu'une méthode, qui a été celle de Platon et d'Aristote aussi bien que d'Hippocrate et de Galien..... Cette méthode se retrouve dans Virgile et dans Cicéron, dans Homère et dans Démosthène; elle préside aux mathématiques, à la philosophie, aux jugements et à la conduite de tous les hommes; elle n'est de l'invention ni d'Aristote ni de Ramus. » Une seule autorité lui paraît de mise en philosophie, c'est la raison, et il rend cette pensée avec une grande force : « Nulle autorité n'est au-dessus de la raison; c'est elle, au contraire, qui fonde l'autorité et qui doit la régler 1. » Qu'on lise ses Scholæ in liberales artes on y rencontrera à chaque page de pressantes exhortations à tous les hommes d'étude, pour que, dépouillant leurs préjugés, ils s'appliquent à penser librement et d'après les lumières de la raison rendue à elle-même. « Si l'on pratiquait cette liberté, disait-il, un siècle suffirait peut-être pour mener jusqu'au bout toutes les sciences. Si, après tant de siècles écoulés, nous n'en possédons pas encore la millième partie, il n'en faut accuser que cette lâche et servile indolence qui règne dans nos écoles. »

Celui qui avait une telle confiance dans la libre pensée n'était pas homme à consumer sa vie dans l'étude d'un seul système, ce système fût-il le platonisme. Le seul

1 Scholæ math., 1. III, p. 78. « Nulla auctoritas rationis, sed ratio auctoritatis regina dominaque esse debet. »

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