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feist un tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis; estimant que cela ayderoit à continuer les advantages qu'il avoit eus aux guerres par luy conduictes contre eulx. Certains Indiens portoient ainsin au combat contre les Espaignols les ossements d'un de leurs capitaines, en consideration de l'heur qu'il avoit eu en vivant : et d'aultres peuples, en ce mesme monde, traisnent à la guerre les corps des vaillants hommes qui sont morts en leurs battailles, pour leur servir de bonne fortune et d'encouragement. Les premiers exemples ne reservent au tumbeau que la reputation acquise par leurs actions passees; mais cy y veulent encores mesler la puissance d'agir. Le faict du capitaine Bayard est de meilleure composition : lequel, se sentant blecé à mort d'une harquebusade dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee, respondit qu'il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos à l'ennemy; et ayant combattu autant qu'il eut de force, se sentant defaillir et eschapper du cheval, commanda à son maistre d'hostel de le coucher au pied d'un arbre, mais que ce feust en façon qu'il mourust le visage tourné vers l'ennemy comme il feit.

ceulx cy

Il me fault adiouster cet aultre exemple aussi remarquable, pour cette consideration, que nul des precedents. L'empereur Maximilian, bisayeul du roy Philippes qui est à present 1, estoit prince doué de out plein de grandes qualitez, et entre aultres d'une beauté de corps singuliere: mais parmy ces humeurs il avoit cette cy, bien contraire à celle des princes Philippe II, roi d'Espagne.

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qui, pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee; c'est qu'il n'eut iamais valet de chambre si privé, à qui il permeist de le veoir en sa garderobbe il se desroboit pour tumber de l'eau, aussi religieux qu'une pucelle à ne descouvrir ny à medecin, ny à qui que ce feust, les parties qu'on a accoustumé de tenir cachees. Moy qui ay la bouche si effrontee, suis pourtant par complexion touché de cette honte si ce n'est à une grande suasion de la necessité ou de la volupté, ie ne communique gueres aux yeulx de personne les membres et actions que nostre coustume ordonne estre couvertes; i'y souffre plus de contrainctes que ie n'estime bienseant à un homme, et surtout à un homme de ma profession. Mais luy en veint à telle superstition, qu'il ordonna, par paroles expresses de son testament, qu'on luy attachast des calessons quand il seroit mort. Il debvoit adiouster, par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les yeulx bandez. L'ordonnance que Cyrus faict à ses enfants que ny eulx, ny aultre, ne veoye et touche son corps aprez que l'ame en sera separee 1, ie l'attribue à quelque sienne devotion; car et son historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le cours de leur vie un singulier soing et reverence à la religion.

Ce conte me despleut, qu'un grand me feit d'un mien allié, homme assez cogneu et en paix et en guerre : c'est que, mourant bien vieil en sa court, tormenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa 1 XENOPHON, Cyropédie, VIII, 1.

toutes ses heures derniers, avec un soing vehement, à disposer l'honneur et la cerimonie de son enterrement; et somma toute la noblesse qui le visitoit de luy donner parole d'assister à son convoy : à ce prince mesme, qui le veit sur ses derniers traicts, il feit une instante supplication que sa maison feust commandee de s'y trouver, employant plusieurs exemples et raisons à prouver que c'estoit chose qui appartenoit à un homme de sa sorte; et sembla expirer content, ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la distribution et ordre de sa montre. Ie n'ay gueres veu de vanité si perseve

rante.

Cette aultre curiosité contraire, en laquelle ie n'ay point aussi faulte d'exemple domestique, me semble germaine à cette cy; d'aller se soignant et passionnant à ce dernier point, à regler son convoy à quelque particuliere et inusitee parcimonie, à un serviteur et une lanterne. Ie veoy louer cette humeur, et l'ordonnance de Marcus Aemilius Lepidius, qui deffendit à ses heritiers d'employer pour luy les cerimonies qu'on avoit accoustumé en telles choses'. Est-ce encores temperance et frugalité d'eviter la despense et la volupté, desquelles l'usage et la cognoissance nous est imperceptible? voilà une aysee reformation, et de peu de coust. S'il estoit besoing d'en ordonner, ie serois d'advis qu'en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle au degré de sa fortune. Et le philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis de mettre son corps où TITE LIVE, Epitom. du liv. XLVIII.

ils adviseront pour le mieulx; et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques'. le lairray purement la coustume ordonner de cette cerimonie, et m'en remettray à la discretion des premiers à qui ie tumberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris 2. Et est sainctement dict à un sainct : Curatio · funeris, conditio sepulturæ, pompa exsequiarum, magis sunt vivorum solatia, quam subsidia mortuorum3. Pour tant Socrates à Criston, qui sur l'heure de sa fin luy demande comment il veut estre enterré « Comme vous voudrez',» respond-il. Si i'avois à m'en empescher plus avant, ie trouveroy plus galant d'imiter ceulx qui entreprennent, vivants et respirants, iouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture, et qui se plaisent de veoir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resiouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort!

A peu que ie n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire, quoyqu'elle me semble la plus naturelle et equitable, quand il me souvient de cette inhumaine iniustice du peuple athenien, de faire mourir sans remission, et sans le vou

1 DIOGÈNE LAERCE, V, 74.

2 C'est un soin qu'il faut mépriser pour soi-même, et ne pas négliger pour les siens. CICERON, Tuscul. quæst., I, 45.

3 Le soin des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques, servent plutôt à consoler les vivants, qu'à soulager les morts. SAINT AUGUSTIN, Cité de Dieu, 1-12.

* ὅπως ἂν, ἔφη, βούλησθε. PLATON, vers la fin du Phédon. COSTE.

5 Peu s'en faul.

loir seulement quyr en leurs deffenses, ces braves capitaines venants de gaigner contre les Lacedemoniens la battaille navale prez les isles Argineuses, la plus contestee, la plus forte battaille que les Grecs ayent oncques donnee en mer de leurs forces; parce qu'aprez la victoire ils avoient suyvi les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse le faict de Diomedon : cettuy cy est l'un des condemnez, homme de notable vertu et militaire et politique, lequel, se tirant avant pour parler, aprez avoir ouï l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l'evidente iniustice d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soing de la conservation de ses iuges; priant les dieux de tourner ce iugement à leur bien; et, à fin que, par faulte de rendre les vœux que luy et ses compaignons avoient vouez en recognoissance d'une illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des dieux sur eulx, les advertissant quels vœux c'estoient; et, sans dire aulțre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice1.

La fortune, quelques annees aprez, les punit de mesme pain soupe : car Chabrias, capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis, admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et comptant de sa victoire, tres important à leurs affaires, pour n'encourir le

1 DIODORE DE SICILE, XIII, 31, 32.

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