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Coniugis ante coacta novi dimittere collum,

Quam veniens una atque altera rursus hyems
Noctibus in longis avidum saturasset amorem 1.

luy feist elle mesme requeste par courtoisie de luy rendre son prisonnier, comme il feit, la noblesse françoise ne refusant iamais rien aux dames.

Semble il pas que ce soit un sort artiste? Constantin, fils de Helene, fonda l'empire de Constantinople; et tant de siecles aprez, Constantin, fils de Helene, le finit. Quelquesfois il luy plaist envier sur nos miracles : nous tenons que le roy Clovis assiegeant Angoulesme, les murailles cheurent d'elles mesmes par faveur divine: et Bouchet emprunte de quelqu'aucteur, que le roy Robert assiegeant une ville, et s'estant desrobé du siege pour aller à Orleans solenniser la feste sainct Aignan, comme il estoit en devotion sur certain poinct de la messe, les murailles de la ville assiegee s'en allerent sans aulcun effort en ruine. Elle feit tout à contrepoil en nos guerres de Milan : car le capitaine Rense assiegeant pour nous la ville d'Eronne2, et ayant faict mettre la mine soubs un grand pan de mur, et le mur en estant brusquement enlevé hors de terre, recheut toutesfois tout empenné3 si droict dans son fondement, que les assiegez n'en vaulsirent pas moins.

1 Contrainte de ne plus enlacer dans ses bras son nouvel époux, avant que deux hivers, en se succédant, aient, pendant de longues nuits, rassasié son amour avide. CATULLE, LXVIII, 81.

Mémoires de Martin Du Bellay, liv. II, fol. 86, où cette ville est nommée Arone, sur le lac Majeur. CoSTE.

3 Tout d'une pièce, comme une flèche empennée qui tomberoit perpendiculairement dans l'endroit d'où elle aurait été lancée vers le ciel. COSTE.

Quelquesfois elle faict la medecine Iason Phereus', estant abandonné des medecins pour une aposteme qu'il avoit dans la poictrine, ayant envie de s'en desfaire, au moins par la mort, se iecta dans une battaille à corps perdu dans la presse des ennemis, où il feut blecé à travers le corps si à poinct, que son aposteme en creva, et guarit. Surpassa elle pas le peintre Protogenes en la science de son art? cettuy cy2 ayant parfaict l'image d'un chien las et recreu, à son contentement en toutes les aultres parties, mais ne pouvant representer à son gré l'escume et la bave, despité contre sa besongne, print son esponge, et, comme elle estoit abruvee de diverses peinctures, la iecta contre, pour tout effacer : la fortune porta tout à propos le coup à l'endroict de la bouche du chien, et y parfournit ce à quoy l'art n'avoit pu atteindre. N'adresse elle pas quelquesfois nos conseils et les corrige? Isabelle, royne d'Angleterre, ayant à repasser de Zelande en son royaume 3, avecques une armee, en faveur de son fils contre son mary, estoit perdue, si elle feust arrivee au port qu'elle avoit proiecté, y estant attendue par ses ennemis: mais la fortune la iecta contre son vouloir ailleurs, où elle print terre en toute seureté. Et cet ancien qui, ruant la pierre à un chien, en assena et tua sa marastre, eust il pas raison de prononcer ce vers,

Ταυτόματον ἡμῶν καλλίω βουλεύεται.

La fortune a meilleur advis que nous?

1 Ou mieux, de Phères, en Thessalie. PLINE, Nat. Hist., VII, 50. V. LECLERC.

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Icetes' avoit practiqué deux soldats pour tuer Timoleon, seiournant à Adrane en la Sicile. Ils prinrent heure sur le poinct qu'il feroit quelque sacrifice; et se meslants parmy la multitude, comme ils se guignoyent 2 l'un l'aultre que l'occasion estoit propre à leur besongne, voicy un tiers qui d'un grand coup d'espee en assene l'un par la tesi, et le rue mort par terre, et s'enfuit. Le compaignon se tenant pour descouvert et perdu, recourut à l'autel, requerant franchise, avecques promesse de dire toute la verité. Ainsi qu'il faisoit le conte de la coniuration, voicy le tiers qui avoit esté attrapé, lequel, comme meurtrier, le peuple poulse et saboule3 au travers la presse, vers Timoleon et les plus apparents de l'assemblee. Là il crie mercy, et dict avoir iustement tué l'assassin de son pere; verifiant sur le champ, par des tesmoings que son bon sort luy fournit tout à propos, qu'en la ville des Leontins son pere, de vray, avoit esté tué par celui sur lequel il s'estoit vengé. On luy ordonna dix mines attiques, pour avoir eu cette heur, prenant raison de la mort de son pere, d'avoir retiré de mort pere commun des Siciliens. Cette fortune surpasse en reglement les regles de l'humaine prudence.

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Pour la fin, en ce faict icy se descouvre il pas une bien expresse application de sa faveur, de bonté et pieté singuliere? Ignatius pere et fils, proscripts par les triumvirs à Rome, se resolurent à ce genereux

1 Sicilien, né à Syracuse, qui voulait opprimer la liberté de sa patrie, dont Timoléon était le défenseur. PLUTARQUE, Vie de Timoléon, c. 7. Coste.

2 Comme ils se faisaient signe l'un à l'autre.

3 Foule aux pieds.

office de rendre leurs vies entre les mains l'un de l'aultre, et en frustrer la cruauté des tyrans; ils se coururent sus, l'espee au poing: elle en dressa les poinctes, et en feit deux coups egualement mortels; et donna à l'honneur d'une si belle amitié, qu'ils eussent iustement la force de retirer encores des playes leurs bras sanglants et armés, pour s'entr'embrasser en cet esta. ne si forte estreinte, que les bourreaux couperent ensemble leurs deux testes, laissants les corps tousiours prins en ce noble nœud, et les playes ioinctes, humants amoureusement le sang et les restes de la vie l'une de l'aultre.

CHAPITRE XXXIV.

D'UN DEFAULT DE NOS POLICES.

Feu mon pere, homme, pour n'estre aydé que de l'experience et du naturel, d'un iugement bien net, m'a dict aultrefois qu'il avoit desiré mettre en train qu'il y eust ez villes certain lieu designé, auquel ceulx qui auroient besoing de quelque chose se peussent rendre, et faire enregistrer leur affaire à un officier estably pour cet effect: comme, « le cherche à vendre des perles; le cherche des perles à vendre; Tel veult compaignie pour aller à Paris; Tel s'enquiert d'un serviteur de telle qualité; Tel d'un maistre; Tel demande un ouvrier; qui cecy, qui cela, chascun selon son besoing. » Et semble que ce moyen de nous entr'advertir apporteroit non legiere

commodité au commerce publicque; car à touts coups il y a des conditions qui s'entrecherchent, et, pour ne s'entr'entendre, laissent les hommes en extreme necessité.

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l'entends, avecques une grande honte de nostre siecle, qu'à nostre veue deux tresexcellents personnages en sçavoir sont morts en estat de n'avoir pas leur saoul à manger, Lilius Gregorius Giraldus1 en Italie, et Sebastianus Castalio en Allemaigne; et crois qu'il y a mille hommes qui les eussent appelez avecques tresadvantageuses conditions, ou secourus où ils estoient, s'ils l'eussent sceu. Le monde n'est pas si generalement corrompu, que ie ne sçache tel homme qui souhaitteroit, de bien grande affection, que les moyens que les siens luy ont mis en main se peussent employer, tant qu'il plaira à la fortune qu'il en iouisse, à mettre à l'abri de la necessité les personnages rares et remarquables en quelque espece de valeur, que le malheur combat quelquesfois iusques à l'extremité; et qui les mettroit pour le moins en tel estat, qu'il ne tiendroit qu'à faulte de bon discours, s'ils n'estoient contents.

En la police œconomique, mon pere avoit cet ordre, que ie sçais louer, mais nullement ensuyvre : c'est qu'oultre le registre des negoces du mesnage

1 Giglio Gregorio Giraldi, né à Ferrare, en 1489, y mourut en 1552. Ses ouvrages, dont les principaux sont l'Histoire des Dieux et les dialogues sur les Poëtes, ont été recueillis par Jensius, dans la belle édition de Leyde, 2 vol. in-fol., 1696. V. LECLERC.

'Sébastien Chasteillon, Dauphinois, né en 1515, mort en 1563. Il est connu surtout par sa version latine de la Bible, où il affecte de ne parler que la langue cicéronienne. Io.

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