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rum est enim, nihil proficientem angi 1 : si est ce qu'elle est de beaucoup moindre auctorité. Voilà pourquoy l'exemple de François, marquis de Sallusses, m'a semblé remarquable: car lieutenant du roy François en son armee delà les monts, infiniment favorisé de nostre court, et obligé au roy du marquisat mesme qui avoit esté confisqué de son frere; au reste ne se presentant occasion de le faire 2 son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espouvanter, comme il a été adveré, aux belles prognostications qu'on faisoit lors courir de touts costez à l'advantage de l'empereur Charles cinquiesme, et à nostre desadvantage (mesme en Italie, où ces folles propheties avoyent trouvé tant de place, qu'à Rome il feut baillé grande somme d'argent au change, pour cette opinion de nostre ruyne), qu'aprez s'estre souvent condolu à ses privez des maulx qu'il veoyoit inevitablement preparez à la couronne de France et aux amis qu'il y avoit, se revolta et changea de party; à son grand dommage pourtant, quelque constellation qu'il y eust. Mais il s'y conduisit en homme combattu de diverses passions: car ayant et villes et forces en sa main, l'armee ennemie soubs Antoine de Leve à trois pas de luy, et nous sans souspeçons de son faict, il estoit en luy de

imprévu; que leur esprit ne voie rien des choses futures, et qu'il soit permis à ceux qui tremblent d'espérer. LUCAIN, II, 4, 14.

1 On ne gagne rien à savoir ce qui doit arriver; car c'est un malheur de se tourmenter sans profit. Cic., de Nat. deor.,

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2 C'est-à-dire, de changer de parti, comme Montaigne le dit plus bas. CoSTE.

faire pis qu'il ne feit; car pour sa trahison nous ne perdismes ny homme ny ville que Fossan', encores aprez l'avoir longtemps contestee.

Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus;
Ridetque, si mortalis ultra
Fas trepidat.

Ille potens sui,

Lætusque deget, cui licet in diem
Dixisse, VIXI; cras vel atra

Nube polum pater occupato,

Vel sole puro 2.

Lætus in præsens animus, quod últra est
Oderit curare 3.

Et ceulx qui croyent ce mot, au contraire, le croyent à tort: Ista sic reciprocantur, ut et, si divinatio sit, dii sint; et, si dii sint, sit divinatio1. Beaucoup plus sagement Pacuvius,

Nam istis, qui linguam avium intelligunt,

Plusque ex alieno iecore sapiunt, quam ex suo,
Magis audiendum, quam auscultandum censeo".

1 Fossano, en Piémont, près Coni. Cet événement est arrivé en 1536.

Un dieu prudent couvre d'une nuit épaisse la marche future des temps, et se rit de l'homme qui s'alarme au delà de ce qui lui est permis... Il vit heureux et maître de lui-même, celui qui peut dire chaque jour : J'ai vécu; qu'importe que demain Jupiter couvre le ciel de nuages noirs, ou nous donne un jour serein. HORACE, Odes, III, 29, 29 et suiv.

3 Un esprit satisfait du présent se gardera bien de s'inquiéter de l'avenir. ID., ibid., II, 16, 25.

Voici leur argument: S'il y a une divination, il y a des dieux; et s'il y a des dieux, il y une divination. Cic., de Divin., I, 6. Trad. de M. V. LECLERC.

* Quant à ceux qui entendent le langage des oiseaux, et qui

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Ce tant celebre art de deviner des Toscans nasquit ainsin: Un laboureur, perceant de son coultre profondement la terre, en veit sourdre Tages, demi dieu, d'un visage enfantin, mais de senile prudence; chascun y accourut, et feurent ses paroles et sa science recueillie et conservee à plusieurs siecles, contenant les principes et moyens de cet art1: naissance conforme à son progrez. I'aimeroy bien mieulx reigler mes affaires par le sort des dez que par ces songes. Et de vray, en toutes republiques on a tousiours laissé bonne part d'auctorité au sort. Platon, en la police qu'il forge à discretion, lui attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et veult, entre aultres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons: et donne si grand poids à cette election fortuite, que les enfants qui en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au païs; ceulx qui naissent des mauvais, en soyent mis hors: toutesfois si quelqu'un de ces bannis venoit, par cas d'adven-. ture, à montrer en croissant quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller; et exiler aussi celuy d'entre les retenus qui montrera peu d'esperance de son adolescence.

l'en veoy qui estudient et glosent leurs almanacs, et nous en alleguent l'auctorité aux choses qui se passent. A tant dire, il fault qu'ils dient et la verité et le mensonge: quis est enim, qui totum diem iacu

consultent le foie d'un animal plutôt que leur propre raison, je pense qu'il vaut mieux les écouter que les croire. Pacuvius apud CIC., de Divin., I, 57. Trad. de M. V. LECLERC.

1 Cic., ibid., II, 23.

lans non aliquando collineet1? Ie ne les estime de rien mieulx, pour les veoir tumber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude, s'il y avoit regle et verité à mentir tousiours: ioinct que personne ne tient registre de leurs mescomptes, d'autant qu'ils sont ordinaires et infinis; et faict on valoir leurs divinations de ce qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras, qui feut surnommé l'athee, estant en la Samothrace, à celuy qui, en luy montrant au temple force vœux et tableaux de ceulx qui avoyent eschappé le nauffrage, lui diet : « Eh bien! vous qui pensez que les dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que dictes vous de tant d'hommes sauvez par leur grace? » « Il se faict ainsi, respondit il; ceulx là ne sont pas peincts qui sont demourez noyez, en bien plus grand nombre 2. >>

Cicero dict que le seul Xenophanes colophonien, entre touts les philosophes qui ont advoué les dieux, a essayé de desraciner toute sorte de divination 3. D'autant est il moins de merveille si nous avons veu, par fois à leur dommage, aulcunes de nos ames principesques s'arrester à ces vanitez. le vouldrois bien avoir recogneu de mes yeulx ces deux merveilles, du livre de Ioachim, abbé calabrois, qui predisoit touts les papes futurs, leurs noms et formes; et celuy de Leon l'empereur, qui predisoit les empe

1 Quel est l'homme, en effet, qui passant tout un jour à lancer des flèches ne touche quelquefois le but? Cic., de Divin., II, 59. 2 CICERON, de Nat. deor., I, 37.

ID., de Divinat., 1, 3.

reurs et patriarches de Grece. Cecy ay ie recogneu de mes yeulx, qu'ez confusions publicques, les hommes, estonnez de leur fortune, se vont reiectants, comme à toute superstition, à rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur; et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé qu'ainsi que c'est un amusement d'esprits aigus et oysifs, ceulx qui sont duicts à cette subtilité de les replier et desnouer, seroyent en touts escripts capables de trouver tout ce qu'ils y demandent mais sur tout leur preste beau ieu le parler obscur, ambigu et fantastique du iargon prophetique, auquel leurs auteurs ne donnent aulcun sens clair, à fin que la posterité y en puisse appliquer de tels qu'il luy plaira.

Le daimon de Socrates estoit à l'adventure certaine impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours en une ame bien espuree, comme la sienne, et preparee par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vraysemblable que ces inclinations, quoyque temeraires et indigestes, estoient tousiours importantes et dignes d'estre suyvies. Chascun sent en soy quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente, et fortuite : c'est à moy de leur donner quelque auctorité, qui en donne si peu à nostre prudence; et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, qui estoient plus ordinaires à Socrates', auxquelles ie me suis laissé emporter si utilement et heureusement, 1 IIρоτρéπε: dè cùSÉTOTE. PLATON, Théagès. V. LECLERC.

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