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moire; ce n'estoit rien que son sepulcre. Le monde, ‹ ennemi de sa longue domination, avoit premierement ‹ brisé et fracassé toutes les pièces de ce corps admirable, et parce qu'encore tout mort, ranversé, et desfiguré, il lui faisoit horreur, il en avoit enseveli la « ruine mesme. Que ces petites montres de sa ruine qui << paressent encores au dessus de la biere, c'estoit la for« tune qui les avoit conservees pour le tesmoignage de ¶ cette grandeur infinie que tant de siecles, tant de fus, « la conjuration du monde reiteree à tant de fois à sa « ruyne, n'avoint peu universelemant esteindre. Mais << estoit vraisamblable que ces mambres desvisagez qui ❝ en restoint, c'estoint les moins dignes, et que la furie « des ennemis de cette gloire immortelle les avoit por« tez, premierement, à ruiner ce qu'il y avoit de plus << beau et de plus digne; que les bastimans de cette « Rome bastarde qu'on aloit asteure atachant à ces ma<< sures, quoi qu'ils eussent de quoi ravir en admiration « nos siècles presants, lui faisoint resouvenir propre<< mant des nids que les moineaus et les corneilles vont « suspandant en France aus voutes et parois des églises «que les Huguenots viennent d'y desmolir. Encore crai«gnoit-il, à voir l'espace qu'occupe ce tombeau, qu'on « ne le reconnust pas tout, et que la sépulture ne fust << elle mesme pour la pluspart ensevelie. Que cela, de « voir une si chétifve descharge, comme de morceaus « de tuiles et pots cassez, estre anciennemant arrivé à « un monceau de grandur si excessive, qu'il éguale en << hauteur et largeur plusieurs naturelles montaignes' "(car il le comparoit en hauteur à la mote de Gurson',

taceo.

Il forme ce qu'on nomme aujourd'hui le mont Testacó, monte Tes

2 En Périgord.

« et l'estimoit double en largeur), c'estoit une expresse <<< ordonnance des destinees, pour faire sentir au monde << leur conspiration à la gloire et preeminance de cette « ville, par un si nouveau et extraordinere tesmoignage « de sa grandur. Il disoit ne pouvoir aiseement faire << convenir, veu le peu d'espace et le lieu que tiennent << aucuns de ces sept mons, et notammant les plus fa« meus, comme le Capitolin et le Palatin, qu'il y raniat « un si grand nombre d'edifices. A voir sulemant ce qui << reste du temple de la Paix, le long du Forum Roma« num, duquel on voit encore, la chute toute vifve, comme « d'une grande montaigne, dissipee en plusieurs horri«<bles rochiers: il ne samble que deus tels batimans << peussent en toute l'espace du mont du Capitole, où «< il y avoit bien vingt cinq ou trante tamples, outre plu«<sieurs maisons privees. Mais, à la vérité, plusieurs «< coniectures qu'on prent de la peinture de cette ville << antienne, n'ont guiere de verisimilitude, son plant << mesme estant infinimant changé de forme; aucuns de << ces vallons estans comblez, voire dans les lieus les << plus bas qui y fussent : comme, pour exemple, au lieu « du Velabrum, qui pour sa bassesse recevoit l'esgout x de la ville, et avoit un lac, s'est tant eslevé des mons << de la hauteur des autres mons naturels qui sont au« tour de là, ce qui se faisoit par le tas et monceaus des <«< ruines de ces grans bastimans; et le monte Savello <«< n'est autre chose que la ruine d'une partie du teatre « de Marcellus. Il croioit qu'un antien romain ne sau<< roit reconnoistre l'assiete de sa ville, quand il la ver<«< roit. Il est souvent avenu qu'aprez avoir fouillé bien << avant en terre, on ne venoit qu'à rencontrer la teste « d'une fort haute coulonne, qui estoit encor en pieds << au dessous. On n'y cherche point. d'autres fondemens

« aus maisons, que des vieilles masures ou voutes, «< comme il s'en voit au dessous de toutes les caves, ny « encore l'appuy du fondement antien ny d'un mur qui << soit en son asiete. Mais sur les brisures mesmes des << vieus bastimans, comme la fortune les a logez, en se « dissipant, ils ont planté le pied de leurs palais nou<< veaus, comme sur des gros loppins de rochiers, fermes « et assurez. Il est aysé à voir que plusieurs rues sont à « plus de trante pieds profond au dessous de celles d'à« cette-heure. >>

Quelque sceptique qu'il se montre parfois dans ses livres, Montaigne, pendant le séjour qu'il fit à Rome, marqua toujours un grand respect pour la religion : il sollicita l'honneur d'être admis à baiser les pieds du saint-père, Grégoire XIII, et le pontife l'exhorta « de continuer à la dévotion qu'il avoit toujours portée à l'Eglise et service du roi très-chrétien. »

Après cela « on voit, dit l'éditeur du Voyage, Montaigne employer à Rome tout son temps en promenades à pied et à cheval, en visites, en observations de tout genre'. Les églises, les stations, les processions même, les sermons; puis les palais, les vignes, les jardins, les amusements publics, ceux du carnaval, etc., rien n'était négligé. Il vit circoncire un enfant juif, et il décrit toute l'opération dans le plus grand détail. Il rencontre aux stations de Saint-Sixte un ambassadeur moscovite, le second qui fût venu à Rome depuis le pontificat de Paul III; ce ministre avait des dépêches de sa cour pour Venise adressées au grand gouverneur de la seigneurie. La cour de Moscovie avait alors si peu de relations avec les autres puissances de l'Europe, et l'on y était si mal

Voyages, Discours préliminaire, p. 84 et suiv.

b.

instruit, qu'on croyait que Venise était du domaine du pape. >>

De tous les détails de son séjour à Rome, celui qui concerne la censure des Essais n'est pas le moins singulier.

Le maître du sacré palais lui remit ses Essais châtiés selon l'opinion des docteurs moines. « Il n'en avoit « pu juger, lui dit-il, que par le rapport d'aucun moine

françois, n'entendant nullement notre langue-nous <«< laissons parler Montaigne et il se contentoit tant des « excuses que je faisois sur chaque article d'animadver«<sion que lui avoit laissee ce François, qu'il remit à « ma conscience de r'habiller ce que je verrois estre de << mauvais goust. Je le suppliai au rebours qu'il suivit << l'opinion de celui qui l'avoit jugé, avouant en aucunes <«< choses, comme d'avoir usé du mot de fortune, d'avoir << nommé des poëtes heretiques, d'avoir excusé Julian, << et l'animadversion sur.ce que celui qui prioit devoit « être exempt de vicieuse inclination pour ce temps; « Item, d'estimer cruauté ce qui est au delà de mort « simple; Item, qu'il falloit nourrir un enfant à tout a faire, et autres telles choses; que c'estoit mon opi«nion, et que c'estoient choses que j'avois mises, n'es<«< timant que ce fussent erreurs. A d'autres, niant que << le correcteur eust entendu ma conception. Ledit maes«<tro qui est un habile homme m'excusoit fort et me << vouloit faire sentir qu'il n'estoit pas fort de l'avis de « cette reformation, et plaidoit fort ingenieusement « pour moi en ma presence, contre un autre qui me « combattoit, Italien aussi. »

« Voilà ce qui se passa dans l'explication que Montaigne eut chez le maître du sacré palais au sujet de la censure de son Livre; mais lorsqu'avant son départ

de Rome, il prit congé de ce prélat et de son compagnon, on lui tint un autre langage. «Ils me prierent, « dit-il, de n'avoir aucun egard à la censure de mon Livre, en laquelle d'autres François les avoient << avertis qu'il y avoit plusieurs sottises; ajoutant, << qu'ils honoroient mon intention et affection envers «l'Eglise, et ma suffisance; et estimoient tant de ma << franchise et conscience, qu'ils remettoient à moi<< même de retrancher en mon livre, quand je le vou« drois reimprimer, ce que j'y trouverois de trop licentieux, et entre autres choses, les mots de fortune. «[Il me sembla les laisser fort contents de moi]: et « pour s'excuser de ce qu'ils avoient ainsi curieuse<< ment vu mon livre, et condamné en quelque chose, << m'allegeurent plusieurs livres de nostre temps de <«< cardinaux et religieux de tres-bonne reputation, « censurés pour quelques telles imperfections qui ne « touchoient nullement la reputation de l'auteur, ni << de l'œuvre en gros; me prierent d'aider à l'Eglise a par mon eloquence (ce sont leurs mots de courtoisie), « et de faire demeure en cette ville paisible et hors de << trouble avec eux. »

Avant de quitter Rome, Montaigne reçut des lettres de citoyen romain, ce qui le flatta beaucoup, et après avoir visité Tivoli, il se mit en route pour Lorette, et s'arrêtant successivement à Ancône, Fano, Urbino, il arriva au commencement de mai 1581 à Bagno della villa, où il s'établit pour prendre les eaux. « C'est là, dit l'éditeur du Voyage, que, de sa seule ordonnance, il s'impose la résidence et l'usage de ces eaux de la façon la plus stricte. Il ne parle plus que de son régime, des effets successifs que les eaux font sur lui, de la manière dont il les prenait chaque jour; en un mot, il n'omet

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