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aujourd'hui des choses qui vous restent à connoître : vous verrez un jour combien vos jugements présents sont imparfaits. Cependant fiez-vous aux conseils des personnes qui jugent comme vous jugerez vous-même quand vous aurez leur âge et leur expérience. »

La curiosité des enfants est un penchant de la nature qui va comme au-devant de l'instruction; ne manquez pas d'en profiter. Par exemple, à la campagne ils voient un moulin et ils veulent savoir ce que c'est; il faut leur montrer comment se prépare l'aliment qui nourrit l'homme. Ils aperçoivent des moissonneurs et il faut leur expliquer ce qu'ils font, comment est-ce qu'on sème le blé et comment il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient des boutiques où s'exercent plusieurs arts et où l'on vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures que la nature vous offre pour faciliter l'instruction: témoignez y prendre plaisir; par là vous leur enseignerez insensiblement comment se font toutes les choses qui servent à l'homme et sur lesquelles roule le commerce. Peu à peu, sans étude particulière, ils connoîtront la bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le vrai fond de l'économie. Ces connoissances, qui ne doivent être méprisées de personne, puisque tout le monde a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense, sont principalement nécessaires aux filles.

CHAPITRE IV

Imitation à craindre.

L'ignorance des enfants, dans le cerveau desquels rien n'est encore imprimé, et qui n'ont aucune habitude, les rend souples et enclins à imiter tout ce qu'ils voient. C'est pourquoi il est capital de ne leur offrir que de bons modèles. Il ne faut laisser approcher d'eux que des gens dont les exemples soient utiles à suivre mais comme il n'est pas possible qu'ils ne voient,

malgré les précautions qu'on prend, beaucoup de choses irrégulières, il faut leur faire remarquer de bonne heure l'impertinence de certaines personnes vicieuses et déraisonnables, sur la réputation desquelles il n'y a rien à ménager; il faut leur montrer combien on est méprisé et digne de l'être, combien on est misérable quand on s'abandonne à ses passions et qu'on ne cultive point sa raison. On peut ainsi, sans les accoutumer à la moquerie, leur former le goût et les rendre sensibles aux vraies bienséances. Il ne faut pas même s'abstenir de les prévenir en général sur certains défauts, quoiqu'on puisse craindre de leur ouvrir par là les yeux sur les foiblesses des gens qu'ils doivent respecter car, outre qu'on ne doit pas espérer et qu'il n'est point juste de les entretenir dans l'ignorance des véritables règles là-dessus, d'ailleurs le plus sûr moyen de les tenir dans leurs devoirs est de leur persuader qu'il faut supporter les défauts d'autrui, qu'on ne doit pas même en juger légèrement, qu'ils paroissent souvent plus grands qu'ils ne sont, qu'ils sont réparés par des qualités avantageuses, et que, rien n'étant parfait sur la terre, on doit admirer ce qui a le moins d'imperfection; enfin, quoiqu'il faille réserver de telles instructions pour l'extrémité, il faut pourtant leur donner les vrais principes et les préserver d'imiter tout le mal qu'ils ont devant les yeux.

Il faut aussi les empêcher de contrefaire les gens ridicules; car ces manières moqueuses et comédiennes ont quelque chose de bas et de contraire aux sentiments honnêtes; il est à craindre que les enfants ne les prennent, parce que la chaleur de leur imagination et la souplesse de leur corps, jointes à leur enjouement, leur font aisément prendre toutes sortes de formes pour représenter ce qu'ils voient de ridicule.

Cette pente à imiter qui est dans les enfants, produit des maux infinis quand on les livre à des gens sans vertu qui ne se contraignent guère devant eux. Mais Dieu à mis, par cette pente, dans les enfants de quoi se plier facilement à tout ce qu'on leur montre pour le bien. Souvent, sans leur parler, on n'auroit qu'à leur faire voir en autrui ce qu'on voudroit qu'ils fissent.

CHAPITRE V

Instructions indirectes: il ne faut pas presser les enfants.

Je crois même qu'il faudroit souvent se servir de ces instructions indirectes qui ne sont point ennuyeuses comme les leçons et les remontrances, seulement pour éveiller leur attention sur les exemples qu'on leur donneroit.

Une personne pourroit demander quelquefois devant eux à une autre : « Pourquoi faites-vous cela? » et l'autre répondroit : « Je le fais par telle raison. » Par exemple : « Pourquoi avezvous avoué votre faute? — C'est que j'en aurois fait encore une plus grande de la désavouer lâchement par un mensonge, et qu'il n'y a rien de plus beau que de dire franchement : J'ai tort. » Après cela, la première personne peut louer celle qui s'est ainsi accusée elle-même; mais il faut que tout cela se fasse sans affectation, car les enfants sont bien plus pénétrants qu'on ne croit, et dès qu'ils ont aperçu quelque finesse dans ceux qui les gouvernent, ils perdent la simplicité et la confiance qui leur sont naturelles.

Nous avons remarqué que le cerveau des enfants est tout ensemble chaud et humide, ce qui leur cause un mouvement continuel. Cette mollesse du cerveau fait que toutes choses s'y impriment facilement et que les images de tous les objets sensibles y sont très-vives: ainsi, il faut se hâter d'écrire dans leur tête pendant que les caractères s'y forment aisément. Mais il faut bien choisir les images qu'on doit y graver; car on ne doit verser dans un réservoir si petit et si précieux que des choses exquises: il faut se souvenir qu'on ne doit à cet âge verser dans les esprits que ce qu'on souhaite qui y demeure toute la vie. Les premières images gravées pendant que le cerveau est encore mou et que rien n'y est écrit, sont les plus profondes. D'ailleurs elles se durcissent à mesure que l'âge dessèche le cerveau; ainsi, elles deviennent ineffaçables: de là

vient que, quand on est vieux, on se souvient distinctement des choses de la jeunesse, quoique éloignées; au lieu qu'on se souvient moins de celles qu'on a vues dans un âge plus avancé, parce que les traces ont été faites dans le cerveau lorsqu'il étoit. desséché et plein d'autres images.

Quand on entend faire ces raisonnements, on a peine à les croire. Il est pourtant vrai qu'on raisonne de même sans s'en apercevoir. Ne dit-on pas tous les jours : « J'ai pris mon pli; je suis trop vieux pour changer; j'ai été nourri de cette façon ?» D'ailleurs ne sent-on pas un plaisir singulier à rappeler les images de la jeunesse? Les plus fortes inclinations ne sont-elles pas celles qu'on a prises à cet âge? Tout cela ne prouve-t-il pas que les premières impressions et les premières habitudes sont les plus fortes? Si l'enfance est propre à graver des images dans le cerveau, il faut avouer qu'elle l'est moins au raisonnement. Cette humidité du cerveau, qui rend les impressions faciles, étant jointe à une grande chaleur, fait une agitation qui empêche toute application suivie.

Le cerveau des enfants est comme une bougie allumée dans un lieu exposé au vent: sa lumière vacille toujours. L'enfant vous fait une question, et, avant que vous répondiez, ses yeux s'enlèvent vers le plancher, il compte toutes les figures qui y sont peintes, ou tous les morceaux de vitres qui sont aux fenênêtres; si vous voulez le ramener à son premier objet, vous le gênez comme si vous le teniez en prison. Ainsi, il faut ménager avec un grand soin les organes, en attendant qu'ils s'affermissent répondez-lui promptement à sa question, et laissezlui en faire d'autres à son gré. Entretenez seulement sa curiosité, et faites dans sa mémoire un amas de bons matériaux; viendra le temps qu'ils s'assembleront d'eux-mêmes, et que, le cerveau ayant plus de consistance, l'enfant raisonnera de suite. Cependant bornez-vous à le redresser quand il ne raisonnera pas juste, et à lui faire sentir sans empressement, selon les ouvertures qu'il vous donnera, ce que c'est que tirer une conséquence.

Laissez donc jouer un enfant, et mêlez l'instruction avec le jeu que la sagesse ne se montre à lui que par intervalle, et avec un visage riant : gardez-vous de le fatiguer par une exactitude indiscrète.

Si l'enfant se fait une idée triste et sombre de la vertu, si la liberté, si le déréglement se présentent à lui sous une figure agréable, tout est perdu, vous travaillez en vain. Ne le laissez jamais flatter par de petits esprits ou par des gens sans règle : on s'accoutume à aimer les mœurs et les sentiments des gens qu'on aime; le plaisir qu'on trouve d'abord avec les malhonnêtes gens fait peu à peu estimer ce qu'ils ont même de méprisable.

Pour rendre les gens de bien agréables aux enfants, faitesleur remarquer ce qu'ils ont d'aimable et de commode : leur sincérité, leur modestie, leur désintéressement, leur fidélité, leur discrétion, mais surtout leur piété, qui est la source de tout le reste.

Si quelqu'un d'entre eux a quelque chose de choquant, dites: « La piété ne donne point ces défauts-là; quand elle est parfaite, elle les ôte, ou du moins elle les adoucit. » Après tout, il ne faut pas s'opiniâtrer à faire goûter aux enfants certaines personnes pieuses dont l'extérieur est dégoûtant.

Quoique vous veilliez sur vous-même pour n'y laisser rien voir que de bon, n'attendez pas que l'enfant ne trouve jamais un défaut en vous, il apercevra jusqu'à vos fautes les plus légères.

Saint Augustin nous apprend qu'il avoit remarqué dès son enfance la vanité de ses maîtres sur les études. Ce que vous avez de meilleur et de plus pressé à faire, c'est de connoître vousmême vos défauts aussi bien que l'enfant les connoîtra, et de vous en faire avertir par des amis sincères. D'ordinaire ceux qui gouvernent les enfants ne leur pardonnent rien et se pardonnent tout à eux-mêmes; cela excite dans les enfants un esprit de critique et de malignité; de façon que quand ils ont vu faire quelque faute à la personne qui les gouverne, ils en sont ravis. et ne cherchent qu'à la mépriser.

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